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© Correspondance : Palabre Intellectuelle (palabresintellectuelles@gmail.com)
- 21 Feb 2022 04:41:52
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AFRIQUE :: Chacun a son or : Les visages de l’or de Baba Aoudou Hervé :: AFRICA
« Tout ce qui brille n’est pas or » ; « On éprouve les femmes avec l’or, et les hommes avec les femmes » ; « La parole est d’argent mais le silence d’or ».
On va quand même parler, pour dire que… l’or n’est certainement pas le métal le plus précieux de chez les précieux, mais il est sans conteste celui qui fait le plus parler de lui. Il est celui qui a inspiré d’innombrables proverbes. De multiples histoires sont bâties autour de la thématique de l’or et de sa malédiction. Il existe à ce sujet de nombreux chefs-d’œuvre. L’or, petit conte de Blaise Cendrars n’en est pas des moindres, et peut-être aurait-il contribué à inspirer l’auteur camerounais Baba Aoudou Hervé pour son petit roman intitulé Les visages de l’or, tant ils sont ressemblants, dans la forme (tous les deux de petits récits de moindre épaisseur), dans le fond (tous les deux illustratifs de la malédiction du métal jaune).
L’or de Blaise Cendrars est un petit roman paru en 1925. Il relate l’histoire du général Suter, qui peut se résumer à cette phrase de Cendrars : « C’est là que tu lisais l’histoire du général Suter qui a conquis la Californie aux Etats-Unis et qui, milliardaire, a été ruiné par la découverte des mines d’or sur ses terres. »
Les visages de l’or, de Baba Aoudou Hervé, est lui aussi un petit livre, publié en 2015. C’est le récit d’un homme de condition très modeste qui n’avait certainement pas fait sien l’adage « Pauvres, s’abstenir ! ». Ndinga, le héros de Baba Aoudou menait tranquille sa petite vie de paysan, particulièrement actif dans la chasse, jusqu’à ce jour où il est autorisé à rentrer dans la maison cossue du sous-préfet, pour lui proposer du gibier. Ce jour-là, le pauvre Ndinga rentrera chez lui avec l’ambition démesurée de devenir riche, comme le sous-préfet. Et de pouvoir se payer une maison aussi belle et bien meublée que la sienne. Pour cela la voie royale qui s’offre à lui, c’est bien évidemment l’orpaillage, puisque par la grâce des dieux son village est bâti sur un terrain aurifère, qui s’étend dans toute la région. La force et la patience nécessaire pour extraire le métal jaune en quantité considérable, Ndinga pense l’avoir. Il va s’entourer de quelques compagnons rêvant eux aussi de fortune. Et voilà notre trappeur devenu entrepreneur. Lui et ses hommes parviendront-ils à leur fin ? Là n’est pas le principal ; la vraie question dans ce livre (et peut-être aussi dans la vraie vie), est celle de savoir ce que c’est, l’or. Reformulons le sujet à la manière de Baba Aoudou Hervé, tel que posé d’entrée de jeu dans son ouvrage : « Qu’est-ce que l’or ? » Cette petite question à elle seule a suffi à emplir le premier chapitre de son œuvre, du début jusqu’à la fin. Rien que cette question, et pas d’autre mot en plus, comme une invite au lecteur à écrire la suite du chapitre, à disserter lui-même sur la question posée.
Alors, qu’est-ce que l’or ?... Nous n’avons pas quatre heures. Contentons-nous de cette tentative de réponse d’un des personnages de Baba Aoudou Hervé, dans Les visages de l’or : « Le prêtre dit que chacun a son or. L’or c’est tout ce qui peut te permettre d’être heureux ou d’être riche, c’est selon. Il dit que son or à lui, ce sont les chrétiens ; pour l’éleveur bororo, ce sont les bœufs ; pour le banquier c’est son argent ; pour le cultivateur, son champ ; pour le chauffeur, son véhicule ; […] pour l’artiste, son talent. Chacun a son or. »
Comme nous l’apprend le prêtre dans le livre de Baba Aoudou Hervé, l’or, c’est ce qui nous fait vivre. Et même que pour certains, c’est tout simplement leur raison de vivre (comme l’art pour l’artiste). Cependant, en toute chose il faut rester mesuré, veiller à ne pas être l’esclave de notre or. Pour cela il convient d’avoir des envies modérées, car la déconvenue peut parfois s’avérer fatale. C’est ce que l’on retient en somme dans Les visages de l’or.
En fin de compte, le désenchantement, c’est ce que l’on risque de trouver, lorsque l’on se lance dans la ruée vers l’or, et, pour parler plus généralement, lorsque l’on a du jour au lendemain des ambitions démesurées, bien au-delà de nos réelles potentialités naturelles, et que l’on refuse de se l’admette, aveuglés déjà par l’appât du gain, ou du moins le mirage d’un accomplissement en réalité très peu probable, et prêt parfois pour cela à des sacrifices inadmissibles pour l’honnête homme.
Certains en sortent marqués à vie, par cette écrasante désillusion, et ne trouvent pas la force de se relever. Ndinga, le héros de Baba Aoudou a tout abandonné, réduit à parcourir les villages dans de lointaines contrées, avec un baluchon, pour prétendument prêcher la bonne nouvelle, alors même qu’auparavant la parole de Dieu n’était pas son dada.
D’autres en revanche réussissent à trouver la force nécessaire pour à tout le moins reprendre leur vie en main, et redécouvrent même en hommes heureux comme la vie peut être simple et facile, pour peu qu’on essaie de ne pas la compliquer. C’est le cas de Kombo et sa femme, anciens collègues d’infortune de Ndinga, qui « ont repris la route des champs. Ce sont maintenant les plus grands producteurs d’ignames de la contrée. Ils ont construit une maison et ouvert une boutique. Tous leurs enfants sont à l’école. »
Certains encore, plus chanceux et avisés, tirent des leçons de leur expérience malheureuse de chercheur d’or ; des leçons ou du moins des histoires dont ils se servent pour, finalement, faire fortune par d’autres voies naguère insoupçonnées. Le cas de l’écrivain américain Jack London est singulièrement démonstratif à ce sujet. Francis Lacassin écrira sur Jack London, dans une préface à l’un de ses ouvrages : « S’il n’avait perdu un an de sa vie à chercher de l’or dans les neiges du cercle Arctique, L’appel de la forêt n’aurait jamais été écrit, la littérature mondiale serait privée d’un chef-d’œuvre et l’Amérique possèderait un grand écrivain de moins. »
Peut-être l’écrivain camerounais Baba Aoudou Hervé nous dira-t-il s’il a lui aussi tenté sa chance…
* Les visages de l'or de Baba Aoudou Hervé était en lice à l'édition 2019 du GPAL (Grands Prix des Associations Littéraires).
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