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© FB : Severin Hyacinthe Batsock
- 22 Jan 2022 12:23:30
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CAMEROUN :: GOUVERNANCE AD VITAM ÆTERNAM ENTRE ORDRE ET DÉSORDRE : Étude à partir des pouvoirs Ahidjo et Biya :: CAMEROON
Le pouvoir d'Ahidjo pour se renforcer, se perpétuer et assurer son hégémonie se nourrissait essentiellement de l'ordre. Certes le pouvoir de Paul Biya, dans ses débuts, s'inscrira dans la continuité mais il connaîtra une rupture avec la "réouverture du jeu politique" au Cameroun. Cette rupture ou discontinuité va conduire le pouvoir du renouveau à puiser dans le désordre pour assurer une gouvernance ad vitam æternam. Parler de "l'ordre" et du "désordre" ici consiste à faire fi des clarifications classiques pour comprendre que :
1) l'ordre et le désordre à partir de la redistribution : convoquons dans cette partie ce qu'Achille Mbembe appelle la "dette sociale" ou la "dette communautaire". Avec le pouvoir d'Ahidjo, certes pas formelle, mais la redistribution était une obligation. Il était donc exigé aux élites de procéder aux redistributions des ressources dans leurs localités respectives. Il fallait s'assurer que la communauté à qui l'on devait sa réussite méritait que l'on lui rende l'ascenseur en venant en aide aux nécessiteux du village, surtout aux cadets et fils qui allaient à leur tour assurer la continuité de ce phénomène car devenant à leur tour des endettés communautaires.
Ce qu'il faut comprendre ici est que le pouvoir d'Ahidjo avait un objectif principal : le désenchantement politique des populations. Il était question d'orienter les populations dans les domaines économiques et socio-culturels en leur donnant à manger et à boire, en leur venant en aide en matière de santé et soins médicaux, bref en subvenant à leurs besoins sociaux ; ceci pour les empêcher de s'intéresser ou d'avoir un regard sur le pouvoir politique. Pour s'assurer de cette procédure, Ahmadou Ahidjo s'appuyait sur certains leaders communautaires à l'instar de André Marie Fouda, Aboubakar Ousmane Mey, Fotso Victor, Salomon Tandeng Muna, Joseph Charles Ndoumba, Seidou Njimoluh Njoya...
Par contre le pouvoir du renouveau, surtout avec le retour à la pluralité, va déconstruire pour reconstruire ce fait afin de mieux s'adapter. Qui plus est, frappé par les crises économiques qui n'ont pas épargné le Cameroun teintées des Programmes d'Ajustement Structurels (PAS) et des revendications politiques, l'on va progressivement assister à l'effritement ou à la disparition des associations dans lesquelles les redistributions se faisaient. Pour des associations qui vont survivre, on assiste à la redéfinition du mode de fonctionnement.
Autre lecture : le pouvoir de Biya est marquée par une flagrante corruption. Ici on ne vole plus pour la communauté, pour redistribuer mais on vole pour soi, pour sa famille (généralement nucléaire), pour ses affidés. On appauvrit les populations et on les concentre dans la débrouillardise (on est charpentier le matin, gardien le soir), la survie, la recherche du pain quotidien. Cette loi pour la survie va donc entraîner un désordre où l'on est prêt à tout, jusqu'à mettre fin à la vie de l'autre pour garder la sienne.
2) l'ordre ou le désordre à partir des associations : cas des religions.
Le pouvoir d'Ahidjo parce que soucieux de préserver son hégémonie et sa mainmise sur le Cameroun était très méfiant des associations comme les églises. À cet effet, la laïcité n'étant qu'un mot vide de sens, le pouvoir d'Ahidjo avait identifié certaines religions jugées dangereuses et nocives pour son pouvoir. Ainsi être "témoin de Jéhovah" ou "être membre d'une église de réveil" était mettre sa vie en danger ou la remettre entre les mains des hommes de Fochivé. Les témoins de Jéhovah et les églises de réveil contrairement aux «églises conventionnelles" (EPC, EEC, Église catholique, l'islam...) fonctionnaient dans la clandestinité. La création des églises devait être soumise à une réglementation bien précise. Il n'existait pas un foisonnement ou une myriade des églises dans le pays d'Ahidjo. Il fallait surtout avoir un contrôle sur ce domaine surtout que les entreprises politiques étaient frappées d'interdiction avec les ordonnances du 12 mars 1962.
Par contre le pouvoir de Paul Biya depuis 1990, parce que contraint à une pluralité, va favoriser une multiplication des religions au Cameroun. Même les religions interdites sous Ahidjo vont sortir de la clandestinité. Puisqu'étant toujours sous la dictature malgré le retour à la démocratisation, la multiplication de ces religions et le désordre qui les anime (conflits entre fidèles, conflits entre dirigeants de l'église, conflits entre dirigeants de l'église et fidèles...) sont instrumentalisés par l'ordre dirigeant.
Les églises construites de plus en plus par les élites (peu importe la religion) doivent contribuer davantage au désenclavement politique des populations et si elles doivent parler de politique, c'est pour éviter des insurrections car le "Seigneur Jésus nous a laissé la Paix" et surtout que c'est "Dieu qui fait et défait les rois" (autrement dit si Paul Biya est encore à la tête du Cameroun, c'est parce que Dieu veut qu'il soit encore là).
De telles idées qui ont créé des conflits au sein de l'église favorisant sa balkanisation ; de telles idées qui sont en déphasage avec celles qui dirigent actuellement les puissances occidentales car caractérisées par la rupture avec l'ère médiévale et l'émergence de la Renaissance, le retour à la pensée Gréco-Romaine, les thèses existentialistes (d'un Jean Paul Sartre par exemple) où l'Homme est placé au centre de sa vie, de sa préoccupation et de son existence.
3) l'ordre et le désordre à travers l'usage politique du droit. Lire mon texte sur la double nationalité. Dans ce texte je montrais comment les deux pouvoirs mobilisaient différemment l'usage politique du droit pour la disqualification politique de certains acteurs. Et là, il en ressortait que la mobilisation de l'usage politique du droit dans le pouvoir de Biya relevait du désordre contrairement à celle dans le pouvoir d'Ahidjo.
4) l'ordre et le désordre à travers la vulgarisation de la drogue. Bien que se consommant sous le pouvoir d'Ahidjo, la drogue était strictement et alors strictement interdite. Car pour le pouvoir d'Ahidjo, laisser la jeunesse à la merci de la drogue relevait de la création d'une société de drogués qui, avec l'émergence d'un ou plusieurs leaders pouvaient en instrumentaliser pour la remise en cause de son hégémonie. Par contre la flexibilité du pouvoir du renouveau vis-à-vis de la consommation de la drogue qui a élu domicile en milieu jeune repose sur tout autre chose. Il s'agit de la création du désordre entre les jeunes astreints aux pratiques sociales (bagarres de rue, animations dans les veillées, délinquances de toute sorte...)
En définitive, il en ressort de cette analyse que le désenchantement politique des populations a toujours été au centre des préoccupations des pouvoirs d'Ahidjo et de Biya. Cependant les modes opératoires ou les technologies mobilisées ont été différents en ce sens que le premier s'est longtemps appuyé sur l'ordre tandis que le second puise depuis le retour à la réouverture du jeu politique dans le désordre.
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