Une légende nommée SAKIO BIKA  Par Calvin Djouari,  Ecrivain Romancier.
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FRANCE :: Une légende nommée SAKIO BIKA Par Calvin Djouari, Ecrivain Romancier.

Il est de ces enfants qui rehaussent la réputation d’un quartier vulgaire et qui restent inoubliables dans la mémoire des hommes qui les ont connus. Tel est le cas de SAKIO BIKA au Camp Yabassi, tel est aussi peut-être mon cas dans le même quartier. Grâce à nos prouesses individuelles qui sont les résultats d’un combat sur les rings et d'une percée sur le chemin de l'aventure, nous avons   défini la philosophie même de l’homme qui se met debout pour affronter la vie. Pour la première fois, je vais écrire sur une personne que je connais par cœur, parce qu'il fut mon voisin de quartier. Nos deux maisons au Cameroun se collent jusqu'à ce jour. SAKIO BIKA alias « Scorpion » est mon invité dans cet article.

Sakio Bika, natif du camp Yabassi, bidonville cosmopolite de Douala, a mis cette cité sur le toit du monde dans les années 2000. Ce jeune homme commence la boxe devant tous les habitants de ce quartier comme un simple verre d’eau qu’on prend pour se désaltérer. Au Cameroun, il faut vraiment se chercher longtemps dans ce sport très souvent négligé pour se trouver une voie. Et pourtant, c’est la boxe qui nous donna notre première médaille olympique en 1968 aux jeux olympiques de Mexico grâce à Joseph Bessala aujourd’hui oublié.

Les débuts de Sakio seront difficiles, il ne peut même pas s’acheter de gant pour participer à certaines compétitions d’envergure. La boxe est un sport noble, il faut de l’élégance lorsqu’on se présente sur un ring. Sakio est beau garçon, mais il n’a pas de tenue élégante et ses gants sont déchirés. Mais il a du punch, un esprit, celui de tous les enfants du camp yabassi et une ambition, celle de sortir de ce quartier qui ressemble à un tombeau. Il sera vite remarqué et sélectionné à l’équipe nationale après quelques combats devant des pugilistes qui sortent du petit village Eyingui dans le Nkam dont le souci premier était de quitter la forêt pour voir la ville.

Ces petites victoires obtenues devant les boxeurs sans palmarès vont lui donner un souffle pour affronter les combats nationaux. C'est ainsi qu'il est mis sur la liste des championnats d'Afrique.

Il voyage pour l’Égypte, va en Afrique du sud et fait de petits combats sans ressource où il maîtrise pratiquement ses adversaires comme un jeu de sable. Par un petit coup de destin comme chez tout enfant prodige, il arrive aux jeux olympiques de 2000 en Australie. Il fait ses adieux au Cameroun. Les jeux se terminent, on n’entend pas parler de la boxe camerounaise. Sakio est mis KO au premier coup. Mais les lionceaux remportent une médaille d'or historique au football. Les australiens émus perdent le contrôle sur les africains, c'est dans ces moments d’effervescence que Sakio profite pour s'enfuir. La police est sous ses trousses sans le prendre. Après 6 mois dans le pays, la police le repère un soir vers 22h, -les noirs sont visibles de loin- mais il est à 100 mètres, cet écart est suffisant pour un garçon qui a grandi au camp yabassi de montrer ses enjambés. Tous les jeunes savent courir au camp yabassi.  Dans cette course de la dernière chance, il se cache dans un poulailler. Les poules se réveillent mais ne caquettent pas comme pour le protéger. Les policiers rodent et s'en vont, Sakio a été sauvé par les poules, qui n’ont pas voulu trahir quelqu’un qui se cherche. Les policiers considèrent cela comme une disparition mystérieuse, parce qu'il n'y avait qu'une seule entrée et pas de sortie.  Le lendemain Sakio reprend la boxe.

C’est à Sidney qu’il va se faire une idée du combat professionnel. Sakio est un rêveur, il sait qu’il est fort, il rêve d’être champion du monde un jour. Il n’a vécu que pour cela. Une fois installé confortablement dans son pays d’accueil grâce à une jolie australienne qui l'avait aimé, il va faire son premier combat devant un australien d’origine anglaise, un certain Akim Red Man, plus grand que lui, un homme blond aux larges épaules, avec un bras gauche lourd et redouté, une face épaisse couverte de cicatrices ; à l’actif de ce dernier, que des victoires…Sans défaites quelque rare nul, puncheur d’élite, beaucoup de boxeurs ont refusé de l’affronter.

Mais Sakio accepte, puisque le combat va coûter 200 mille dollars à celui qui l’emportera. C’est petit pour un début, mais ce n’est pas rien pour un boxeur sans référence qui vient d’Afrique.

C’est le tout premier combat professionnel de Sakio. Les deux sont sur le ring, RED MAN fixe longuement Sakio, Les premiers rounds, souvent considéré comme le temps d’essai où les deux pugilistes se jaugent et évaluent le style de leur adversaire, va ici totalement déroger à la règle ; les deux boxeurs vont se montrer condescendants dès les premières secondes, c’est une véritable tempête de coups qui s’abat sur Sakio qui dandinent sur le ring, tellement il a reçu de coups d’entrée de jeux qu’il est inquiet pour la suite. Un moment sans précédent. Sakio dégénère.

Akim RED Man travaille Sakio sur tout le corps, il le frappe à la tête, celle-ci retentit comme une masse de fer, le public hurle. En Australie on aime quand un boxeur blanc cogne sur un grand nègre. Red MAN  le mesure à l’œil, envoie un long crochet gauche à la tempe. Sakio n’entend plus rien, même pas les cris de sa femme dans le public qui hurle 200 mille dollars. Dans les deux premières minutes du combat, il a asséné Sakio d’une trentaine de coups décisifs, presque un coup toutes les secondes, et à chaque coup qui le frappe, sa femme crie 200 mille dollars. Sakio reçoit un autre coup à l’œil. Il a l’impression que son œil sort de l’orbite. Ses paupières enflent, l’arbitre s’approche, c’est plutôt son arcade qui s’est déchiré. La plaie est profonde. Sakio réplique un peu à l'aveuglette et décoche son fameux crochet du droit qui passe au vent. Il essaie un deuxième, le coup est bloqué et il se casse le poignet droit sous l’effet du choc. Devant le spectacle de cette frénésie pugilistique qui tombe sur lui, il regarde sa femme dans le public, elle crie de plus belle « 400 mille dollars, ne nous fait pas perdre 200 mille dollars, Sakio n’en croit pas ses yeux. »

RED MAN  travaille Sakio au niveau des reins, pour qu'il ne tienne plus longtemps debout,  effectivement  Sakio donne l'impression de toujours tomber à chaque coup ;   la tactique de RED MAN risque marcher, Sakio est en train de descendre petit à petit et risque de couler comme un bateau. Mais s’il coule, 200 mille dollars coulent avec lui. La cloche sonne, le premier round se termine. RED MAN  vient d’offrir une démonstration de force qui dépassera de loin toutes les espérances de Sakio.

Sakio retrouve son entraîneur comme s’il tenait ses boyaux. Celui-ci prévient à Sakio que le staff financier a déjà encaissé le chèque parce qu'il est sûr de gagner. Il n'est pas question de remettre le chèque. A lui de se battre. Sakio demande qu'on lui montre chèque. Ce qui est fait. Le deuxième round va s’engager ; toujours la même correction. Il sera même le round le plus violent et dantesque de leur combat.

Au quatrième round, Sakio demande à son entraîneur un peu à boire. Il est servi suffisamment ; il boit plus qu’il n’en faut près d’un demi litre. L’entraîneur tient l’éponge. Il le jettera si le cinquième round est aussi titanesque que les quatre premiers. Sakio continue le combat sans savoir ce qu’il va faire. Il est presque perdu sur le ring. Son adversaire le réveille avec des coups sur le front pour le maintenir. On l’accroche à la corde, le touche deux fois, un coup à la gueule, un autre au bras, et un accompagnement au menton. On voit sur la figure de Sakio que son ébullition des combats d’Afrique va s’arrêter. Il a une garde basse ; il ne fait plus rien sur le ring ; mais il ne tombe pas. S’il tombe, le rêve de 200 mille dollars tombent aussi. Ce sera comme ça jusqu’au 7 ème round.

RED MAN avait l'avantage physique, sa vitesse, sa puissance et sa durabilité était meilleure. Mais un combat de boxe réside d’abord sur la force mentale, ce qu’il ne possédait pas et SAKIO va le cueillir et le dominer par la suite.

Le seul camerounais qui assistait au combat, yabassien de surcroit pousse un cri de guerre en langue maternelle. SAKIO  «. Boignè a ma soulé bikout. » Sakio se lâche de façon saccadée et assène 18 coups secs ; la plupart à l'œil. RED MAN ne voit plus rien ; son corps est désormais libre et à la merci de son adversaire ; il est debout mais encaisse comme une couleuvre ; il fait pitié, l’arbitre arrête, c’est le KO technique. AKIM RED MAN a vu la mort de près. Il remercie l’arbitre d’avoir arrêté. Et voilà la naissance d’une légende.  Trois ans plus tard, SAKIO est champion du monde aux Etats-Unis. Il le sera deux fois. Les titres qui ont échappé à EMEBE Jean Marie.  Il est venu présenter sa ceinture au Cameroun deux fois également à tous ses amis d'enfance, témoins de son parcours dont je suis le premier. Je le revois tous les soirs comme tant d’autres, passant devant notre porte pour aller s’entraîner, calme, taciturne. Un garçon humain bien que boxeur, il n'a jamais provoqué qui que ce soit dans notre quartier. Il a forgé son destin. Avait-il eu raison de s’en fuir aux jeux olympiques ? 

(Cet article est une imagination du romancier qui se colle aux   faits réels.)

 
 

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