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© Camer.be : Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
- 24 Jul 2022 10:08:22
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FRANCE :: PREDICATION DU DIMANCHE 24 JUILLET 2022 Rév. Dr Joël Hervé BOUDJA
Textes : Genèse 18, 20-32 ; Colossiens 2,12-14 ; Luc 11,1-13
Quelle joie a dû éprouver Jésus en entendant la demande formulée par ce disciple ! « Apprends-nous à prier » : en vérité, c’est déjà une prière, qui exprime la soif, dans le cœur de cet homme, de goûter quelque chose de la prière de son Maître. Or, ce désir d’apprendre répond à une aspiration profonde dans le cœur de Jésus : celle de nous faire entrer dans sa relation d’amour avec son Père. C’est pourquoi il a immédiatement exaucé cette demande, nous offrant ainsi le modèle de toute prière.
Mais Jésus ne s’est pas arrêté là ; il ne s’est pas contenté de nous apprendre la prière que le Père aime entendre. Il nous offre encore une petite parabole pour nous convaincre de l’efficacité de la prière. S’il nous encourage ainsi à prier, c’est qu’il a des raisons de le faire. Quelles sont donc ces raisons ?
Derrière la petite histoire que raconte Jésus se cache une réalité dramatique : l’homme se défie de Dieu. Si Jésus prend le temps de nous expliquer que son Père est bon à notre égard, c’est bien parce que cela n’est pas évident pour nous. C’était peut-être même encore moins évident pour les premiers auditeurs de Jésus, car celui-ci n’était pas encore allé jusqu’au bout de sa mission terrestre. Seules sa Passion et sa mort montreraient jusqu’à quel extrême va son amour pour nous ; seule sa résurrection témoignerait de la force de sa bonté, capable de donner la vie au-delà de la mort.
Oui, heureux sommes-nous d’être venus au monde en ces temps qui sont les derniers. Ainsi nous est-il donné de contempler la preuve que Dieu nous aime : cette preuve, c’est que le Christ est mort pour nous alors que nous étions encore pécheurs, comme le dit l’apôtre Paul (Rm 5, 8). Dieu nous a aimés le premier. Par sa Providence, il prend soin de nous comme un père attentionné ; il est même le seul vrai Père. Pourtant, il faut bien le reconnaître, parfois nos prières ne sont pas exaucées. Pourquoi ?
À cette question, Dieu seul peut donner une réponse appropriée. En effet, qui mieux que lui nous aidera à comprendre pourquoi il agit comme il le fait, lui dont les pensées ne sont pas nos pensées, et dont les chemins ne sont pas les nôtres, comme l’a vu le prophète Esaïe (Es 55, 8-9) ? L’apôtre Paul en a fait l’expérience, lui qui par trois fois a demandé à Dieu d’être délivré de l’écharde qui meurtrissait sa chair (2 Co 12, 7s.) ; sa demande a été refusée, mais il s’est entendu dire de la part du Seigneur : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse.»
Béni soit Dieu de ne pas avoir exaucé à la lettre cette requête de son apôtre, mais d’avoir saisi cette occasion pour lui faire connaître la puissance de sa grâce. Plus encore, c’est maintenant l’Église tout entière qui bénéficie de cette révélation ; n’est-ce pas beaucoup plus admirable ?
Une prière non exaucée doit être l’occasion de nous interroger sur son bien-fondé. Jacques, dans son épître, présente l’analyse suivante : « Vous demandez, mais vous ne recevez rien ; en effet, vos demandes sont mauvaises, puisque c’est pour tout dépenser en plaisirs » (Jc 4, 3). Dieu ne saurait se rendre complice de notre égoïsme. Notre prière doit plutôt ressembler à celle d’Abraham : comme nous l’avons entendu dans la première lecture (Gn 18, 20-32), il a fait appel à Dieu en faveur de ses frères en humanité.
Le pain qu’il nous faut demander quotidiennement à Dieu, ce sont les moyens spirituels et matériels dont nous avons besoin pour contribuer, selon nos capacités, à ce que son nom soit sanctifié, que son règne vienne, que sa volonté soit faite.
Il arrive encore que notre Père céleste exauce nos demandes, mais avec un délai qui peut nous sembler long. Dieu n’exauce pas une prière faite à la légère. Il tient compte aussi de la cohérence de nos demandes avec notre conduite, car la prière n’est pas seulement une affaire de paroles.
N’allons pas non plus nous imaginer que notre prière sert à donner à Dieu l’idée de nous donner un bien auquel il n’aurait pas pensé. Probablement même, beaucoup d’entre nous se souviennent d’avoir reçu de lui au moins un cadeau inattendu, et peut-être beaucoup plus. Comme Jésus vient de nous le dire, son Père veut nous donner son Esprit ; or, qui aurait eu l’idée de le demander, et même, qui aurait connu l’existence de l’Esprit Saint si le Christ ne nous l’avait révélé ?
Dieu veut, par notre prière, nous rendre de plus en plus conscients de son mode d’action dans nos vies ; il veut que nous soyons partie prenante de notre propre salut et de celui des autres.
Ni dans cette page d’Évangile, ni ailleurs, Jésus ne s’est engagé à nous donner toujours exactement ce que nous lui demandons, ni à nous le donner tout de suite. Il n’a aucune dette envers nous, sinon celle de réaliser les merveilleuses promesses qu’il nous a faites ; à nous de scruter ces promesses et de chercher comment il les mène aujourd’hui, avec nous, vers leur plein accomplissement.
Frères et sœurs, il est des moments dans la vie où l’on voudrait que Dieu ne soit que miséricorde : ce sont des moments où tout nous sourit, où aucune blessure ne nous touche, et où l’on voudrait que Dieu soit lui aussi tout sourire, pour nous comme pour tous. Il est d’autres moments en revanche où l’on voudrait que notre Dieu ne soit que justice et châtiment : ce sont des moments où nous avons mal, ou plutôt où l’on nous a fait mal, et où l’on voudrait que ceux qui nous ont fait mal connaissent à leur tour le mal, la peine, la douleur comme un juste retour des choses.
En vérité, Dieu connaît à la fois la justice et le pardon. Qu’il vous suffise de jeter un bref coup d’œil sur les textes bibliques et vous y trouverez des phrases comme : «la miséricorde et la justice viennent de lui » (Ba 5,9) ou «je te fiancerai à moi dans la tendresse, la justice et la miséricorde ».
Oui, tout au long des temps, l’action de Dieu participe à la fois de la justice, entendons le châtiment, et de la miséricorde, entendons le pardon : et elle s’établit entre l’une et l’autre. C’est cette oscillation que nous donne à nouveau à contempler le magnifique texte de la Genèse dans lequel nous est rapportée l’intercession d’Abraham : le texte évoque la faute de Sodome et de Gomorrhe pour nous dire qu’elle est lourde et qu’elle devrait avoir pour conséquence une totale destruction des deux villes, mais il évoque aussi la présence éventuelle de justes qui pourrait justifier que soit fait miséricorde.
Mais ce texte ne fait pas que nous montrer l’oscillation du cœur de notre Dieu, il nous indique aussi le lieu de la prière du juste : ce lieu est délimité par la justice d’un côté, et la miséricorde de l’autre. Par la prière bien sûr, l’homme, fût-il Abraham, ne prétend pas dicter à Dieu sa conduite : la décision de Dieu reste souveraine, et il faut voir là l’explication de la prudence du patriarche. Mais cette décision peut être infléchie, vers plus de miséricorde, et parfois aussi vers plus de justice.
Vous me direz que ce fut là une exception, due à la vertu d’Abraham, à laquelle nous ne saurions nous comparer. Mais ce qui fut le pouvoir d’Abraham se trouve étendu par Jésus à tous les hommes dans la parabole de Luc : la première réaction de l’ami dérangé en pleine nuit, qui pourrait bien être notre Dieu lui-même, est de l’ordre de la justice ; mais la réaction ultime est de l’ordre de la miséricorde, et l’on est passé de l’une à l’autre au fil de l’insistance priante d’un homme, dont rien ne dit que sa justice soit celle d’Abraham. Non, c’est désormais n’importe quel homme qui a ce pouvoir sur Dieu de le faire pencher du côté de la justice ou de la miséricorde.
L’homme exerce ainsi un pouvoir sur Dieu qui peut paraître étonnant, mais que Dieu supporte par amour pour l’homme et pour ses pères : par amour de la justice qui se trouve en tout homme, même obscurcie par le péché, plus encore par amour des justes de tous les temps, qui comptent parmi eux Abraham. C’est ce même amour au cœur d’un père ou d’une mère qui les conduit si souvent à pardonner à celui de leurs enfants qu’ils pensaient initialement, et peut-être en toute justice, devoir châtier.
« Apprends-nous à prier », demandent les disciples à Jésus. « Quand vous priez, dîtes : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne », et c’est la demande de la justice; «pardonne-nous nos péchés», et c’est la demande de la miséricorde. Jésus nous a laissé cette prière, sa structure est semblable à celle de toutes les prières d’intercession de tous les temps. C’est avec elle qu’il est possible aujourd’hui à tout chrétien de faire pencher son Dieu du côté de la justice ou de la miséricorde. Amen.