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© Source : Mondafrique
- 04 Mar 2022 09:18:46
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RUSSIE :: Vladimir Poutine est moins isolé qu’on veut le croire en Europe :: RUSSIA
La Russie n’a pas que des ennemis, même si un vote « historique » de l’ONU contre la guerre de Poutine en Ukraine a été approuvé, mercredi 2 mars, par 141 des 193 pays de l’Organisation des Nations Unies.
Réunis autour d’une « session extraordinaire d’urgence », les pays membres devaient se prononcer pour ou contre une résolution « exigeant que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine » et qu’elle retire immédiatement, complètement, et sans conditions toutes ses forces militaires ». La résolution « condamnait » également la Russie « d’accentuer la mise en alerte de ses forces nucléaires. Seules les pires des dictatures ont voté contre ce texte : la Corée du Nord, l’Erythrée, la Syrie et la Biélorussie.
Mais la Russie n’est pas si isolée qu’on peut le croire, vu d’Europe ou des Amériques. Vladimir Poutine jouit, de par le reste du vaste monde non occidental, d’une solide panoplie de soutiens qui, même s’ils n’ont pas été jusqu’à voter contre la résolution, ont décidé de ne pas prendre position.
Même s’ils ne sont pas forcément les affidés du tsar du Kremlin, ces pays sont suffisamment dépendants de Poutine pour qu’ils aient choisi ne pas heurter leur allié.
La neutralité de la Chine et de l’Inde
Parmi les nations qui se sont abstenues et n’ont donc pas voulu condamner le régime de Poutine, on en trouve deux qui pèsent lourd sur la balance de l’échiquier mondial : la Chine et l’Inde. Même si ces deux alliés de Moscou s’inquiètent tout de même de la tournure que prennent les choses en Ukraine : la première pour des raisons qui tiennent à la dépendance de Pékin au commerce mondialisée, que la guerre risque de mettre à mal ; la seconde parce que Delhi est non seulement un allié historique de la Russie mais aussi que celle-ci reste son principal fournisseur en armement…
A ces deux poids lourds de l’Asie il faut en ajouter un autre, moyen-oriental celui-là : l’Iran. La récente visite à Moscou du président iranien Ebrahim Raissi, fin 2021, avait contribué à relancer la relation entre les deux pays, ne serait-ce qu’en raison de leur commune inimitié à l’égard du « grand Satan » américain.
N’oublions pas non plus un autre « bloc », celui des Républiques d’Asie centrale ou du Caucase, autrefois soviétiques, mais qui conservent d’étroits liens de dépendance avec la Russie. Plusieurs se sont abstenues de voter : le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans la région, seule la Géorgie a condamné l’agression russe.
Un patchwork contrasté en Afrique
Mais un autre continent tout entier frappe par son ambivalence par rapport à la Russie : l’Afrique.
Dans l’ensemble Maghreb/ Mackhrek, l’Algérie est le seul pays qui s’est abstenu, le Maroc, la Tunisie, la Libye et l’Egypte ayant toutes choisi de condamner l' »opération spéciale » du Kremlin chez son voisin.
Dans l’Afrique sub saharienne, la situation est plus compliquée et si l’on dessinait une carte onusienne de l’après vote, on y verrait se dessiner le patchwork contrasté des choix exprimés par les nations du continent noir. Où Poutine, grand pourvoyeur d’armements et de soutien de nature stratégique, reste pour certains un partenaire important. Comme on l’a vu ces derniers temps au Mali où les « milices Wagner » sont à l’œuvre : outre ce pays, qui s’est naturellement abstenu, douze autres Africains ont refusé de condamner Moscou : le Sénégal, le Soudan, le Soudan du Sud, le Congo ( Brazzaville), l’Angola, la Namibie, l’Afrique du Sud, Madagascar, le Mozambique, de l’Ouganda, du Burundi et de la Tanzanie.
Parmi les soutiens à Moscou, même s’ils n »ont pas voté contre la résolution, la réaction du fils de l’autocrate ougandais Yoweri Museveni donne une idée de la vision de certains caciques africains : le lieutenant général Muhoozi Kainerugaba s’est tout simplement déclaré en faveur de l’intervention russe : celui qui est le commandant de l’armée de terre ougandaise a tweeté que » la majorité de l’humanité non blanche soutient la Russie en Ukraine ». Et d’ajouter : « Poutine a tout à fait raison! »
Réaction extrême, en contrepoint avec des pays comme le Kenya – qui a voté pour la résolution-, et dont l’ambassadeur aux Nations Unies, a comparé l’invasion russe en Ukraine à la colonisation de l’Afrique par les pays occidentaux et a regretté la vision de Poutine, incapable d’ajuster sa politique aux contraintes de la modernité du XXIème siècle.
La Turquie, allié contrarié de la Russie
Dans un autre registre, un grand pays aux relations ambivalentes à la fois avec l’Europe et la Russie, a voté pour la résolution et condamné l’invasion de l’Ukraine : la Turquie. Membre de l’Otan, elle est en quelque sorte un allié « contrarié » de la Russie. Quitte à entretenir des relations paradoxales avec Poutine : Moscou et Ankara se sont ainsi entendus sur la Libye tout en étant dans des camps fermement opposés en Syrie où la Russie soutient le régime de Bachar Al Assad tandis qu’Ankara est aux côtés des groupes de la mouvance anti syrienne, notamment islamiste.
L’expert Pavel Baev, professeur à l’Institut de recherche pour la paix d’Oslo, analyse ainsi l’ambivalence de la Russie à l’égard des Turcs : » « Pour Moscou, ce n’est pas tant le fait que des rebelles de différents mouvements ( y compris des groupes liés à des rejetons d’Al Qaïda, sont retranchés) soient retranchés à Idlib et protégés par la Turquie qui constitue le problème pour Moscou », écrivait-il l’année dernière dans un article publié sur le site de l’Institut Français des relations internationales ( IFRI) ; « c’est plutôt le caractère incertain de la victoire soulignant la nature irréductiblement instable du régime d’Al Assad », qui inquiète fondamentalement le dirigeant russe.
Quant aux relations entre Poutine et Erdogan, Pavel Baev les résume de la façon suivante : » Ces deux autocrates se ressemblent par certains traits de caractère et leurs aspirations communes, mais cela n’a pas suffi à générer une sympathie mutuelle, la confiance et le respect ». Mercredi, la Turquie a voté pour la résolution. Contre la Russie.