Andjongo Nana Timoléon : Adspicit lucem in cælestis - cherche la lumière aux cieux
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Que nous soyons croyants ou non, que notre sagesse soit une méditation de la mort ou une méditation de la vie, lorsque la mort frappe comme un voleur, sans nous avoir avertis du jour, de l'heure, nous ne pouvons pas refréner un sentiment de stupeur et de tristesse. La mort de Timoléon Andjongo Nana, notre professeur de littérature française et négro-africaine au début de nos humanités au Lycée Classique et Moderne de Sangmelima nous laisse sans voix. Elle arrache à notre affection, soustrait à notre affection et à celle des siens, un homme qui nous recommandait il y a bien 30 ans de « faire toujours comme si ,je dis bien comme si tout allait bien.Il ne faut jamais jeter sa dignité à la poubelle » Merci à Georges-Camille Akoa qui me l’a rappelé ce jour. Monsieur Andjongo n'avait pas l'habitude de s'épancher. Mais chacun de nous, ses élèves, devenus ses amis et ses collègues savait combien sa famille comptait pour lui, combien le bonheur et la réussite de ses enfants lui importaient. Je me permettrais d'évoquer deux souvenirs personnels qui témoignent de cet attachement prévenant.

Son épouse « Margo » comme il l’appelait affectueusement, a été une de nos camarades, aussi prenait-il un malin plaisir à nous parler de sa beauté et de la place qu’elle occupait dans sa vie. Je garde aussi en esprit quand il m’annonça il y a quelques années l’admission de sa fille à la prestigieuse École Normale Supérieure. Andjongo n’a pas publié, mais il était une tête bien faite. Il écrivait beaucoup notamment pour préparer ses cours, ce n’était jamais jamais le même cours d’une année à l’autre. Quand il y avait dans une de ses classes un élève qui reprenait la classe, il lui rappelait toujours que ça ne valait pas la même de lire les cours de l’année précédente ! J’ai lu certains de ses poèmes restés malheureusement à l’état de manuscrit. Pour mon condisciple le Dr René Guy Omenguélé enseignant à l’université de Bamenda « Tara a été un excellent pédagogue, il est à l’origine de nombreuses vocations d’enseignants parmi nous. »

Il est passé proviseur et l’a été respectivement au Lycée d’Esse et à celui de Minta. La communauté des enseignants et celle des chefs d’établissement déplore la perte d'une grande figure et, disons-le, d'un maître. L'heure viendra, proche, où dans les établissements où il est passé, au Cameroun, cette communauté honorera son œuvre et en mesurera l'ampleur et la richesse. Mais nous devons d'ores et déjà saluer en Timoléon Andjongo Nana la pénétration de l'historien de la littérature et la force du penseur. Il disait alors : « Quand l'écrivain prend prend sa plume,c'est pour s'élever contre,c'est pour dénoncer,c'est pour stigmatiser les tares qui minent la société et en proposer les solutions. L'objectif étant d'élever l'homme au rang des valeurs absolues »

Andjongo Nana Timoléon était un historien de la littérature, il nous parlait d’Étienne Lantier en ces termes : « Comme l'avait fait Balzac dans la Comédie Humaine, Zola avait projeté d'étudier, de suivre et de faire évoluer des personnages caractéristiques. Etienne Lantier est le personnage principal de Germinal. Il ouvre et ferme le roman ; il le reflète. Germinal est un roman d'apprentissage. Etienne est le fil conducteur de ce roman. Il y est entièrement décrit : son origine et son portrait, son hérédité chargée, son amour pour Catherine, lui en tant qu'ouvrier consciencieux et enfin lui en tant que militant révolutionnaire. »

Timo, parlait avec la rigueur de la compétence d’un intellectuel accompli. Les œuvres que nous avions au programme, il en avait une parfaite maîtrise.

Serviteur de la pensée, notre enseignant avait aussi une grande ouverture d’esprit comme en témoigne la diversité de ses intérêts, qui égalait celle de maître Thiérno dans l’Aventure Ambiguë de Cheikh Hamidou Kane.

Andjongo Nana Timoléon, redoutait les conflits destructeurs de la paix civile au lycée et il a été un agent de civilité. Civilité, mais aussi pourrions-nous ajouter, civisme institutionnel. Devenu proviseur de lycée, il a été un homme de l'institution républicaine et de l'institution littéraire toutes deux unies dans le même combat. Il n'a jamais cédé sur les exigences de probité intellectuelle et de sérieux et c'est avec inquiétude qu'il a vu monter les périls du réformisme liquidateur qui a réuni ces dernières années les politiques d’enseignement avec les conséquences que nous connaissons. Il a participé à tous les combats menés en faveur de l’enseignement et n'a jamais souscrit au nouvel évangile pédagogique qui entend mettre l'élève au centre de tout et oublie que le centre de tout ne peut être que le savoir et la culture à laquelle il faut élever et s'élever. Timo n'a jamais capitulé devant les orthodoxies anciennes et nouvelles qui ont cherché à imposer leur prêt-à-penser. L'institution de la pensée ne peut être que celle de la pensée libre dans une cité libre. Par son attachement au service public de l'enseignement, il appartenait à l'esprit des Lumières, et on a là un des éléments qui lui ont permis de prendre la distance critique nécessaire avec la dictature de la pensée unique.

C'est cette éthique qui l'a conduit, sa carrière durant, à donner la plus grande importance aux tâches d'enseignement, à la formation des étudiants de tous niveaux. Cette prévenance active, ce service rendu à tous ceux dont il avait la charge, s'harmonisaient sans peine avec la générosité de l’intellectuel qui, dans ses enseignements et ses cours, communiquait à tous le résultat de ses réflexions.

Andjongo Nana Timoléon a été pour nous ses élèves médiateur de la pensée nous permettant de prendre dans la vie différents chemin qui font de nous des hommes et devenus adultes et responsables, il est devenu un ami pour beaucoup d’entre-nous, un ami attentif et attentionné. Nous souhaitons de continuer son œuvre de formateur dans le même esprit. Ainsi s'attestera la fidélité de notre mémoire et s'accomplira la dette de notre reconnaissance.

A défaut d'une œuvre accomplie sur le plan littéraire puisqu’il n’a pas publié, Andjongo Nana Timoléon nous lègue un style exigeant de faire œuvre de littéraire et de vivre en littéraire c’est à dire d’entrer dans les humanité pour ne voir l’autre que comme notre propre accomplissement. Il nous a montré l'exemple — combien rare! — d'une tolérance combative. Il nous a comblés de tous ses talents et il nous a fait don de sa personne. Le temps de nous demander, chacun pour soi, comment nous rendre dignes de ce don, est déjà venu. Mais il nous est permis, aujourd'hui, de nous arrêter un instant et de nous laisser gagner par le bonheur de nous souvenir de sa présence au cœur de notre vie. Quelle présence ! Le souvenir du sourire de Timo, de Collègue, de Buteur autant de petits noms qu’on lui donnait ou qu’il se donnait, de son amitié et de sa générosité restera, à tout jamais, vivant parmi tous ceux qui ont eu la chance de le connaître. Mais le souvenir de cette présence rayonnante sera désormais voilé par la douleur et par les regrets. Je ne parlerai que de mon regret de ne pas l'avoir interrogé davantage sur ses projets futurs, de ne jamais l'avoir entendu jouer au balafon en bon Mvële qu’il était, de ne pas lui avoir demandé de réécrire avec moi une analyse de Germinal d’Émile Zola pour les lycées camerounais. Et je tairai la douleur, que ressentent tous ses amis, tous ses élèves de l'avoir laissé mourir seul au pied de cette insuffisance qui le rongeait depuis 7 ans déjà. Il est parti ce jour, le 10 juillet 2019.

PROGRAMME DES OBSÈQUES :

- jeudi 08 août 2019, levée de corps à la morgue de l'hôpital général de Yaoundé et veillée à son domicile sis à Nkoabang jusqu'à l'aube.
- vendredi 09 août 2019 départ du cortège funèbre pour le village Mvog-ze par Esse, installation suivie de la veillée.
- samedi 10 août 2019 inhumation

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