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© Le Jour : Cathy Yogo en Hollande
- 20 Aug 2022 13:00:33
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CAMEROUN :: Jean Dikoto Mandengue: Les doigts d’or de la Basse :: CAMEROON
De grandes écoles de Classic Jazz étudient les lignes du musicien camerounais qui célèbre ses 79 ans le 19 août 2022.
Jean Dikoto Mandengue est une légende vivante de la basse dans le monde. «Son jeu de guitare exceptionnel donne un son puissant et brillant assimilable à celui d’un tissu épais qu’on déchire. Il faut vraiment être un pro pour monter haut dans les aigus comme il le fait dans le solo de Fire avec Osibisa», décrit Josué Lembe Penda, son conseiller et ami de longue date. Ekambi Brillant, ami d’enfance du musicien, lui, dira que la basse de Jeannot chante. Et, selon le bassiste Etienne Mbappé, dans une interview avec un confrère, on sent le sol vibrer quand son confrère joue de la basse.
En effet, Jean Dikoto Mandengue a modernisé la Walking Bass, une technique très utilisée dans les écoles de Classic Jazz, notamment celles de Miles Davis et de Ron Carter. «La Walking bass (la basse qui marche) est une ligne de basse qui consiste à jouer tous les temps en créant une mélodie. Celle-ci rend le jeu du bassiste très présent. J’y ai rajouté ma touche, un mélange de Makossa et de Rhythm and Blues. Ce qui rend mon son unique», nous expliquait le musicien rencontré dimanche 13 mai 2022 à Paris.
Meilleur bassiste du monde
Autant la trompette bouchée de Miles Davis est reconnaissable entre mille, autant le son de Jean Dikoto Mandengue l’est parmi tant d’autres. Le jeu de cet artiste a influencé plusieurs générations de bassistes. Jean Dikoto Mandengue figure dans le Top 10 des bassistes africains les plus influents du monde (Classement du Magazines Forbes-2013). Son légendaire solo dans sa chanson "Five" jouée avec le groupe "Osibisa" révolutionne le monde de la basse. «A l’époque, la basse était considérée comme un instrument d’accompagnement. Mon style m’a permis de l’imposer dans les chansons, ce qui a d’ailleurs déclenché un mouvement de jeunes bassistes qui voulaient presque tout faire comme moi», explique modestement celui qui se fait également appeler Jeannot Karl.
En 1977, le Magazine Anglais Melody Maker fait de lui le "Meilleur bassiste du monde" devant de grosses pointures comme Jaco Pastorius du Weather Report, le meilleur groupe de Jazz Fusion de tous les temps. «Après un spectacle, Jaco est venu voir Jeannot dans sa loge. Ils ont passé toute la nuit à échanger sur les techniques de basse. Jeannot a longuement joué la chanson "From the Congo", un morceau de Manu Dibango qu’il a écrit et où il joué la basse. Après cette rencontre, Jaco Pasterius a sorti un disque avec un morceau "Hot Chickens " dont les lignes de basse ressemblent étrangement à "From Congo" », explique Josué Lembe Penda. En 2014 au Cameroun, certains lui ont marqué leur reconnaissance. La Ville de Douala dont il est originaire l’a fait Citoyen d’honneur. Pour couronner tout, le président Paul Biya l’a également élevé au grade de Chevalier de l’Ordre et de la Valeur.
Le Ry-Co Jazz
De grandes écoles de Classic Jazz étudient les lignes de basse du musicien camerounais qui célèbre ses 79 ans le 19 août. Le septuagénaire a une belle âme et est resté Sobre. Casquette retournée, baskets montantes, pantalon slim, comme son copain Johnny Halliday, il a du rock dans l’attitude. Un peu marqué par le poids de l’âge, il saute comme un athlète et son visage s’illumine au contact de sa Fender Musicman Sabre Bass. C’est la Rolls-Royce des Basses, l’une des plus puissantes. « Avant, je jouais avec une Fender précision. En 1980, lors d’un voyage aux Etats-Unis, j’entre dans un magasin pour acheter une basse dans les mêmes gammes. Le vendeur me dit qu’elle coûte très cher et qu’il ne peut pas me la racheter. En revanche, il m’a proposé de l’échanger contre ma Fender Bass Music Man vendu en série limitée», explique le bassiste. Jean Dikoto Mandengue reste néanmoins discret sur le prix de ce bijou dont le modèle a été utilisé par le bassiste américain Louis Johnson pour la plupart des tubes de Michael Jackson.
La Fender Bass Music Man dispose de cinq configurations possibles de micros. Pas besoin d’effets car l'électronique est adaptée. Du fait du coût élevé de la fabrication de cet engin, la maison Fender arrête sa production pour la reprendre 20 ans plus tard.
De Douala à Paris
Jean Dikoto Mandengue est né le 19 août 1943 à Douala. Son père, militaire dans l’armée française, était un grand danseur d’Ambass-Bay. Le musicien fait ses études primaires à l’Ecole principale d’Akwa avec son camarade et ami Eboa Lotin. Il poursuit ensuite au Centre professionnelle de formation ouvrière (Cpfo) de Douala pour apprendre de la mécanographie. Féru de boxe, il s’entraîne avec son copain Joseph Bessala au club Ring du rail à Douala. Plus forte que tout, sa passion pour la musique ressurgit. Il se forme sur une guitare de fortune fabriquée avec du bois et des rayons des roues de vélos. De temps en temps, il est admis à faire un bœuf avec l’orchestre Ambiance Jazz, le groupe que Kinguè Paul Ebéni avait constitué au quartier Akwa avec d’autres musiciens comme Mamadou et Tchatchoua à la guitare et Njoh Toto en guitare d’accompagnement. « Le groupe recevait des orchestres zaïrois. Ça mettait de l’ambiance au quartier. Nous n’avions cependant qu’une guitare électrique que seuls les privilégiés pouvaient utiliser. Tout ceci m’a donné l’envie de m’expatrier à peine sortie de l’adolescence », explique l’artiste.
Commence alors une longue aventure musicale dans le monde après l’Indépendance. Première escale à Abidjan. Il va ensuite au Liberia où il devient une véritable star. Jean Dikoto Mandengue y rencontre le Ry-Co Jazz venu en tournée. Très influencé par les rythmes congolais, il intègre ce quartet du Congo-Brazzaville de l’époque et s’installe avec lui en Côte d’Ivoire. De cette collaboration, naîtront des disques avec des chansons à succès comme "Koumbele", "Habiba Moussa", etc. Jeannot compose également sa première chanson "El Cazel de Ryco", une Rumba en Douala en hommage à M’bilia Casino, l’excellent Tumbiste du groupe.
Jean Dikoto Mandengue quitte le Ry-Co Jazz pour une aventure inconnue en France. Nouveau challenge via un périple en Bateau. En 1960, l’artiste pose d’abord ses valises à Marseille. Quelques mois après, cap pour Paris où sa carrière prendra un véritable envol. Il y sera accueilli à la Maison des Etudiants Congolais (Mec) sis au numéro 20 de la Rue Béranger dans le 3ème arrondissement de Paris. « Ne sachant pas où aller, j’ai sollicité leur aide et l’accueil a été favorable. C’est d’ailleurs l’occasion de dire encore merci au concierge qui m’a reçu ce jour-là, ainsi qu’à tous les étudiants qui m’ont adopté comme un de leur compatriote », précise Jean Dikoto Mandengue qui poursuit : « Les étudiants ayant appris que j’avais appartenu au Ry-Co Jazz, ils m’ont intégré dans leur orchestre. Très vite, on a commencé à parler de moi et, un jour, je reçois un coup de fil d’un certain Jean-Paul Soppo Priso, Manager de Manu Dibango que je ne connaissais pas. Ce dernier demande à me rencontrer». La première rencontre ne se passe pas très bien. Car Jean Dikoto Mandengue arrivé en retard est raillé par ses hôtes, notamment Manu qui était déjà assez connu dans les milieux parisiens. «C’était ma première fois de prendre le métro. Perdu je suis arrivé au rendez-vous une heure après. Mais les choses rentrent très vite dans l’ordre et j’intègre le groupe de Manu Dibango comme guitariste bien sûr », se rappelle Jean Dikoto Mandengue qui amènera son copain Slim Pezin dans le groupe baptisé Souls Brothers Number one. Il deviendra son producteur.
Les prestations du groupe sont très appréciées dans les cabarets parisiens, notamment la Bohème à Montparnasse et le Jerk Club. Le jeu de guitare de Jean Dikoto Mandengue apporte un plus. Pourtant Manu trouve qu’il peut faire mieux. Et un jour, « Il me dit regarde le monsieur là-bas. Naïvement, je me retourne en cherchant une présence humaine en dehors des trois personnes que nous étions dans la salle de répétitions en vain. Il me pointe la contrebasse en me disant et si tu l’essayais. Je n’avais jamais touché à un tel engin et pourtant je m’y suis mis. Et voilà comment j’ai fini par être bassiste », se rappelle Jeannot.
Claude François, Nino Ferrer, Mike Brant
Dans les années 60 déjà, Jean Dikoto Mandengue devient le bassiste de Claude François, l’un des artistes français les plus appréciés du public. «Je jouais au Cabaret la Bohème à Montmartre, Paris, avec mes copains Manu Dibango, le guitariste Slim Pezin, Lucien Doba, Ben’s Elessa Njiné et Alain Shetery (chant). Un soir, le collaborateur de Claude François que je ne connaissais pas me glisse un mot dont je prends connaissance après notre prestation. Il y était mentionné que "Les Disques Flèches", le label discographique de Claude François, me convie à une audition de bassistes en son siège», explique l’artiste. Le lendemain, en toute sérénité, il se rend au 122 Boulevard Exelmans, dans le 16ème Arrondissement de Paris. L’audition se passe devant René Urtreger, pianiste et chef d’orchestre du groupe de Claude François. Jean Dikoto Mandengue doit poser sa basse sur la chanson "Belle ! Belle ! Belle !", le premier succès de Cloclo. Son exceptionnel jeu de basse lui vaut d’être acclamé par tout le monde, même par Claude François qui l’a entendu jouer de loin. Le Camerounais remporte donc le test haut la main. Jean Dikoto Mandengue sera le premier Africain à jouer avec Claude François, sinon l’un des rares.
C’est parti pour sept années de collaboration intense à sillonner le monde pour des spectacles de variété française à l’américaine. Un contrat financièrement juteux reconnaît l’artiste. «Je n’étais pas vraiment musicalement dépaysé car en Cabaret avec Manu et Slim, nous jouions du Rhythm and Blues interprété par des stars américaines comme Wilsons Pickett, Aretha Franklin, Otis Redding, James Brown… Claude François se référait beaucoup à moi sur scène. Très rigoureux, il travaillait à l’américaine et ne supportait aucun retard, aucune erreur. Il avait également beaucoup d’humour et, quand je me trompais, il se mettait à chanter comme d’habitude, Jeannot a encore fait une fausse note», se souvient le bassiste plus de 50 ans après. Il se rappelle aussi de son entretien téléphonique avec Cloclo, quelques jours après sa tournée en Afrique, notamment au Cameroun. «Il voulait que je sois de la partie. Malheureusement j’étais déjà sous contrat avec le groupe Osibisa», regrette l’artiste.
La présence de Jean Dikoto Mandengue aux côtés de Claude François accroît sa notoriété dans le gotha musical français. C’est ainsi que le bassiste jouera parallèlement dans l’orchestre de Mike Brant, Alain Chamfort, Patrick Topalof, Stone et Charlène et celui de Nino Ferrer. «Ma rencontre avec Nino Ferrer est anecdotique. J’étais venu avec Manu Dibango qui, lui, jouait déjà avec Nino. J’ai profité de l’absence de ce dernier pour jouer sur sa basse. M’entendant de loin, il est revenu sur ses pas et m’a dit : A compter d’aujourd’hui tu seras mon bassiste. Nous avons fait beaucoup de tournées ensemble. D’ailleurs, il est venu me voir à Londres pour me convaincre de revenir dans son groupe», explique Jean Dikoto Mandengue. Peine perdue car, j’avais déjà intégré Osibisa.
En dépit de ses prestations avec le groupe, Jean Dikoto Mandengue donne libre court à son talent d’auteur-compositeur-interprète et enregistre son premier 45 Tours en 1973 "Songo’a Esele", produit par les éditions Philips. Le bassiste sera l’un des premiers Africains à signer avec cette Major Company. Il en sera musicien de studio et sorte de directeur artistique chargé de dénicher les talents africains. C’est ainsi qu’il a fait signer de nombreux artistes comme François Louga, Ekambi brillant, Eboa Lotin, entre autres.
Il arrange pas mal de disques comme les tous premiers 45 Tours de son copain d’enfance Eboa Lottin. Les chansons "Bessombe", "Matumba", "Martine" "Ngon’a Mulato", "Munyengue Ba Ngando" entre autres, sont cuisinées aux épices de la Walking-Bass. Sur son lit d’hôpital, Ekambi Brillant a tenu à manifester sa reconnaissance à Jean Dikoto Mandengue. En 1972, il arrange son 45 Tours "Ngand’a Ba Iyo" où l’on trouve la chanson éponyme et " Wa Ndé wé nu na tondi no". La finesse de l’orchestration de ce blues transporte. Il pose ses lignes de Bass dans quelques titres de l’album "Best of de Manu Dibango" et le célèbre "Epapala" de N’dedy Dibango. Les records de ventes de ces disques en disent long sur la qualité du travail.
Osibisa
Warner Bros, la maison de production d’Osibisa, vient chercher Jean Dikoto Mandengue à Paris. En 1973, il intègre l’un des meilleurs groupes Afro-Rock britannique de cette époque. Il conclut alors l’un des plus gros contrats signés par un groupe africain. Le Camerounais apporte sa touche magique et compose les plus grands tubes du groupe notamment "Sunshine day" et "Five", ce qui lui a valu le titre de Meilleur Bassiste du monde en 1977, décerné par le Magazine Melody Maker. Le groupe est propulsé au sommet des grandes scènes du monde. Le Madison Square Garden, la plus prestigieuse salle de concert du monde. Sans parler de l’Apollo à New York et de l’Olympia à Paris. Le Groupe sera d’ailleurs reçu par la Reine Elisabeth II. Et en 2020, Osibisa est sacré meilleur groupe africain à Londres.
Jean Dikoto Mandengue évolue avec Osibisa de façon permanente pendant 3 ans et va aux Etats-Unis rajouter une corde à son arc. Il revenait pour des concerts et tournées importantes. Il n’a jamais rompu définitivement avec Osibisa.
Jeannot mène parallèlement une carrière solo. Malheureusement le contrat signé avec Warner Bros ne le permettant pas, il sort des disques sous le JK Mandengue et Jeannot Karl. Son ami Slim Pezin va le produire sous le Label BBZ productions. De cette collaboration naîtront, entre autres, l’album "Muna munyengue" en 1977. Jean Dikoto compte une dizaine de disques. Il y aborde des thèmes tels que le racisme, la liberté, le football, l’amour avec à chaque fois une belle dose de basse. Dans "Les Retrouvailles", son dernier album sorti en 2006, il reprend ses titres et revient à la guitare, son premier instrument qu’il a toujours joué avec le pouce comme le Bluesman Albert King. Cette technique donne un son rond et très original.
Pour certains mélomanes, sa meilleure prestation à la guitare est celle de l’album "Put You’re gun down" réalisé aux Etats-Unis et similaire à ceux produit par le guitariste Carlos Santana. Dans son morceau "Lions Indomptables", Jean Dikoto Mandengue également grand fan de football et supporter de l’équipe nationale, joue à la fois la basse et les guitares. Magique !
Ninègue en Hollande
Pendant près de deux décennies, Jean Dikoto Mandengue était toujours entre deux avions, Londres, Washington, New York, Paris, Douala. Un malheur va frapper ce globe-trotter et l’obliger à poser ses valises pour longtemps en Hollande. En effet, il assiste au décès de sa compagne, suite à un accident de circulation, avec leurs bébés, des nouveau-nés. La loi hollandaise étant stricte, elle refuse de lui laisser la garde de ses enfants et veut les mettre à l’assistance publique. Jean Dikoto Mandengue prend donc la résolution de mettre en veille sa carrière, les tournées et la vie de paillettes pour s’occuper de ses enfants. Tous les jours, quelle que soit l’heure où il s’est couché, tôt le matin, il se lève pour préparer le petit déjeuner à ses jumeaux, puis les accompagne à l’école.
Aujourd’hui ce sont de grands enfants. Il est resté reconnaissant à Maya, la femme hollandaise qui s’est occupé avec lui des jumeaux, puisqu’ils partagent toujours l’encadrement des jumeaux Dikoto et Endale. Comme quoi les artistes ne sont pas toujours des irresponsables. Pour sa compagne décédée, il a composé une chanson "Na Selele" où on ressent une émotion particulière et poignante dans la voix. Cette chanson se trouve dans l’album "Back To the Roots".
A bientôt 79 ans, le patriarche de la basse continue à jouer et partage sa grande expérience avec de jeunes musiciens. Il caresse toujours le rêve de le faire dans un cadre structuré au Cameroun, indépendamment des masters class qu’il a souvent organisés. Ne pouvant plus effectuer de longs voyages tout le temps, il a cédé sa boîte de nuit de Douala, le Manesty–club, devenue plus tard le Pédalé Club.
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