"L’Etat Z’héros ou la guerre des gaous" de Maurice Bandaman
AFRIQUE :: LIVRES

AFRIQUE :: "L’Etat Z’héros ou la guerre des gaous" de Maurice Bandaman :: AFRICA

L’araignée, la petite ouvrière tisseuse de toiles  n’a pas fini d’inspirer des mythes, des histoires fantastiques et de la bonne littérature. Ici on parlerait plutôt de conte, à l’africaine, ou mieux, à chaque conteur son style, à la Maurice Bandaman.

L’auteur semble-t-il avait déjà fait parler de lui dans le rayon du roman-conte, ou du conte-romanesque, dans un précédent ouvrage intitulé Le fils-de-la-femme-mâle. Cette fois-ci, il nous revient dans ce même registre avec L’Etat Z’héros ou la guerre des gaous. Une espèce de fable contemporaine où l’Homme porte bien son nom aristotélicien (Animal politique). Il y est certes aussi question de guerre ; mais qu’est-ce que la guerre, si ce n’est, comme a dit l’autre, « une continuation de la politique par d’autres moyens » ?

L’araignée de Maurice Bandaman n’a pas grand-chose en commun avec la gigantesque bête arachnéenne de Franz Kafka dans La métamorphose. Avec Maurice Bandaman nous avons affaire non pas à un homme qui perd bien malgré lui son corps humain pour celui d’un scarabée géant, comme dans le livre du génie de l’absurde, mais plutôt à une araignée qui peut délibérément emprunter diverses morphologies, y compris celle de l’homme, selon ses besoins du moment. L’araignée de Maurice Bandaman porte un nom : « Akèdèwa, fils d’Akèdè, génie de la médisance, et d’Assè, la terre ! »

Une fois les civilités faites en introduction, dans une déclamation chantante comme seuls les conteurs africains en ont le secret, Akèdèwa va vous transporter au cœur de l’histoire ; oui, au cœur, parce qu’il n’est pas question que vous restiez là, à regarder se dérouler le monde, en gentil spectateur innocent. Akèdèwa est un homme d’action – enfin, une araignée-homme (différence fondamentale avec l’homme-araignée Spiderman, super-héros de pacotille à côté d’Akèdèwa).

Grâce aux pouvoirs de métamorphose d’Akèdèwa, vous allez mieux comprendre l’histoire, et précisément le conflit armé qui a secoué la Côte d’Ivoir… la Boubounie plutôt ! (un lapsus, Votre Honneur). Vous serez tour à tour, dans la peau d’Akèdèwa, le génie-totem de Kanégnon l’enfant-démon et futur président de la Boubounie, le féticheur et proche collaborateur du président de la République, l’agent espion infiltré dans la rébellion (les Forces terribles), puis l’homme de confiance du commandant des Forces terribles, et même un militant acharné des Forces scolaires, l’incontrôlable Syndicat des étudiants de la Boubounie. Il n’en fallait pas mieux pour, en regardant cette guerre fratricide à travers les lunettes des divers belligérants, en arriver à la seule et unique malheureuse conclusion possible : la guerre se fait toujours au détriment du peuple ; c’est une funeste entreprise qui ne profite qu’à ceux qui la font, ou la commandite très souvent de l’extérieur. Petite illustration par ce dialogue entre Akèdèwa et le président de la Boubounie, au plus fort des hostilités :

-Le peuple est fatigué, monsieur le Président.

-Je suis plus fatigué que le peuple. J’aurais voulu tout lâcher, tout abandonner pour m’exiler et vivre sur une île du fruit de mon travail. Mais si je lâche, les gars vont me tuer.

-Qui ?

-Les gars, tous ceux qui profitent du régime, de la guerre.

-Les Blancs ?

-Les Blancs, les Noirs, mon entourage, mes proches, les rebelles.

-Les rebelles aussi ?

-Mais qu’est-ce que tu crois ! Ils ont des châteaux, ils ont des milliards, ils ont les plus belles femmes du continent. Tous veulent que la guerre dure le plus longtemps possible pour en profiter au maximum.

Akèdèwa n’est pas un enfant de chœur, autant mieux vous prévenir puisque vous êtes appelé à cheminer avec lui dans le conte. C’est un sans-cœur, une entité démoniaque qui n’aura d’humanité que l’apparence. Par endroits ses actes abominables vous donneront des haut-le-cœur et vous laisseront sans voix. Mais il a d’autres qualités. Par exemple, c’est un bon narrateur et même un peu un poète. Avec lui vous allez redécouvrir et aimer la nuit :

« Une nuit. Les ténèbres avaient dressé des murs épais, et la nuit elle-même s’étonnait d’être aussi ténébreuse, impénétrable, noire comme le fond d’un tombeau antique.

Les lucioles, si promptes à pavoiser à même les herbes, jouant à saute-mouton sur le sol recouvert de son manteau de nuit, pour exhiber leurs couronnes étoilées, s’étaient, comme par peur, volatilisées, rendant ainsi, par leur absence, la nuit encore plus abyssale, plus profonde. »

Avec Akèdèwa, vous allez redécouvrir et aimer la mer :

« La mer m’a toujours impressionné. Le moutonnement ininterrompu des vagues, cette musique sourde qu’elles produisent en battant la plage, ce long tapis d’écume blanche qu’elles répandent comme une écharpe royale produisent en moi des sensations mystérieuses.

Et puis, cette vastitude, cette étendue sans fin, cet horizon imprenable qui se profile à l’infini, voilà l’incommensurable intelligence de Gnamien Kpli, Dieu le Grand, qui nous offre de voir sa beauté dans les choses de la terre. »

Vous allez aimer la forêt :

« Une forêt ! Telle que je les aime : drue, sombre, parcourue de lianes qui s’entrelacent et s’entremêlent, peuplée d’arbres géants et énormes. »

Mais encore, Akèdèwa est un de ces artistes de la rhétorique africaine qui œuvre à l’africanisation du français (peut-être le début de la colonisation à sens inverse) :

Akèdèwa ne dit pas « Cérise sur le gâteau », mais « Tête d’agouti sur le foutou » ; oubliez le bon vieil adage « On ne fait pas d’omelette sans casser les œufs », avec Akèdèwa c’est « On ne fait pas du kédjénou sans découper l’agouti ».

Il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter bon appétit ; euh… bonne lecture plutôt. Enfin, c’est la même sauce. 

L'Etat Z’ héros ou la guerre des gaous de Maurice Bandaman était en lice à l’édition 2016 du GPAL (Grands Prix des Associations Littéraires).

Crédit photo: AIP PAR ATAPOINTE

Lire aussi dans la rubrique LIVRES

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo

L'actualité en vidéo