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© Correspondance : Palabre Intellectuelle, palabresintellectuelles@gmail.com
- 24 May 2022 07:42:31
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AFRIQUE :: Le banquet des marabouts : servi par Aïcha Yatabary :: AFRICA
Pour les vieux de la vieille, Le banquet des marabouts pourrait vous rappeler singulièrement Bonjour tristesse de Françoise Sagan. Le point commun étant que les deux romans sont narrés par de jeunes héroïnes aux conditions sociales plus que modestes, avec des situations familiales pas toujours en phase avec les normes du ménage classique. Le style, dans l’un comme dans l’autre roman, est tout aussi osé, c’est-à-dire émancipé ou tendant à l’être, loin de la prétention d’écrire un chef-d’œuvre, mais simplement une grande envie de raconter sa vie d’adolescence dans une écriture juvénile, quelque peu légère, à la limite du superficiel. C’est tout le charme : ce style journal intime, naturel, vrai.
Cependant Aïcha Yatabary fait conter son histoire par deux héroïnes différentes. Le ton est si uniforme et leurs aventures si ressemblantes qu’on a souvent tôt fait de les confondre. Leurs noms, Aïna et Mouna, c’est souvent le seul moyen de les distinguer, quand ce n’est par ceux de leurs petits amis, Modou et Soul, respectivement. Aïna et Mouna sont toutes deux issues d’un mariage polygamique, studieuses, amoureuses, fêtardes à l’occasion (de la SaintValentin). Leur philosophie de vie : « Dans la vie, il y a un temps pour tout. Je ne badine pas avec mes études. J’ai beau aimé la vie, les sorties, mon premier mari sera mon diplôme comme ma mère aime le répéter. » Comme le hasard sait bien faire les choses, Aïna et Mouna finissent par se rencontrer. Elles se lient d’amitié, puis se découvrent demi-sœurs, filles d’un même père (polygame), très aimé dans ses deux foyers, qui vivent séparément, sans se connaître.
Le livre de Aïcha Yatabary nous fait découvrir ainsi ce que peut être une famille polygamique africaine, ancrée dans l’ère du temps. Contrairement à ce que l’on a souvent tendance à croire, l’antinomie entre mariage polygamique et modernité n’est pas toujours avéré. Comment l’Africain d’aujourd’hui conçoit-il la polygamie, Aïcha Yatabary nous en donne quelques avis : « Les intellectuels vous parleront de statistiques, affirmant qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Les plus religieux se retrancheront derrière la religion : "dans le saint Coran, un homme a le droit d’avoir quatre épouses." Ils oublient qu’elles doivent être traitées de la même manière, avec égalité et équité. Et pourtant, dans la pratique, […] Il y a des hommes qui ont déjà épousé quatre femmes et entretiennent des maîtresses dehors, tout en proférant des proverbes du genre : "On ne peut pas manger la même sauce tous les jours !" »
« Dans ce contexte, les affaires du marabout marchaient bien ». La concurrence entre les coépouses est rude, alors on sollicite les services du féticheur pour toute sorte d’envoûtement et autres sortilèges pour garder son époux, ou du moins être la « Bara mousso » (favorite). La démarche peut paraître farfelue pour un Occidental, Aïcha Yatabary rappelle cependant que « Les marabouts sont les psychologues africains. A la fois les confidents et les accoucheurs de désir de ces femmes désemparés prêtes à tout pour obtenir gain de cause. »
Vous cherchez un bon moment de lecture, ce livre vous en donnera pour votre temps. Tenez par exemple ce bel extrait tout mignon, où Mouna, l’une des héroïnes est surprise de retrouver Soul chez elle, son petit ami avec qui elle vient de rompre. Sauf que… « Moi, je crois m’évanouir quand j’entends Agaï crier : "Soul ! Viens là !" Quoi ? Cet énergumène a osé revenir ? Ce n’est pas le moment. Je n’ai ni le temps, ni l’envie, ni la force de discuter avec lui. […] En entrant dans le salon, je ne vois personne, sauf le chien. Il est vraiment racé ce chien ! Bon où est Soul, que je l’expédie rapidement ?
— Non, Mouna, c’est mon chien, crie Agaï. J’ai décidé de l’appeler comme cela.
Il ne manquait plus que ça. Entendre vociférer le nom de Soul à longueur de journée !
— Mais ma puce, Soul, ce n’est pas un nom de chien ! Appelle-le Bobby, ou Douglas ou Snoopy !
— Non ! Ce sera Soul ! »
Le banquet des marabouts de Aïcha Yatabary était en lice à l’édition 2016 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL)