Cinquante-sept années d’un militantisme politique particulier
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CAMEROUN :: Cinquante-sept années d’un militantisme politique particulier :: CAMEROON

Je suis de plus en plus persuadé qu’il y a un lien organique entre les différents moments qui ont marqué mon engagement en politique et la singularité de mon militantisme. Il y a d’abord la façon dont je suis arrivé en politique. Il y a ensuite, la façon dont je la fais depuis que j’y suis, et que, parmi les grandes figures du mouvement national camerounais qui ont émergé après la période des pères- fondateurs de l’Union des populations du Cameroun (UPC), j’ai principalement pour référence Woungly-Massaga qui à mon avis, après l’assassinat du président Ernest Ouandié le 15 janvier 1971 à Bafoussam, est resté l’un des rares hommes politiques qui avait encore une conscience claire des enjeux, un réel savoir-faire politique et organisationnel, et la détermination à toute épreuve dont doit être trempé tout véritable militant révolutionnaire et tout dirigeant politique digne de ce nom.  Et il y a enfin, d’une part, le grand nombre de personnalités politiques dont j’ai en général fait la connaissance dans le landernau politique camerounais, et en particulier, en petit nombre, celles dont j’ai été réellement proche, et dont la proximité a objectivement influé sur le déroulement et la qualité de mon militantisme.

Mes premiers pas en politique

Comme pendant les longues années de militantisme, je ne me suis jamais véritablement épanché sur ce sujet, beaucoup de gens ont pensé à tort que c‘est en France où je suis arrivé en 1974, que j’ai fait mes premiers pas en politique. Ceci n’est absolument pas vrai puisqu’en réalité, c’est en 1966 que cet événement à lieu au Cameroun. Cette année-là, sous la chape de plomb qui pesait sur le pays dirigé par le premier homme que le colonialisme français met à la tête du pays pour assurer la continuité de sa politique et préserver ses intérêts économiques, il survient le décès du Docteur Marcel Bebey Eyidi que je connaissais de nom et de réputation. De nom d’abord parce que dans la communauté Duala, l’homme jouissait d’un immense et authentique prestige comme élite, et ensuite parce qu’il était le médecin traitant de ma mère qui était comme lui originaire du même groupe ethnique. De réputation ensuite parce qu’il n’était pas seulement médecin mais aussi un émérite homme politique qui était non seulement le Secrétaire national du Parti travailliste camerounais PTC dont il avait par ailleurs été député. Mais bien au-delà, dans l’obédience du nationalisme camerounais, il avait aussi la particularité de jouir de la totale confiance de la direction de l’UPC, de loin le plus important parti de la mouvance nationaliste du pays. Une proximité qui en 1957 les a conduits dans les geôles du régime où ils avaient été jeté avec d’autres politiques. Et, dans cette même veine, il se disait qu’il était aussi le médecin traitant de Ruben Um Nyobé durant les événements qui l’obligèrent de prendre le maquis ou il fut assassiné le 13 septembre 1958 par les autorités coloniales. Cette complicité avec l’UPC ne pouvait être que vrai car bien années après en France, devenu moi-même militant de l’UPC, j’ai fait la connaissance du regretté camarade David Kom qui avait fait partie des détenus politiques et qui le confirma et m’apprit en outre que c’est grâce à une filière organisée par le Docteur Bebey Eyidi qu’il était non seulement sorti du Cameroun, mais aussi obtenu la bourse d’études de l’UPC qui lui avait permis d’aller se former comme économiste en URRSS. Le Docteur Bebey Eyidi était donc en définitive un militant upéciste qui n’était pas encarté dans le parti politique UPC.

Et ensuite donc, le jour des obsèques du Docteur Bebey Eyidi, je m’habille en noir et m’y rends à Akwa qui n’était pas limitrophe au quartier Yabassi où résidait ma famille. C’est en effet ce jour-là que je pose le premier acte politique militant de ma vie. Je n’ai alors que 22 ans, et je n’appartiens encore structurellement à aucun parti politique. Je savais cependant à travers mes nombreuses lectures éclectiques, qui était politiquement cet homme d’exception dont la disparition allait me conduire sans que je m’en rende compte à ce moment-là, des années après, dans la grande famille des patriotes d’où je ne suis jamais plus sorti. Cet acte était différent de tout ce qui s’était jusque-là passé notamment lorsque j’apprends l’assassinat de Patrice Emery Lumumba en 1961 et que Mobutu prend le pouvoir par la suite ; de la manière passive dont je réagis pendant les événement de Stanteyville (actuellement Kisangani) où le Conseil National de Libération du Congo conduit par Gaston Soumialot et dont Laurent Désiré Kabila était un membre important, s’installe en 1964 ; tout aussi différent de la façon dont je réagis lorsque d’une part, j’ai connaissance du coup d’Etat qui renverse le président Kwamé Nkrumah le 24 février 1966, et d’autre part, le 2 juin de la même année, où Mobutu, l’assassin de Lumumba récidive en suppliciant les Pendus de la pentecôte. Un crime d’Etat au cours il fait pendre haut et court le premier ministre Evariste Kimba, Jerôme Anany, Emmanuel Bamba et Alexandre Mahamba. En prenant la décision de ne plus resté prostré mais de régir, par cet acte j’étais donc devenu un militant qui n’acceptait plus de seulement encaisser des coups passivement, mais qui désormais réagissait en le faisant manifestement savoir.

Mon cheminement en politique

En 1974, je quitte le Cameroun pour la France où avait déjà été mon père - qui lui contrairement à me mère, était lui de la tribu Bulu - pour la Deuxième guerre mondiale à laquelle il avait participé comme infirmier dans les services de santé de l’armée française. Et c’est tout naturellement donc que j’adhère immédiatement après mon arrivée au Parti communiste français (PCF) dont le secrétaire général était Georges Marchais et qui était alors une formation politique puissante et forte s’appuyant notamment sur un internationalisme bénéficiant de l’appui multiforme de l’allié tout aussi fort et puissant qu’était alors à ce moment-là l’URSS. Entre autres choses, l’une des caractéristiques de ce parti était l’importance qu’il accordait à la formation politique de ses militants. Et c’est justement au cours de la session d’une de ses écoles fédérales à Bobigny, qu’un camarade d’origine italienne qui était chargé de notre restauration, et dont je ne me souviens plus le nom, me met en contact avec Albert Moutoudou, un ami de jeunesse, militant de l’UPC et habitant comme lui à la Courneuve, une ville du département de la Seine Saint Denis où se trouvait également Bondy ma ville de résidence jusqu’à présent. C’est donc tout naturellement que j’entre donc au Manidem (Manifeste pour la démocratie) que venait de lancer Ngouo Woungly-Massaga, alias le Commandant Kissamba, alias le Commandant Gama. Je n’y entre pas comme un néophyte mais comme un militant qui avais déjà connaissance depuis longtemps de la problématique politique africaine, camerounaise et française du fait de mon cheminent personnel passé, et de mon engagement au PCF.

Au sein du Manidem qui était l’antichambre de l’UPC, reflexe militant obligeant, bien naturellement, j’accomplis toutes les tâches d’un militant de base et entreprends aussi de faire le stage qui devait me permettre d’entrée à l’UPC. Je vous fais grâce des nombreux détails de cette période qui était pourtant très riche en événements politiques au nombre desquels il y avait cependant les séjours clandestins que nos dirigeants nationaux en exil en Europe et même en Afrique, faisaient souvent en France où ils étaient toujours interdits de séjour. Il arrivait pour cela que nous organisions de véritable expéditions commandos pour aller nous-mêmes les chercher nuitamment en passant par les petites routes du Jura en Hiver pour nous rendre par exemple en Suisse à Lausanne où résidait le camarade Ndoh Michel. Un voyage nocturne qui n’était pas de tout repos et sans risques et au cours desquels nous devions toujours emprunter des chemin de traverse pour éviter les contrôle de la police des frontières. Et il me souvient que j’ai eu l’occasion d’en faire au moins deux aux côtés du regretté camarade Samuel Mackit. Et dans un tout un autre domaine, à l’occasion d’un de mes séjours au Cameroun, j’ai aussi servi d’agent de liaison en transportant un message qui était dissimulé dans une boîte d’aliments pour enfants que j’étais chargé de remettre à une camarade qui était alors médecin à la Polyclinique Soppo Priso à Douala. Le sinistre Jean Fochivé était encore en service. Ceci pour souligner qu’à la différence de nombreux camarades qui ne sont pas passés à travers les mailles e la toila d’araignée qu’il avait tisser sur tout notre pays, la providence m’avait épargné et évité de connaître les affres d’un internement dans les sinistres geôles de la Direction de la documentation (DirDoc) dont il était le patron et le père-fouettard en chef.

Comme militant de l’UPC, j’ai fais la connaissance de beaucoup de compatriotes tant au sein qu’en dehors du parti. Dans le parti, au-delà des rapports de camaraderie qui existaient naturellement entre les uns et les autres, je n’ai pas été proche que de beaucoup de camarades qui étaient comme moi de simples militants de base. J’ai surtout curieusement été un chouchou des membres de la direction à laquelle je n’appartenais pourtant pas.  J’ai notamment été un proche du camarade Siméon Kuissu, qui était alors membre de la direction et qui s’occupait des relations internationales du parti. C’est à ses côtés que je commence vraiment à travailler avec les organismes extérieurs au parti. Sans avoir de statut officiel puisque n’étant pas membre des instances dirigeantes, je deviens son collaborateur et ensemble nous écumons toutes ambassades des pays socialistes ayant une représentation en France pour, garder le contact et les informer régulièrement de la situation de notre pays et du déroulement de nos activités militantes.

Et patatras ! En 1990, alors que tout semblait sur des roulettes dans le meilleur des mondes possibles, il éclata de nouveau au sein de l’UPC, le genre de crise qui comme naguère, chaque fois qu’un de nos dirigeants historiques, à savoir Ruben Um Nyobé, Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié, était tombé sous les coups de l’ennemi, sonna le glas du parti, et à mon avis, était susceptible de renvoyer une fois encore aux calendes grecques les espoirs qui étaient pourtant permis, du peuple camerounais : Woungly-Massaga démissionna de toutes les responsabilités qu’il assumait à la direction de l’UPC.

Bien que n’appartenant aux cercles dirigeants du parti, Woungly-Massaga et moi étions très proches.  Je prends immédiatement la mesure du drame qui se joue, j’en établis les responsabilités au sein de l’appareil et prends immédiatement la décision de choisir son camp sans me préoccuper de ce que pensaient les autres camarades qui manifestement n’avaient pas conscience de la gravité de ce qui venait de se passer. Nous étions désormais le Commandant Kissamba, la camarade Mireille Ada, son épouse et moi qui venait de rendre mon tablier de militant officiel du parti, trois contre tout un appareil qui était loin de se rendre compte de la fragilité dans laquelle il venait de s’installer durablement et de la tourmente dans laquelle il venait de plonger le Cameroun. Cet acte politique majeur me vaut encore aujourd’hui des inimitiés souvent larvées et quelques fois déclarées dans l’UPC-Manidem. J’avais eu tort d’être seul à avoir raison. En effet, ce n’est pas parce que la mauvaise appréciation de la situation politique aurait été à ce moment-là le fait pratiquement de tout notre parti, qu’elle devait être considérée comme une bonne chose. Des années après, les évènements l’ont malheureusement confirmé et m’ont donné raison.

La juste cause du peuple camerounais n’est cependant pas définitivement entendue comme on dit trivialement.  Et son combat n’est pas non plus terminé. Les patriotes ont le devoir sacré d’ouvrir des perspectives historiques à notre peuple. Tant que cet objectif ne sera pas atteint, il sera toujours à l’ordre du jour. Tout doit être fait par notre génération pour que cet impératif soit bien compris et soit assumé par ce qui nous reste de patriotes authentiques.

Mes proches en politiques

Ainsi que je l’ai dit plus haut, comme militant de l’UPC, j’ai fait la connaissance de beaucoup de compatriotes tant au sein qu’en dehors du parti. Les intenses et fréquentes activités de l’UPC en France m’ont amené à faire la connaissance de beaucoup de ressortissants d’autres pays du continent à l’instar de président Ahmed Dini du Frud de Djibouti, d’Abdoulaye Bathily du Sénégal notamment. Et c’est dans ce cadre que j’ai effectivement fait la connaissance des regrettés Abel Eyinga et Mongo Béti dont j’étais devenu très proche. Entre ces deux compatriotes et moi, il était né une profonde amitié qui allait bien au-delà de la simple sympathie militante. Avant d’accompagner le Commandant Kissamba à Rouen en 2008 chez le camarade Yves Beng, j’y avais déjà été grâce à Mongo Béti qui résidait dans la même ville et qui au passage, m’aura aussi permis de faire la connaissance du compatriote Fabien Ebousssi Boulaga,  tout comme par ailleurs Abel Eyinga me fera aussi rencontrer Marie-Louise Etéki-Otabela et son époux René Eteki.

Si j’ai donc décidé de lever ce pan du voile qui couvre mon itinéraire militant et ma propre personne, c’est pour permettre, à tout le moins, aux camarades et aux compatriotes avec qui j’œuvre en politique depuis bientôt une cinquantaine d’années en France, et qui pourtant paradoxalement ne savaient même pas que je suis Bulu d’Ebolowa, et qui me prenaient plutôt pour un Duala à cause notamment de la graphie de mon nom qui est pourtant celui de mon père, mais qui ne s’écrivent tout simplement pas de la même façon, d’en savoir un peu plus sur moi. Qu’ils n’en ressentent aucune gêne car ils ne sont pas seuls à s’être mépris sur la question. Il me revient en effet en mémoire sur ce sujet que monsieur Mvondo Ayolo Samuel, au temps où il était encore ambassadeur du Cameroun en France, avait lui aussi reçu dans son bureau un jour une délégation d’opposants au nombre desquels je faisais partie. Nous avons passé plus d’une heure de temps à échanger sans qu’il imagine un seul instant que parmi les gens qu’il avait en face de lui, il y avait un Bulu comme lui. C’est en sortant de cette rencontre que mon camarade et ami Patrice Ekwe, qui connaissait lui mes origines Bulu me dit en langue Duala qu’il avait très peur que mon frère bulu et moi ne nous mettions a deviser dans notre langue. Cela ne me fit pas simplement sourire mais me permit aussi de lui préciser que pour moi, les intérêts du Cameroun passeront toujours avant ceux de ma tribu.

Ceci devrait confirmer à qui en douterait encore, les cinquante années de la particularité de mon militantisme pour le Cameroun et pour le Panafricanisme.

*Jean-Pierre Djemba, alias Obam,

1er Vice-Président du PSP/UPC (nommé par Woungly-Massaga)

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