AMOBE MEVEGUE, LES CAUSES DE SA MORT ! PAR CALVIN DJOUARI
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FRANCE :: AMOBE MEVEGUE, LES CAUSES DE SA MORT ! PAR CALVIN DJOUARI

Confier son corps, les yeux fermés, à tout un village armé de mixture, était une erreur à ne pas commettre pour celui qui a grandi dans les cités.  Le village de Nkolbogo dans le département de la Lékié, village d’origine du journaliste Amobé Mevegue était bien connu, mais sa renommée n’était guère répandue comme ce dernier jour depuis sa disparition. La diaspora camerounaise et surtout africaine est en deuil car elle a perdu une voix qui comptait pour elle. Une référence. Un modèle.

Ce fut une nouvelle difficile à annoncer.  Il y a quelques semaines seulement, le journaliste était en pleine forme, lorsqu’il se rendait dans son village pour accompagner sa nourrice à sa dernière demeure. Cette maman qui l’avait élevé et dont il chérissait tant était tout pour lui. J’ai vu comment un monde peut être éploré. Camarades, amis et collègues, noirs et blancs, antillais et brésiliens, anonymes ont montré leur estime pour l’homme Mevegué.   Jamais, on n’avait vu tant de personnes autour d’un homme dans une cérémonie traditionnelle.

C’était il y a un mois. Et là dans un village, presque tout le monde était venu pour voir un Homme. Le village s’était fait un nouveau décor, avec des stands neufs. Les femmes avaient retrouvé l’élégance de jour des fêtes. Des jeunes étaient curieux ; des villageois étaient sortis des cavernes. Et pourquoi tous ces gens étaient-ils là ? Parce que c’étaient les funérailles de la nourrice d’un célèbre journaliste camerounais. On pensait que l’homme avait atteint tous les apogées et qu’il était temps de lui donner d’autres bénédictions pour un nouvel essor…

Devant la frénésie de ces femmes, les images des festivités nous obligeaient à nous attarder sur un seul homme, vêtu d’un costume traditionnel.   A cet homme, on a ordonné. « Asseyez-vous monsieur Mevegue. » Il a obéi. Il s’est assis. On lui a donné un sceptre. Une fois assis, on lui a dit : « levez-vous monsieur Mevegué, il s’est levé. Il    devenait à partir de cet instant un patriarche.

Voilà l’apothéose d’un homme qui devait quitter son village dans les jours suivants pour aller mourir. Une personne qui était sur les lieux m’a dit : « la cérémonie était comme si on l’engraissait pour bien le cuir. Son dernier sacre. Le sacre de sa vie, le plus fastueux. Il faisait un froid glacial ce jour, les hauts dignitaires du village étaient présents, les voix des femmes retentissaient, la cérémonie a été immortalisée par de nombreux photographes.  

Il y a toujours eu des rites en Afrique ; on n’imagine pas les africains sans des rites. À chaque décès, c’est un affrontement traditionnel avec les esprits dans certaines communautés qui cultivent encore des survivances anachroniques.   La rédaction de cette chronique m’a posé un rare embarras. Pour nous qui croyons souvent à la sorcellerie, il faut nous considérer pour des fous, parce qu’à chaque mort, nous trouvons toujours une main occulte puissante qui agit. Ce sont des phénomènes troublants. Mais que dire ?

C’est l’Afrique. Faute de rationalité dans les faits sorcellaires, nous devons marcher sur le chemin brumeux qui sépare le monde des vivants et le monde des morts.   Amobe Mevegué, je l’ai connu à Libreville en 1997 par le canal de Jules Kamdem. Ils ont travaillé ensemble. Il y venait pour les soirées organisées par Consty Eka. Jules Kamdem  qui réside actuellement en France était fou de lui. Il le vénérait presque. Il le représentait aussi à Libreville pour une tranche d’antenne de deux minutes sur RFI dans les émissions culturelles.

Du matin au soir, il me parlait d’Alain (son ancien prénom) Mevegue. Ce dernier le prendra finalement sous son aile. Et une fois Consty Eka parti du Gabon, Jules Kamdem deviendra la star des festivals à Libreville. Amobé   était de ceux qui fabriquaient les gens sans le faire savoir. Il était de ceux qui n’avaient pas besoin d’avoir leur photo ou de prononcer son nom pour impressionner un parterre. Il laissait les gens le découvrir.    Mevegue a rendu les métiers de la communication présents dans les esprits. La passion d’un métier pousse celui qui veut aller loin à travailler davantage ses prouesses.

Il fait partie de ceux qui travaillaient très tard le soir, pour être présent le matin. C’était un acteur pour tout dire. Il faut assister à un tournage pour comprendre pourquoi on peut qualifier quelqu’un d’acteur. Le journaliste Amobé appartient à cette grande famille de journaliste de lumière que le Cameroun a révélé, afin que l’Afrique le connaisse et pour que le monde l’admire.

Un homme simple et d'une rare intelligence. Un homme discret qui voyait sans regarder et qui entendait sans écouter. Un homme pittoresque, d'une grande finesse et d'un grand aplomb. Un avocat de la jeunesse et un avocat de l'humanité. Un intellectuel de haut niveau. Amobe était doté d'une grande ouverture d'esprit et élevait toujours très haut le niveau des débats. Il cultivait la passion de partager les connaissances de son métier, ses expériences, il les écrivait sur un tableau. Que d'hommes politiques, que de communicateurs camerounais et étrangers n’a-t-il pas formés ou arrosés de ses conseils, de ses pensées ? Tout cela dans son auguste humilité.   C’est un journaliste qui avait atteint le top niveau ?

Il s’est battu corps et âme pour le triomphe du bien, du beau, et du vrai bref des valeurs africaines surtout quand il était à France 24. Il militait pour le triomphe des causes justes pour le triomphe de la Vérité. Il a souffert parfois beaucoup de l'incompréhension de ses frères de la diaspora ressortissant de son département. Il a connu des opprobres.

Mais, en dépit des égarements, des revers de la vie, des coups bas reçus çà et là, il rappelait à ceux-ci quand il fallait couper le gâteau. Mais nos frères du village sont ce qu’ils sont. Ils ne connaissent que leur miracle, pas les miracles des autres. Ils ne veulent que leurs éloges pas l’éloges des autres.   Le départ prématuré de cette belle figure constitue une grande perte pour notre diaspora qui se distingue fortement dans la communication et qui domine depuis des années l’arène internationale.  

Les camerounais ont la primeur dans la communication ici en occident et Mevegué en était un de ses fleurons. Amobe aimait les rites ancestraux. Il avait une grande connaissance des us et coutumes de son village, mais la dernière fois, c’était trop beau pour être vrai. On l’a engraissé pour bien le cuir.   Voilà un homme qui a passé sa vie à travailler sur de nobles idéaux, sur de belles visions, sur des projets ambitieux au point de créer sa chaîne télé qui s’en va avec toutes ses connaissances. Un rêve qu’il nous disait déjà au Gabon.

Qu’il aura un jour sa chaine télé. Il est allé jusqu'au bout de la mission qu'il s'était tracée. C’est comme ça qu’il faut se   vider de toute sa substance corporelle, sans tambours, ni trompette, pour une vie lumineuse.  

Toujours éveillé, toujours de bonne humeur, il maîtrisait et chérissait la langue française, la culture et les grands hommes. Tous ceux qui l’ont approché sont unanimes ; le journaliste avait les bonnes manières, sa franchise, son style, sa prestance, sa générosité, sa constance, son langage, son engagement, sa compétence dans le devoir bien accompli et sa bonté de cœur faisait de lui, la fine fleur de notre diaspora.

Parfois, des gens naissent avec une aura, ils se démarquent et focalisent l'attention depuis leur plus jeune âge jusqu'à leur disparition. Mevegue était de ceux-là. Son talent avait dépassé tous les niveaux. Il aimait les forces de la nature, mais ce jour-là c’était une cérémonie de trop.

Mais Amobé reste désormais une légende qui restera ancrée dans nos mémoires, sa mort précoce a renforcé cette légende.   Qu’est-ce qui aurait causé sa mort subite ? Pour ma part c’est l’émotion… Après avoir longtemps regardé cette cérémonie à laquelle il a eu droit, j’ai cru voir une proie ou alors un poids qui dépassait ses épaules qui l’a effondré. Les rituels traditionnels de nos pays sont très compliqués, ce qui se passe devant tout le monde n’est qu’une simple formalité, mais dans la forêt ou dans la maison, c’est insupportable lorsque tu passes à la phase d’initiation.    

Il a très certainement vécu un choc émotionnel qui pesait dans son subconscient et le contraste entre la tradition et le modernisme, a détruit son instinct de conservation et il a dû succombé par-là. Autrement dit, les dispositions émotionnelles sont des propensions à éprouver des émotions occurrentes. Par exemple la frénésie, cet excès de joie l’a fait revoir une autre vie en rose et il se serait mis en confiance après cette ambiance ancestrale, ce qui l’a fait aussitôt relâché les réflexes de sécurité.    

Dans une cérémonie traditionnelle, tous les intervenants doivent être contents, sinon il y aura des imprévus, lorsqu’une seule personne n’est pas contente, c’est très dangereux. Il faut savoir que la mort n’est que cette image derrière laquelle se cache les vrais motifs. C’est l’émotion qui a tué Amobe en plus du rite extraordinaire dont il s’est fait embaumé le corps. Ce jour-là, il avait trop reçu, il n’a pu supporter le couronnement, puisqu’à son retour, il ne parlait que de cette cérémonie. Il se sentait investit de tous les pouvoirs partant de là, un nouveau rayonnement.  

Les villageois ont deux problèmes : premièrement, ils n’aiment pas qu’on vienne leur montrer qu’on a trop d’argent à l’occasion des obsèques (cercueil chers, habillement, buffet grandiloquent, funérailles grandioses), alors que le village souffre, ils mettront tout cela sur ton dos. Soit ils te font perdre mystiquement ton boulot, soit tu perds un membre de ta famille afin que tu reviennes avec d’autres festins. Tout vient souvent de la famille proche, celle-ci commence à te haïr quand tu n’amènes pas un cousin ou une cousine qu’elle te propose en ville ou en Europe. Souvent elle te soumette des problèmes qui dépassent ton entendement. Très régulièrement on me demande d’envoyer une voiture.

Plus de dix personnes m’ont déjà fait cette demande.  Les villageois sont limités dans les villages pour de petites choses.  Je me souviens dans un village dont je tais le nom, un marchand a dormi devant ma porte pour 200 FCFA. Tout simplement parce qu’on avait pris sa marchandise et on manquait de monnaie. Nous l’avons découvert le bon matin en ouvrant la porte. Et un autre à qui j’avais remis un billet de 10 mille a fait semblant de chercher la petite monnaie pour s’enfuir du village pendant mon séjour. Au village on te proposera toujours quelques petits rites ou les gris-gris. Il faut parfois refuser.

Sinon quand tu réussis un jour, ils récupèrent cette réussite pour dire que c’est grâce à leur bénédiction. Quelle colère je n’ai pas souvent piqué quand on me l’a dit. En ce moment je ne te donne jamais rien. Rien du tout.  Par ailleurs, ce n’est pas parce que tu as un bon cœur au village que tu échapperas à la méchanceté. Tu as tapé à côté si tu penses ainsi. Plus tu donnes, plus ils te posent des problèmes et s’organisent pour te nuire. Des éternels insatisfaits. Tout leur attire sur toi, ton vêtement, tes chaussures, ta montre, ta chainette, ils veulent rester avec tout et te le demandent publiquement.  

Autre chose, ça peut ne pas être la sorcellerie… Je pèse mes mots… L’air que nous respirons en Afrique est pollué à certains endroits pour celui qui est habitué à vivre ici depuis longtemps. Il faut toujours se faire vacciner avant de voyager. Combien de nouveau-nés amenés en vacances sont morts en Afrique lorsque les mamans sont allées les présenter aux grands-parents. L’eau, ou l’air qu’on respire aujourd’hui en Afrique n’est plus l’air des années 70. La déforestation a causé un tort à l’Afrique, mais elle ne peut pas le savoir.

C’est pourquoi les gens meurent tous les jours.  Souvent ce n’est pas la sorcellerie. Les conditions sanitaires sont précaires en Afrique. Nous mangeons mal, nous buvons mal, nous dormons mal, je conseille à tous les parents en occident de ne jamais amener les nouveau-nés en Afrique avant 5 ans. Même s’ils sont vaccinés ils courent de graves dangers. Les exemples sont légions. Les couples se sont séparés ici parce qu’on accusait les familles d’avoir tué leur nouveau-né. Faux. C’était l’environnement.   Eh oui…A 52 ans, il s’est éteint… l’étoile du journalisme camerounais qui illuminait les médias. Celui qui avait ouvert la voie à de nombreux jeunes. Amobé était au sommet de la célébrité.

C’était un homme qui avait atteint tous les hauteurs. Son style a été une source d’inspiration pour les milliers des jeunes à travers le monde. Il n’était pas un journaliste à venir, il l’avait déjà accompli, cet avenir. Une chose est sûre, l’héritage intellectuel laissé par cet homme dépasse de loin tout ce qu’on peut imaginer. Voici un homme franc, honnête, sincère, intelligent, profondément intelligent. Un travailleur. Il avait sa façon : lorsque tu l’appelais, et que ton numéro ne s’affichait pas… il attendait jusqu’à découvrir de qui il s’agissait. Il lisait ton message et il t’étudiait même pendant cinq ans, pour te surprendre un jour en te proposant quelque chose qui devait t’arranger dans ton domaine. Il marchait avec son cœur, un vrai homme de parole.

Ce sont des valeurs qui permettent de respecter un homme. Tous ceux qui ont côtoyé ce journaliste, gardent d'une manière ou d'une autre, de beaux souvenirs. Ses blagues et son art de plaire, sont uniques à un homme. C’est pourquoi il suscitait l'admiration de tous. Ceux qui l’ont connu jeune, savent qu’il était extraordinairement beau mec. Sa beauté montrait son aspect humaniste, aimable, familier.

C'était un être passionnant et passionné, un bosseur jovial, affectueux, plein de vie et de charme. Il avait encore beaucoup à donner, mais le sort en a décidé autrement.

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