Cameroun-Dialogue:Qui parle à qui et de quoi parlent-ils?
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Cameroun-Dialogue:qui Parle À Qui Et De Quoi Parlent-Ils? :: Cameroon

Rien n’est plus difficile que de contraindre les mots à traduire les événements,les idées, les passions, les sentiments, disaitsi justement l’académicien français Jean d’Ormesson. Nous avons trop vu, disait-il, « Saint Louis travesti en brigand, Jeanne d’Arc en hystérique et Staline en père des peuples, la tolérance en violence et la violence en liberté, pour ne pas nous méfier des pouvoirs trompeurs du langage et de l’écriture ».

La presse camerounaise et les ONG de tous bords sont d’ailleurs, en cette période prérévolutionnaire pour le Cameroun, le reflet de cette lassante gymnastique des faits. Il est alors très difficile que les conditions se mettent en place, pour un dialogue franc et constructif, lorsque l’opinion est ainsi outrageusement manipulée par tous les camps.

Les parties au dialogue, voulu par le Président de la République Monsieur Paul Biya, vont certainement, hélas, user et abuser de ces redoutables pouvoirs trompeurs du langage, même si pour l’instant, on ignore encore qui parlera à qui, et de quoi ils parleront. C’est bien pourquoi, tout au long de cet article, nous allons seulement croiser certaines analyses et faire un peu de prospective.

Je dois, cependant, reconnaître que le regard que les uns et les autres portent sur notre pays transporte aussi toute la charge émotionnelle du vécu de leur rapport à lui ; celui-ci détermine fatalement leur point de vue, tout comme le mien, du reste. Certains en parlent avec la distance et la froideur du chercheur, d’autres avec la ferveur des faveurs qu’il leur procure, d’autres encore, avec le ressentiment et la frustration des espérances qu’il leur a confisquées. Mais cela nous donne-t-il pour autant le droit d’accuser, ou de laisser accuser sans preuve formelle, nos forces de défense qui font un travail remarquable dans des conditions extrêmement difficiles ? L’amour de la patrie nous l’interdit, en principe. Et même si le plumage fait l’oiseau, il est extrêmement léger d’accuser l’Armée d’un crime tout simplement parce que celui qui l’aura commis portait une tenue militaire, qu’il aurait pu dérober, confectionner ou acheter.

Qu’en est-il exactement et où se trouvent les raisins de la colère qui a poussé les Camerounais à prendre les armes contre d’autres Camerounais. Une révolution serait-elle aux portes du Cameroun ?

En croisant les analyses de Monsieur David Abouem Atsoye sur la crise que traverse le Cameroun et celle de Jacques Attali sur celle que traverse les démocraties en Europe, et bien au-delà de l’Europe, on se rend compte que la situation du Cameroun n’est pas un cas isolé. Elle serait plutôt un cas d’école pour illustrer le propos d’Attali car, les principaux ingrédients énumérés par l’analyste français se retrouvent dans la marmite qui bouillonne dans ce pays.

La principale raison évoquée par Attali fait d’ailleurs résonnance avec celle que Monsieur Abouem Atsoye et la majorité des Camerounais avancent pour expliquer le mal être des peuples, d’ici et d’ailleurs, qui sont vent debout pour la “Révolution”. Cette réflexion dédouane-t-elle pour autant le régime de Yaoundé de ses manquements, je ne le crois pas, même si elle pourrait lui accorder des circonstances atténuantes, puisque partout, les peuples se soulèvent pour dire leur mal-être.

Au-delà de la perspective historique retracée par les “six facettes du problème anglophone” de Monsieur Abouem Atsoye, les causes mises en avant par Monsieur Attali pour soutenir l’inéluctable d’une révolution, s’appliquent parfaitement à la situation du Cameroun : “un travail absent, non rémunérateur, ou aliénant ; des services publics délabrés ; des territoires ruraux oubliés ; une agriculture en plein désarroi ; un environnement dégradé; une précarité croissante ; des vies personnelles en miettes”. Et un régime, ” incapable de résoudre les difficultés et les frustrations, réelles ou ressenties, d’un grand nombre de citoyens”.

Le dialogue national annoncé pourra-t-il permettre à Monsieur Paul Biya, Le Nationaliste Pacifiste, d’éviter à son pays les conséquences désastreuses d’une révolution annoncée brutale par Monsieur Attali ? Celle-ci, nous dit-il, “se déclenche toujours quand un régime ne sait plus assurer à ceux qu’il prétend servir le bien-être auxquels ils estiment avoir droit, et quand il ne fait plus assez peur pour se maintenir par la force”.

Peut-on assimiler ce qui se passe dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest à une tentative de maintien par la force du régime de Yaoundé ? Ça serait, sans doute, forcer le trait car, à l’évidence, le régime de Monsieur Biya ne semble pas véritablement menacé, même si la stabilité du Cameroun est entrain de prendre un bon coup. Cependant, ces événements expriment clairement que le régime a failli à assurer le bien-être de la majorité des Camerounais et, en l’occurrence, celui des populations de ces deux régions, à travers l’insatisfaction des besoins primaires et le mauvais fonctionnement des institutions républicaines. C’est donc tout un système de gouvernance qui est ainsi tragiquement décrié.

En effet, le processus de prise de décision en vigueur et l’absence d’une communication stratégique adéquate, laissent à la majorité des Camerounais la désagréable impression de n’être que des sombres existences et non des citoyens ; des spectateurs ou, au mieux, des accompagnateurs, et non des acteurs des politiques mises en œuvre, pourtant, pour accompagner leur épanouissement. Et c’est là, de l’avis de certains, le cœur de ce que nous appelons aujourd’hui la crise anglophone.

Le gouvernement a complètement oublié que la pratique du débat et la notion de responsabilité sont les piliers de la vie publique chez nos concitoyens d’expression anglaise. On y débat pour rapprocher les points de vue avant de prendre une décision qui engagerait l’activité de la communauté. Une fois la décision prise, ses exécutants sont tenus de rendre des comptes à la communauté sur l’état de sa mise en œuvre.

Oui le gouvernement a répondu favorablement à la majorité des revendications corporatistes qui ont fait éclater une crise qui était latente depuis la réunification. C’est bien ce que rappelle Monsieur Atanga Nji lorsqu’il déclare que le dialogue a commencé il y a deux ans. Mais le gouvernement a-t-il expliqué aux populations du Nord-ouest et du Sud-ouest ce qui leur a été accordé, ce qui ne l’a pas été, et pourquoi cela n’a pas été. A-t-il expliqué aux fonctionnaires de ces régions en particulier, et aux autres en général, pourquoi il fallait toujours venir suivre les dossiers à Yaoundé ? A-t-il expliqué au peuple du Cameroun les raisons de cette extrême centralisation qui, en plus de donner un surcroit de travail aux fonctionnaires de Yaoundé, fait le lit de la corruption consacrée par la formule, inélégante et bien connue des usagers, qui demande de « Joindre l’intéressé au dossier ».

Faut-il rappeler que même lorsqu’elles sont salutaires pour leurs bien-être, certaines mesures restent inopérantes parce que les bénéficiaires ne se les approprient pas ; soit parce qu’ils ne les connaissent pas, c’est alors un problème de communication ; soit parce qu’ils ont choisi de les ignorer parce qu’on les aura également ignoré dans le processus décisionnel, et ceci pose un problème de méthode. Mais très souvent, les deux se trouvent réunis ; les populations n’étant pas consultées et le gouvernement ne communiquant pas sur la mesure concernée, comme si tout était au mieux et que cela devait couler de source.

Par ailleurs, en indiquant que le dialogue est vieux de deux ans, Monsieur Atanga fait un aveu d’échec dans la gestion dudit conflit. Car s’il faut ramener sur la table les négociations d’il y a deux ans dans le cadre du dialogue en préparation, c’est que les précédentes avaient été bâclées, tous les sujets n’ayant pas été efficacement adressés. Plus grave encore, le ministre occulte également la revendication politique qui est l’accélérateur de l’escalade sanglante que nous vivons et qui n’était pas clairement à l’ordre du jour, il y a deux ans.

Monsieur Atanga Nji se permet, enfin, des libertés avec l’histoire car le dialogue dans ce cas précis, s’inscrit dans une perspective historique beaucoup plus longue comme l’a si bien décrit Monsieur Abouem Atsoye qui indique d’ailleurs, que certaines dérives dénoncées depuis 1979 par la CAM sont toujours d’actualité dans l’administration du Cameroun.

Nous voilà déjà, bien avant l’ouverture du dialogue, confrontés à ce redoutable exercice de dire, et de dire vrai face à l’histoire, où toute expression est une trahison, selon la formule du regretté académicien français, Monsieur d’Ormesson. Trahison de nos sentiments, trahison de nos ressentiments, trahison de nos valeurs pour ceux qui en ont, trahison de nos convictions et de nos choix politiques qu’il faudra alors soumettre à l’examen et à la critique des autres dans le cadre du dialogue. Mais qui sont ces autres qui prendraient part audit dialogue, en face ou à côté du régime en place ?

Le contrôle du corps social est une réalité sociologique que le politique devrait toujours intégrer dans la recherche de l’efficacité de son action. Il y a des femmes et des hommes que la population écoute, en lesquels elle se reconnaît, et auxquels elle fait confiance. Il y en a aussi, heureusement, ceux dont la population se méfie mais qui s’imposent à elle par leur réussite, quelle qu’elle soit, ou grâce un acte administratif pris par une autorité qu’elle méconnait ou qu’elle dénonce parfois.

Les populations camerounaises seraient donc les plus concernées par le dialogue à venir car, ce sont elles qui subissent les violences et c’est encore au sein d’elles que vivent ceux qui violent, volent et tuent nos concitoyens. Ce sont elles qui devraient désigner leurs représentants au dialogue car, d’une manière générale, il y a une grande défiance vis-à-vis de la classe politique, tous partis confondus, et de certaines élites ; les uns et les autres ayant confisqué les espérances de leurs populations. Si elles sont suffisamment représentées, la paix durable aurait une véritable chance pour sa construction au sortir du dialogue. La société civile, certes ! et la diaspora, bien entendu, mais pas celle des sardinards qui s’attaquent aux institutions républicaines, devraient aussi être sous l’arbre à palabre.

Dans tous les cas, si le dialogue est, une fois de plus, confisqué par le régime et les autres partis politiques dont le seul objectif est de chasser ceux qui sont en place pour les remplacer, alors la révolution brutale que prédit Monsieur Attali serait inévitable au Cameroun.

Lorsque Monsieur Atanga Nji exclut du dialogue ceux qui ont le sang sur les mains, son expression trahi-t-elle la ligne du régime, ou le ministre exprime-t-il un sentiment personnel. Je me laisse à avouer que je suis de cet avis, même si la formulation du MINAT n’est pas tout à fait exacte. Car le gouvernement dialogue bien avec ceux qui ont plongé leurs mains dans le sang des Camerounais.

Que fait donc le Comité Faï Yengo avec ceux qui ont certainement tué leurs concitoyens et qui déposent les armes aujourd’hui ? Ne dialogue-t-il pas avec eux ? Le régime ne devrait pas avoir une position tranchée sur une question aussi délicate, s’il est conséquent et s’il veut vraiment épargner à notre pays une révolution plus sanglante encore. Il devrait plutôt poser les conditions d’un retour à la citoyenneté de ceux qui se sont égarés ainsi. Cela étant dit, la participation au dialogue devrait discriminer entre ceux qui s’attaquent à l’intégrité territoriale de notre pays, à la souveraineté ou aux biens du peuple du Cameroun, et ceux qui dénoncent sa mauvaise gouvernance et les atteintes à la fortune publique, n’en déplaisent à ceux qui réclament déjà la libération de certains délinquants comme un préalable au dialogue, ou ceux qui rêvent de transformer le dialogue en une foire d’empoignes.

Si l’ordre, l’état de droit, ou le Nomos, comme l’appelle Hayek, a besoin de forces fictives pour s’établir et se maintenir, comme le soutient Paul Valery, l’institution de la justice est l’une de ces forces fictives. Il faudrait donc lui laisser toute sa place, et ne pas entraver ses procédures si on souhaite que les citoyens y croient encore. L’arrêt discrétionnaire des poursuites, lorsqu’il devient répétitif, est un cancer, hélas ! qui ronge la confiance du justiciable et tue à petit feu l’état de droit. Qui croirait encore à la justice comme institution républicaine, si celui qui a commis un crime grave contre sa patrie, contre ses concitoyens, parade en toute quiétude sur les lieux du dialogue. Qui croit d’ailleurs, encore aujourd’hui, hélas, à l’utilité sociale de la prison, comme institution républicaine, lorsque celle-ci sert de refuge aux criminels à col blanc qui y vivent, avec faste et ostentation, sur les fonds qu’ils ont distraits à la nation.

Pardonner ne devrait pas signifier ouvrir les portes des prisons et libérer tous azimuts ceux qu’on accuse d’avoir commis des délits graves avant d’avoir formellement établit leur innocence ou leur culpabilité. Au nom de quoi garderait-on incarcérer, dans des conditions souvent indécentes, l’adolescent qui a volé une boîte de sardines pour s’alimenter, et remettrait-on en liberté la crapule en col blanc qui a délibérément distrait des milliards des caisses de l’État. Le pardon ne devrait pas être une amnistie générale des ennemis de l’État. La libération des détenus ne devrait pas être un préalable au pardon, ou au dialogue. Cela remettrait en question tout les fondements de notre système judiciaire et ruinerait tous les efforts consentis pour lutter contre la corruption et autres incivilités. Cela confirmerait également que leur détention était arbitraire. Libérer, sans jugement préalable, des gens qui ont transgressé la loi est contre productif pour la construction de l’état de droit qui est cher à certains. On l’aura vu avec la libération, au début du conflit, des organisateurs de la revendication corporatiste qui s’est transformée en crise anglophone. Loin de désamorcer la crise latente, la libération des prévenus d’alors s’est révélée plutôt être un accélérateur des troubles dans les régions anglophones. Alors prudence !

Explorons plutôt ce qui pourrait inspirer le dialogue, désamorcer l’escalade de la violence et poser les fondations d’une paix et d’une stabilité durables.

Le dialogue devrait, avant tout et je le souhaite vivement, offrir aux anglophones et aux francophones du Cameroun, l’occasion de créer ou de retrouver les communs, d’inventer un avenir partagé en s’inspirant des grands moments vécus ensemble pour la construction de la nation camerounaise.

Un de ces grands moments fut, entre autres, l’année 1984, lorsque le patriotisme des sages anglophones empêcha la démission, proposée par certains, de tous les élus de l’Assemblée Nationale des provinces du Nord-ouest et du Sud-ouest. Les sages d’alors demandaient à leurs pairs de faire bloc derrière le Président de la République, victime d’une tentative de coup d’état. Ils avaient ainsi sauvé la République en renonçant à une protestation pourtant légitime. C’était responsable, élégant, et patriote.

C’est désormais aux sages francophones que revient le devoir de sauver la République, avec humilité, dévouement, élégance et patriotisme, en acceptant, par exemple, de discuter des sujets qui fâchent : la révision de la constitution ; le changement du nom de l’état ; la durée du mandat présidentiel et son alternance entre les deux communautés ; la gestion des carrières de la fonction publique ; le choix des juridictions ; l’accélération du transfert des compétences dans le cadre de la décentralisation ; le calendrier électoral avec la tenue des régionales après le municipales ; la redistribution des recettes tirées de l’exploitation des ressources naturelles aux régions productrices ; le calendrier des réformes.

Car si la parole est muselée sur la forme de l’État, à laquelle nous sommes majoritairement attachés car le Cameroun est un pays « uni et indivisible », elle reste libre sur tout le reste, il me semble. Sera-t-elle alors suffisante et entendue pour désamorcer l’escalade et entamer la construction de la paix qui sera longue et périlleuse. Je n’ai pas de réponse à cette question mais je sais que certains actes du Chef de l’État pourraient déjà le faire, sans qu’il faille attendre l’issue du dialogue et l’adoption des lois qui devraient inscrire dans les Tables de la République les résolutions de la concertation.

L’Histoire, nous dit Monsieur Abouem Atsoye, “a lancé aux Camerounais un défi sublime : celui de bâtir, à partir du parcours singulier de leur pays, un État uni, capable de constituer un modèle d’intégration des divers héritages coloniaux et de ses valeurs traditionnelles multiséculaires”.

Je dirais pour ma part, en paraphrasant Cheikh Amidou Kane, qu’il n’y a pas au Cameroun une communauté anglophone distincte face à une communauté francophone distincte. Il y a un peuple du Cameroun qui, difficultueusement mais résolument, doit trouver les communs et construire les lieux du mieux vivre ensemble pour les deux communautés.

Monsieur Paul Biya, à défaut d’être celui qui aura mené le peuple du Cameroun à relever ce sublime défi, pourra-t-il entrer dans la grande histoire du Cameroun comme celui qui en aura ouvert la voie par une grande réforme de l’État. Toutes les cartes sont désormais entre ses mains. Le peuple du Cameroun aspire à une nation plus juste dans la redistribution de ses richesses qui sont nombreuses ; une nation mieux gouvernée et plus soucieuse de la construction d’un avenir meilleur et partagé pour les générations à venir.

Quant à moi, je me donne à rêver:
- d’une République des Peuples du Cameroun
- du reversement à la région productrice d’un pourcentage, fixé par une loi, des recettes tirées de l’exploitation d’une ressource naturelle
- d’un mandat présidentiel ramené à cinq ans, dès la fin du septennat en cours, et renouvelable une fois
- d’une alternance francophone, anglophone, fixée par une disposition légale
- d’un poste de Vice-président occupé alternativement par un anglophone et un francophone
- d’un scrutin de liste pour désigner le Président et le Vice-président
- d’une réorganisation d’Elecam
- d’un texte fixant le cadre d’une utile collaboration entre le Conseil Régional et les Services du Gouverneur
- d’une accélération de la décentralisation

Je sais, ça n’est qu’un rêve. Mais sait-on jamais. Il pourrait se transformer en une éclatante réalité si ceux qui ont le pouvoir de faire veulent bien méditer la prière que faisaient, avant chaque prise de décision, ceux qui donnaient alors leurs vies pour leur patrie : “Que Dieu nous donne la sagesse de percevoir ce qui est juste ; la volonté de le choisir et la force de le défendre jusqu’à la mort”.



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