Violences sexuelles au Noso: Les victimes se cachent et se couchent sur un lit de silence
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Les défenseurs des droits humains dénoncent…Et la possibilité de traduire les bourreaux devant la cour pénale internationale est prescrite par le protocole additif de la Convention de Genève et le protocole additionnel de la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatifs aux droits de la femme.

Ce vendredi de la fin du mois de juin 2021 à Bafoussam. Un vent frais souffle sur la ville du Dr Tagny Mathieu. Cette fraîcheur semble soulager la peine qui étouffe le cœur d’Oumarou Buhari, 25 ans. N’imaginant pas que le passager qu’il conduit est un journaliste, à quelques minutes de la destination, sous les lampadaires vifs qui illuminent le quartier Haoussa de Bafoussam, il se lâche en « piding English » (une langue vernaculaire du Cameroun): «Bafoussam is cool, Bafoussam is fine. I’m happy since four days à be for here ». Traduction : « La ville de Bafoussam est agréable à vivre. Je me sens bien ici depuis quatre jours que je m’y trouve.»

Humiliée et froissée

En fait, cet infortuné est venu grossir le rang des centaines de milliers de déplacés internes de la crise dans la région de l’Ouest. Après quelques jours passés dans la métropole régionale de l’Ouest, il réalise qu’il sort d’un calvaire. En compagnie de son frère cadet et de l’épouse de celui-ci, il a fui Wum dans la région du Nord-Ouest. Après deux semaines de marche dans la brousse, ils ont pu retrouver la route. Et ont rejoint la ville de Bafoussam. Au-delà de la perte de plus de 65 bœufs et de centaines de moutons arrachés par des hommes armées présumés membres des groupes séparatistes armés qui revendiquent la sécession des deux régions anglophones du Cameroun depuis fin 1996, ils sont hantés particulièrement par le fait que Fati (Ndlr : nom d’emprunt), 17 ans et épouse de son frère cadet a été violée par ces assaillants. « Ils nous ont battu. Ils ont couché avec la femme de mon frère. Ils nous ont demandé de quitter leur « pays ». Ils nous ont traités d’ agents de renseignement de « la République »», témoigne-t-il. Humiliée, Fati n’ose pas raconter ce qui s’est passé. C’est difficile et douloureux pour elle, comme pour de nombreuses jeunes filles qui ont fui les atrocités dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest du Cameroun à cause des violences sexuelles. Car de nombreuses jeunes filles et femmes sont violées depuis le déclenchement de cette crise. Des accusations des organisations de la société civile sont, à la fois portées, contre les éléments des forces gouvernementales comme ceux des groupes séparatistes. Les victimes sont en majorité silencieuses et ne savent quels mécanismes activés pour la défense de leur droit. Nelly ((Ndlr : nom d’emprunt), coiffeuse, s’est retrouvée au quartier Bamendzi à Bafoussam parce que violée par des militaires qui ont fait des incursions dans son village, Fundong dans la région du Nord-Ouest. « C’est terrifiant ce qui se passe dans mon village lorsque les militaires arrivent pour, disent–t-ils, traquer les éléments des groupes armés séparatistes appelés « ambaboys ». Ils arrachent tout ce que vous possédez comme denrée alimentaire. Ils soumettent les filles de mon âge à leur désir sexuel. C’est triste et insupportable. J’ai préféré m’éloigner de ce genre d’agression pour me retrouver à Bafoussam. Je suis ici avec plusieurs de mes copines qui ont été violées par des hommes armées. Le policier, le militaire ou le gendarme confisque d’abord les papiers d’identité de sa cible et attend que tout le monde soit parti pour passer à la manœuvre. Puis il accuse la dame d’avoir commis un crime avant de lui demander des faveurs sexuelles ou de sortir avec lui pour qu’elle puisse s’en tirer à bon compte », explique-t-elle. Au moins une fille sur trois, est selon les défenseurs des droits humains, victime de ce type d’agression dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest du Cameroun. les forces de maintien de l’ordre se défendent généralement en disant que « les rapports » étaient consensuels.

Les femmes civiles protégées contre toute atteinte à leur honneur

Soulignons que l’Union africaine ('Ua) et ses États membres, à l’instar du Cameroun, ont déjà fait montre de leur ferme engagement à s’attaquer aux problèmes concernant les femmes et les enfants dans les conflits armés à travers des mécanismes de défense des droits de l'homme bien définis. Néanmoins, malgré les mesures importantes mises en place pour protéger les droits des femmes et des enfants dans les conflits armés, leur mise en œuvre est encore fragmentaire, notamment au Cameroun secoué par la crise du Noso et la guerre que mène la secte islamiste armée Boko haram. Par ailleurs, on ne perçoit encore aucun changement tangible dans le statut de la majorité des femmes et enfants africains. Alors que l’article 11 alinéa 03 du protocole additionnel de la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et relatifs aux droits de la femme impose aux Etats de s’engager à protéger les femmes contre toutes formes de violences, de viol ou toute forme d’exploitation sexuelle en cas de conflit armé. Ce texte demande que lesdites infractions soient considérées comme des crimes de guerre et que les auteurs de telles exactions soient traduits devant les juridictions compétentes. Le Protocole additionnel à la Convention de Genève du 12 août 1949 sur la protection des victimes d’un conflit armé non international (Protocole II) du 8 juin 1977 traite aussi de cette question avec précision. Dans le deuxième Protocole additionnel il s’agit de la protection des droits humains les plus importants lors de conflits armés non internationaux, c’est-à-dire lors de guerres civiles. Le deuxième Protocole élargit les garanties minimales des droits fondamentaux qui sont déjà contenus dans l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève, aux conflits armés internes. Il concerne exclusivement la protection des personnes privées (article 2 de Genève est plus explicite et prévoit que les « femmes [civiles] seront spécialement protégées contre toute atteinte à leur honneur, et notamment contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur ».

Des organisations de la société civile basées dans lesdites régions à l’instar de The Centre for Human Rights and Democracy in Africa(Chrda) dirigée par Me Felix Agbor Bala Nkongho, souligne que l’Organisation des nations unies (l’Onu) a recensé plus de 4 000 cas de violences sexuelles et sexistes dans cette région instable en 2020. Un millier de femmes font actuellement une grève de la faim pour dénoncer l’enlisement du conflit. « L’histoire se déroule généralement comme suit : vous vous présentez à un poste de contrôle de la police, et l’agent vous demande de présenter une pièce d’identité. Pendant tout ce temps, il lorgne sur la jeune femme pour satisfaire ses exploits sexuels», souligne-t-on du côté des défenseurs des droits humains.

La possibilité de saisine de la Cpi Près de 500 viols et agressions sexuelles ont été enregistrés au cours du seul premier trimestre de cette année. En 2020, l’ONU a signalé 4 300 cas de ce type. Il est constant que ce conflit a aggravé le phénomène de la violence sexuelle, où les gens profitent des personnes les plus vulnérables de nos communautés, en particulier les filles et les femmes. Susciter l’implication des autorités afin que la vulnérabilité des femmes soit réduite lors des différents conflits armés qui affectent le Cameroun ? La question qui taraude plus les esprits est celle de savoir si les victimes sont prêtes à parler ? « Quand vous en avez quelques-unes qui veulent raconter leur histoire, à un moment donné, elles sont menacées. N’oubliez pas que la plupart de ces crimes sont perpétrés par ceux qui portent l’uniforme ou les combattants qui ont les armes », explique une militante de défense des droits humains. Reste qu’il n’est pas exclu que les violences sexuelles en temps de conflit sont perçues comme des crimes contre l’humanité. Et les victimes pourraient être amenées à comprendre qu’elles peuvent porter plainte devant les juridictions internationales compétentes comme la Cour Pénale internationale (Cpi), même après de nombreuses années. Car ce sont des infractions imprescriptibles.

Guy Modeste DZUDIE(JADE)

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