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© Camer.be : Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
- 28 May 2022 19:59:57
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FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 29 MAI 2022 Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
Textes : Actes 7, 55-60 ; Apocalypse 22, 12-20 ; Jean 17, 20-26
Le long discours d'adieu de Jésus à ses disciples culmine sur la célèbre et magnifique prière du chapitre 17. Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Père, l'heure est venue..." (Jn 17, 1).
Car Jésus n'est pas qu'un maître dont il suffirait d'écouter les leçons pour ensuite les appliquer avec talent ou même avec génie. C'est parce qu'il a sans cesse prié, parce qu'il est resté suspendu à la volonté de son Père, que Jésus a pu accomplir sa mission ; c'est parce qu'il a beaucoup prié qu'il a à présent la force de marcher au supplice le plus horrible. A présent il prie pour ses pauvres et bien-aimés disciples dont il connaît la lâcheté car il sait que seule la Grâce de son Père, venant en eux, leur permettra d'accomplir leur mission. Toute prédication doit commencer et s'achever par la prière.
Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là, mais encore pour ceux qui accueilleront leur parole et croiront en moi…
Dans sa prière, Jésus ne porte pas seulement ce petit groupe d'apôtres réunis autour de lui en ce soir tragique : sa prière embrasse la multitude innombrable de tous ceux et celles qui, partout et jusqu'à la fin des temps, accepteront l'Evangile. En effet, grâce à sa prière, sa parole sera répercutée par cette poignée d'hommes et elle mettra le feu au monde pour ne plus jamais s'éteindre. Aujourd'hui encore, ne l'oublions pas : notre foi n'est pas une vertu acquise mais l'effet de la prière de Jésus pour chacun et chacune de nous. Nous sommes portés par la prière du Verbe de Dieu qui nous relie à son Père. Ses bras ouverts sur la croix signifient qu'il est éternellement en attitude d'intercession pour les siens.
Dans cette prière du Christ, acte d'intimité par excellence entre lui et son père, Jésus parle tout simplement. Il émet un ensemble de souhaits, d'abord pour ses amis puis pour tous ceux et celles qui se laisseront atteindre par leurs paroles les conduisant vers le Fils. Ce Fils qui les amènera en toute confiance vers le Père puisqu'ils ne font qu'un au sein de cette Trinité. Mais l'unité dont parle le Christ n'est pas une fusion dans laquelle nous nous sentons prisonniers, incapables de nous délier, une fusion idyllique dans laquelle nous ne pouvons plus respirer mais simplement étouffer.
Non l'unité divine est d'abord et avant tout la rencontre de deux personnes uniques au sein de la divinité : le Père et le Fils. L'unité véritable n'est possible que s'il y a acceptation et reconnaissance de la différence, de l'altérité. Un plus un n'égalera jamais un, mais toujours un plus un. C'est parce que deux créatures sont uniques, à ce point différentes, que la rencontre est possible. Mais n'exaltons cependant pas cette différence. Il est vrai que la différence pour être rencontrée, reconnue et surtout pour qu'elle ne fasse pas peur, exige qu'elle se vive au cœur d'une certaine ressemblance, d'une certaine similitude.
En effet, si nous sommes trop différents les uns les autres, il n'y aura pas entre nous de points d'ancrage qui nous permettra de nous rencontrer. La différence est donc importante mais au cœur de ressemblances. Ressemblance à laquelle nous sommes conviés, rappelle le premier récit de la Création dans le Livre de la Genèse.
Nous sommes sur terre pour acquérir cette ressemblance puisque nous avons déjà reçu l'image divine. Cette acquisition ne passe pas par une recette toute faite, elle est tributaire de nos histoires personnelles mais également de la manière dont nous répondons à l'invitation de la foi. Et cette foi, nous y répondons par nos actes mais également par tous ces temps que nous prenons pour vivre de la vie divine c'est-à-dire par la prière.
Prier, c'est parler à Dieu, souvent de soi d'abord : de ce qui nous préoccupe, de ce qui nous encombre. C'est également nous réjouir de la beauté de la vie, de moments merveilleux qui nous sont donnés à vivre. Prier c'est aussi demander comme le Christ le fait tout au long de l'extrait d'évangile que nous avons entendu aujourd'hui.
La prière est parole. Mais pour que cette parole soit vraie, la prière est d'abord silence en nous. Un silence tout intérieur, un peu comme si nous éteignions notre lumière intérieure pour entrer au plus profond de ce que nous sommes, là où réside la lueur divine. Silence en soi pour mieux rencontrer l'autre, l'écouter dans son silence à lui. Là nous entrons dans le domaine de l'indicible, de l'inexprimable tant cette émotion est personnelle. Vient alors le temps du monologue où nous posons en Dieu tout ce qui nous préoccupe ou nous réjouit. La prière, ce n'est pas plus compliqué que cela, c'est simplement avoir un désir défait de tout ce que nous sommes pour rencontrer en nous ce Dieu qui est Père, Fils et Esprit. Et c'est vraiment en nous que cela se passe.
Bien-aimés dans le Seigneur,
Quand j'étais enfant, j'étais toujours avide d'expériences scientifiques très sérieuses. Du moins, je le croyais. J'aimais mélanger les couleurs entre elles et en découvrir de nouvelles. Certaines étaient innommables, tellement elles étaient horribles mais il y avait ce bleu et ce jaune qui ensemble donnaient un si beau vert. Je m'étonnais de cela et je me demandais parfois s'il pouvait en être de même avec les êtres humains. Serai-je un jour capable d'aimer quelqu'un à ce point que je me fonderais en lui ? Une telle unité est-elle possible ou bien est-ce une utopie ?
Le poète Rainer Maria Rilke affirme que le partage total entre deux êtres est impossible. Il ne sert cependant à rien de s'enfermer dans une morosité car lorsque nous avons pris conscience de la distance infime qu'il y aura toujours entre deux êtres humains, quels qu'ils soient, une merveilleuse vie "côte à côte" devient possible, écrit-il.
Une vie " côte à côte " et non pas une fusion. Il faudra, poursuit cet auteur, que les deux partenaires deviennent capables d'aimer cette distance qui les sépare et grâce à laquelle chacun des deux aperçoit l'autre entier, découpé dans le ciel. L'amour entre deux êtres peut être tel qu'ils peuvent presque devenir l'un l'autre. Mais il y aura toujours ce "presque", cette distance aussi fine puisse-t-elle être qui les séparera.
Il n'y aura donc jamais d'unité totale entre deux êtres humains. Nous atteignons ici une des limites de notre humanité. Je peux aimer, aimer tellement à ressentir tout ce que l'autre vit. Sa respiration peut même devenir mienne mais il y aura toujours ce quelque chose, cette infime rien qui m'empêchera de l'être complètement. Notre vocation humaine n'est pas fusionnelle mais plutôt " côte à côte ".
Certains pourront me dire que mes propos vont à l'encontre des écrits révélés où il est dit que l'homme quittera son père et sa mère, s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. Et ils ont raison tant que nous lisons cette phrase en français car le texte original dit quelque chose de différent. La traduction trahit le sens. En effet, dans le texte hébreu et grec, il est plutôt dit : " tous deux n'iront vers qu'un ". Il ne s'agit pas d'une fusion mais bien d'une nouvelle création, celle de la vie, d'une nouvelle individualité.
Nous sommes donc confrontés à la réalité des limites de l'intimité humaine, il est vrai. Mais par l'incarnation du Fils de Dieu, nous sommes appelés à répondre à l'appel de la vie et à accepter notre condition nouvelle et résurrectionnelle, celle de devenir pleinement enfants de Dieu. Filles et fils d'un même Père dans la foi. Tel est le sens de la prière du Christ entendue ce jour dans l'évangile : " que tous, ils soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu'ils soient un en nous ".
Ici, au cœur de ce monde, nous sommes conviés à vivre d'une intimité exceptionnelle, une intimité illimitée. Enfants de Dieu par adoption, nous le sommes. Comme nous l'avons découvert, Dieu a choisi de venir inhabiter en chacune et chacun de nous. A l'occasion de l'Ascension, il est parti rejoindre le Père qui est en nous. Le Fils a pris résidence au cœur de notre humanité. Nous sommes tabernacles vivants de sa présence. Dieu vit au plus intime de tout être humain, là où aucune autre personne ne peut nous rejoindre à ce point. Si je le souhaite, Dieu fait un avec moi. Il s'est établi au sein de ma conscience. C'est dans ce lieu précis que l'Esprit Saint est à l'œuvre et inspire mes actes et mes mots.
Dieu est au plus intime de notre intimité. Il inonde mon être de sa réalité divine et me rend par-là plus humain, plus divin. Il est plus grand que mon cœur et connaît toute chose. Avec Lui, je vis en permanence. Il est là, attendant que je parte à sa rencontre en moi. Je n'ai rien à lui cacher. Je n'ai plus à me mentir.
Il est là, bien là en moi et il m'accompagne. Non pas comme une petite voix intérieure jugeant mes actions mais comme un ami qui avance avec moi sur le chemin de la vie. Il est vraiment au plus intime de mon intimité, là où personne ne peut venir tellement je suis au plus profond de mon être.
Ce qui est impossible humainement, l'est par contre divinement. Oui, l'unité, l'intimité totale est possible entre deux êtres lorsque l'un est humain, l'autre divin. Que nous puissions alors vivre de cette unité divine en nous. Elle est le lieu par excellence d'une unité par-delà toute compréhension.
Amen.