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© Correspondance : Palabres Intellectuelles
- 15 Dec 2022 15:36:10
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AFRIQUE :: Moi j'aime l'infortunée de Merhoye Laoumaye ! :: AFRICA
On apprend tous les jours dans les livres. Voici une belle découverte qui devrait enchanter les adorateurs de la sainte Vierge : Marie = Aimer ; regardez bien, on a fait que changer le positionnement des lettres (ça s'appelle Anagramme en bon français). Mais peut-être le saviez-vous déjà. Moi j'ai la modestie d'admettre que je ne l'ai appris qu'il y a quelques heures, dans un roman de l'auteur camerounais Merhoye Laoumaye, « L'infortunée » en l'occurrence, publié aux éditions D&L. C'est là qu'émerveillée par cette trouvaille, je me suis laissée aller à rêvasser, avant de réaliser que cela peut expliquer ceci : de Marie à Mari, la différence ne tient finalement qu'à un petit ‘e’ muet, effacé, effaçable littéralement sans que son omission ne soit remarquée. Donc, ici aussi, on peut se permettre de théoriser que Marie est quasiment égal à Mari. Il y aurait lieu de croire que les Marie sont naturellement prédisposées, si ce n'est prédestinées à rencontrer chacune son mari, à l'aimer, à fonder avec lui un foyer et à y vivre le bonheur, avec la grâce divine.
L'héroïne de Merhoye Laoumaye est cependant un cas d'exception (qui confirmerait la règle). « La nature était-elle contre Marie ? », c'est la question que se pose le narrateur de « L'infortunée », peut-être lui-même aussi surpris par toutes les infortunes qui s'abattent justement sur la pauvre Marie. « À vrai dire, la vie s'était fichue de Marie », ajoute-t-il. D'abord... elle était laide – pardon de vous le balancer comme ça à la figure, mais « la pensée qui se veut exacte ne peut jouer avec les synonymes » (Milan Kundera). Le narrateur raconte à ce propos que parfois « Marie se demandait si son créateur, au moment de son modelage, n'avait pas mélangé les planches dans le noir. » C'était d'autant plus vraisemblable que Fatia sa mère était d'une beauté de sirène. D'où Marie tenait-elle donc toutes ces difformités morphologiques qui la rendaient affreuse dans le miroir ? De son père peut-être, Ngarihari, qui lui était d'une « laideur de goret ». Affreuse, indésirée, indésirable pour tout homme qui se respecte, le père de Marie n'avait pas trop le choix ; les prétendants ne se bousculaient pas à sa porte. Il avait dû accepter la demande du père de Boutou sans réfléchir à deux fois. La dot proposée était alléchante, généreuse même pour « une tarderie » comme sa fille. C'était une petite fortune, quantifiée en bétails de plusieurs espèces. Conclusion, Boutou était un bon parti pour Marie. L'affaire avait été réglée sans que les deux fiancés ne se fussent jamais rencontrés. Ils ne se découvriront d'ailleurs que dans l'alcôve de leur nuit de noces, où Marie se verra déflorer sans façons. Le drap blanc tacheté de son sang sera ensuite présenté au public par sa famille comme un trophée des plus honorables. Elle était vierge, Marie; elle était âgée de 12 ans, et maintenant femme, épouse...
La malchance s'en est mêlée. Marie aura été de toute sa vie une vraie « poissarde », pour emprunter l'expression de Merhoye Laoumaye. Boutou, son premier homme était un pommé, un raté, une grosse brute de plus de quarante ans sans projet d'avenir qui buvait comme un trou et battait sa petite femme ; Dogobert, le second Marie de Mari (c'est plutôt l'inverse, merci de corriger)... Dagobert lui était un homme sobre, sérieux, un ancien de l'église (protestante) où il a fait la connaissance de Marie. Veuf encore lui-même de son ex-femme, qui comme par enchantement s'appelait aussi Marie, il a demandé et obtenu la main de notre héroïne. C'est dans ce deuxième foyer conjugal que Marie fille de Fatia a connu quelques moments subreptices de bonheur. Sa radiocassette même qu'elle avait achetée avec les bénéfices de son petit commerce de beignets a confirmé : « La vie est belle » furent les premières paroles diffusées dans l'appareil à peine allumé. Mais vous vous en doutez peut-être, les bonnes choses ne durent pas, qui plus est pour une infortunée. Vous allez vous en rendre compte en parcourant le roman de Merhoye Laoumaye.
Les plus belles histoires n'ont pas toujours été des plus enchanteresses. Les chefs-d’œuvre aussi. « Ma mère est morte », ainsi commence un grand classique du siècle dernier ; c'est sur cette note nécrologique, sombre et malheureuse à vous donner envie de refermer le livre que se déroule « L'étranger » d'Albert Camus, aujourd'hui considéré comme l'un des ouvrages les plus notoires de la littérature française. Toutes proportions gardées, « L'infortunée » de Merhoye Laoumaye pourrait lui aussi s'inscrire dans ce registre, celui des œuvres qui, sans forcément nous émerveiller, nous passionnent, nous questionnent sur les problématiques insolubles de la condition humaine. Si nous devons vivre avec le(s) malheur(s), comment faisons-nous pour vivre avec ? La réponse de Merhoye Laoumaye est philosophique : « utiliser les fleurs du malheur pour se tisser des guirlandes sédatives » (une œillade au poète des fleurs du mal ?).
Comble de malheur, justement, Marie de toute sa vie n'aura pas connu le bonheur d'être mère, tout comme elle n'aura pas connu le vrai amour. Cependant, revenue finalement sur les pas de son enfance, son enfance de petite bergère naïvement enamourée de l'amant onirique qui hante les petites filles, elle va enfin rencontrer le prince Charmant dont elle a rêvé toute sa vie durant, Malaïka, son ange Gabriel personnifié dans les bras de qui elle va succomber (d'amour), dans les tout derniers instants de sa vie. Aimer et mourir d'aimer, s'en aller pour toujours et sans regret pour ce monde de misérables, pour le repos éternel de l'âme en peine. Merhoye Laoumaye ne le dit-il pas, que « si on pouvait mourir par moments et revenir raconter aux Hommes les merveilles de l'au-delà, tous les humains iraient volontiers y passer des vacances. Beaucoup y organiseraient des voyages de noces… » (Moi j'aime !).
« L'infortunée » de Merhoye Laoumaye était en lice à l’édition 2016 des Grands Prix des Associations Littéraires (GPAL)
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