Crise anglophone : l’entêtement du pouvoir pour la solution militaire
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La crise anglophone, avec son lot de tueries humaines, a poussé deux membres du gouvernement à sortir de Yaoundé. Le premier ministre Joseph Dion Ngute à Buea, dans la région du Sud-Ouest le 21 septembre 2021, et le ministre délégué à la présidence de la république chargé de la défense Joseph Beti Assomo à Bamenda le 22 septembre 2021. Ces descentes ont été provoqués par la perte en 7 jours de 21 soldats camerounais au front de guerre, l’inquiétude venant du fait que la dernière attaque dans la soirée du 16 septembre 2021 à Bamessing au cours de laquelle 15 soldats ont trouvé la mort, a été faite à l’aide d’un lance-roquette.

Le ministre délégué à la défense a reconnu la gravité de la situation dans ses propos : « Nous sommes venus à Bamenda dans la région du Nord-Ouest ce jour dans l’urgence, le haut commandement militaire et moi, envoyés par le Président de la république chef des forces armées, au lendemain des attaques meurtrières et perfides dont les Forces de défense et de sécurité ont été l’objet ces derniers temps par les irrédentistes séparatistes, manifestement dotés d’un matériel de plus en plus sophistiqué et bénéficiant, cela est établi, de l’appui humain et matériel extérieur.

Ce nouveau paradigme de la situation sécuritaire pourtant en voie de consolidation dans cette région comme dans celle du Sud-Ouest, appelle instamment au changement d’approche dans l’action des forces de défense et de sécurité…L’évaluation de la situation à laquelle nous venons de procéder profondément permettra de consolider les acquis des opérations intentées jusqu’ici. Les Forces de défense et de sécurité restent solidaires et étroitement unis dans la conduite des opérations. Bien évidemment je ne saurai ici vous donner les détails des réajustements et actions appropriés qui vont être menés sans délai, car en la matière l’action ne saurait aller de pair avec l’incantation. Vous me donnerez également l’occasion de dire à toutes ces prétendues âmes bien pensantes qui semblent avoir trouvé dans ces moments d’épreuve une occasion de se livrer à des campagnes populistes et de fragilisation subtiles ou actives de démobilisation des Forces de défense et de sécurité, que leurs manœuvres de donneurs de leçons et censeurs de l’action du gouvernement sont bien connues et suivies. Et il est à tout le moins le concours de certains de nos partenaires. »

Le Premier ministre quant à lui, présidait le même jour 22 septembre à Buéa, la deuxième session du Comité de suivi des recommandations du Grand dialogue national. Ses déclarations à la presse à la fin de la rencontre : « je crois que ce qui m’apparaît le plus important, c’est que les membres de ce comité de suivi ont demandé que toutes ces mesures que le Chef de l’Etat a prises, tout ce qui est dans les textes, le statut spécial et tout ce qui concerne la décentralisation, soit bien expliqué au peuple, parce que beaucoup ne savent pas encore ce qui a été fait pour répondre à leurs aspirations. Donc nous allons rentrer à Yaoundé, travailler pour informer toutes les populations et les couches sociales de tout ce qui a été fait afin de pouvoir gagner la confiance et arrêter ce conflit qui continue à rendre les gens très malheureux »

Bien évidemment je ne saurai ici vous donner les détails des réajustements et actions appropriés qui vont être menés sans délai, car en la matière l’action ne saurait aller de pair avec l’incantation.

La fleur au bout du fusil ?

Deux lieux, deux membres du gouvernement, deux discours et un même sujet. La crise anglophone. Pendant qu’à Bamenda le ministre de la Défense tenait un langage guerrier et promettait de réajuster les opérations militaires, à Buéa le Premier ministre promettait de travailler à mieux informer les populations sur les actions gouvernementales et se disait disposé à écouter tout le monde pour prendre les avis des uns et des autres sur la meilleure façon de mettre en application les résolutions du grand dialogue et pouvoir sortir de l’impasse.

Ces divergences dans les propos relevaient-elles d’une stratégie bien pensée, celle de la carotte et du bâton, où indiquaient-elles plutôt une certaine incohérence de l’action gouvernementale ? Toute laisse penser que la deuxième hypothèse est la bonne. Pourquoi en effet, le premier ministre et son collaborateur chargé de la Défense n’ont-ils pas fait chemin ensemble pour aller tous les deux dans les deux régions ?

Joseph Beti Assomo comme ministre délégué, répond directement de la présidence de la République certes, mais les deux sont au service d’un même gouvernement et supposé parler le même langage. Mais chacun semble avoir son registre langagier, et au regard de la sphère d’influence, on peut être tenté de croire dans ce cas plus à ce que dit le ministre de la Défense qu’à ce que souhaite le Premier ministre. Ce qu’il y a à retenir donc de ces deux descentes, c’est que le pouvoir va durcir le ton, désormais conscient que la crise a pris des proportions inquiétantes. La solution militaire reste donc toujours d’actualité.

Il n’y a pas de solution militaire. Ce qui est dans l’esprit humain ne peut pas être éteint par la force

Persistance dans l’erreur

L’adage dit : « quand tu tombes dans trou, il faut arrêter de creuser », et l’autre « celui qui évite les problèmes n’est pas toujours un peureux.» Le pouvoir continue de penser que c’est le déploiement militaire qui mettra fin à la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. On ne peut compter des vies humaines englouties depuis bientôt 5 ans que les armes crépitent dans cette zone, sans que la situation ne s’améliore, au contraire, le Mindef lui-même reconnait que 5 ans après, les séparatistes sont « manifestement dotés d’un matériel de plus en plus sophistiqué et bénéficient de l’appui humain et matériel extérieur. » Et il parle de réajustement de la stratégie. Est-ce que depuis lors les forces de défense et de sécurité s’amusaient ? Après cette sortie du ministre des militaires, Célestin Bedzigui, homme politique a eu ces mots :

« Ceux-là qui en font une question de supplément d’armes et d’hommes à envoyer à la guerre au NOSO sont de parfaits (..) fanatiques. Sur le plan militaire, notre armée subit chaque jour des défaites du fait de l’incurie de son commandement qui envoie combattre les enfants du Bir sans motivation ni connaissance du terrain, et plus est, avec un armement dépassé ». Et juste après les évènements qui ont précipité la descente des membres du gouvernement, l’ancien sous-secrétaire d’Etat américain pour l’Afrique, Tibor Naguy avait posté sur son compte twitter ; “Tellement désolé de voir la violence accrue dans le conflit anglophone du Cameroun. J’ai prévenu pendant des années que s’il n’était pas résolu, le conflit deviendrait plus meurtrier et se propagerait. Il n’y a pas de solution militaire. Ce qui est dans l’esprit humain ne peut pas être éteint par la force »

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