LE « CHANGEMENT » VOULU PAR LES CAMEROUNAIS ET L’INTRUSION DU TRIBALISME : UN ATTELAGE PERDANT …
CAMEROUN :: LIVRES

LE « CHANGEMENT » VOULU PAR LES CAMEROUNAIS ET L’INTRUSION DU TRIBALISME : UN ATTELAGE PERDANT … :: CAMEROON

Les cris de joie qui ont salué l’incarcération de dignitaires du régime natifs de la même aire géographique que le Président de la République et poussés par les populations de celle-ci sont venus de manière éclatante démontrer le désir profond de « changement » qui habite en même temps tous les Camerounais, indistinctement de leur appartenance ethnique. La fête a été infiniment plus grande à Zoétélé que partout ailleurs au Cameroun, lors de l’incarcération de celui qui se comportait en « dauphin » présidentiel. Même réaction lors de l’arrestation du « métis » de la Mefou Akono. Le regard tribaliste cependant dont raffolent tant les claviéristes de Facebook n’a pas su pleinement interpréter ce phénomène. Pourtant, celui-ci démontre une chose fondamentale : il n’existe guère « un » Cameroun qui désire le changement pendant qu’un autre s’y opposerait. Une communauté ethnique qui le désirerait, pendant qu’une autre n’en voudrait nullement. En termes plus triviaux, il n’existerait pas un « peuple Bami » qui désirerait le changement, pendant qu’un « peuple Beti » qui s’y opposerait.

Qu’est-ce qui pose donc problème dans la quête de « changement » au Cameroun aujourd’hui et qui fait que certains s’y activent au besoin en cassant des ambassades et d’autres ne s’y associent guère mais plutôt les combattent ? Comment saluer l’incarcération du « dauphin », et en même temps aussi celle du « Président élu » supposé venir « libérer » le pays du «vieux dictateur Paul Biya et roi fainéant » ? N’est-ce pas contradictoire ?

Chapitre I :

La lutte contre le colonialisme : 1ère manifestation du besoin de « changement » des Camerounais.

Le besoin de changement des Camerounais remonte aux années de lutte contre le colonialisme dans notre pays.

En effet, le régime colonial était extrêmement injuste, discriminatoire, oppressif et sanguinaire. Par exemple, le régime colonial, qu’il fut français ou britannique, avait mis en place une législation qui octroyait le droit à tout Blanc vivant au Cameroun d’arrêter tout Noir et de le mettre en prison pour la durée qu’il décidait souverainement.

Un arrêté français du 14 septembre 1907 définit comme infraction du Code de l’indigénat :

« tout acte irrespectueux ou propos offensant vis-à-vis d’un représentant ou d’un agent de l’autorité »1

On est rapidement passé de « représentant ou agent de l’autorité », à tout Blanc, simplement, vivant au Cameroun. De nombreux Camerounais se sont retrouvés en prison pour « défaut de salut » au passage d’un Blanc. Le Noir devait se mettre au garde-à-vous en faisant le salut militaire lorsque passait un Blanc.

Il y avait aussi :

« Discours ou propos tenus en public dans le but d’affaiblir le respect dû à l’autorité française ou à ses fonctionnaires … »2

On est aussi rapidement passé du « respect dû à l’autorité française », à tout Blanc également.

Un arrêté de 1924 est venu compléter celui de 1907 en ajoutant comme infraction :

« diffusion de bruits mensongers et de nature à troubler la tranquillité publique, colportage d’écrits ou propos séditieux… »3

En 1935, ainsi au Cameroun, on comptait d’après les statistiques officielles, c’est-à-dire de l’administration coloniale française, 32.858 incarcérations pour ces différents motifs, con-tre 3.512 prisonniers de droit commun seulement ; autrement dit, il y avait dix fois plus de détenus dans les pénitenciers du pays pour « oubli de saluer un Blanc en ôtant le chapeau », que pour vol ou agression4.

Le Bulletin du Comité de l’Afrique française avait, en 1924, précisé les peines encourues par un Noir au cas où il ne saluait pas un Blanc qui passait :

« 14 jours de prison, 20 coups de bâton, et 25 coups de fouet »5

Par ailleurs, sur le plan politique, lorsqu’en 1945 se produit une relative libéralisation du régime colonial, le gouvernement français signe une loi électorale ségrégationniste au détriment des Noirs du Cameroun. Conformément à celle-ci, un électeur blanc était égal à 1 voix, tandis qu’une voix « indigène », était égale à 30 Noirs. 6

Dans le même temps, la France a créé une assemblée locale également ségrégationniste, comme en Afrique du Sud du temps de l’Apartheid : l’ARCAM, Assemblée Représentative du Cameroun. Elle comportait deux « collèges », en clair, elle était divisée en deux. Il y avait d’un côté les élus blancs, de l’autre les élus noirs. Le Président de cette assemblée, faut-il le rappeler, était automatiquement un Blanc, conformément à la loi.

Selon Guy Georgy, un ancien administrateur colonial du Cameroun, il n’y avait que trois mille deux cents Français (3. 200) sur le territoire (7) en 1946, contre presque trois millions (3.000.000) de Camerounais. Les 3.200 Français bénéficiaient 16 élus, pendant que les 3 millions de Camerounais n’en avaient 248.

Dans les villes, la ségrégation était de règle. Le quartier des Blancs était interdit d’accès aux Noirs passé 18h et avant 7h du matin, excepté pour les boys et les cuisiniers des Blancs, dont certains logeaient dans les « dépendances ».

De même, au marché, les Noirs étaient interdits de faire leurs courses avant 10h, afin de permettre aux femmes blanches de les faire en premier. Gare à la malheureuse noire qui était surprise en train d’effectuer des achats avant l’heure indiquée !!!

Les conditions de travail sous le régime colonial étaient terribles.

Henri-Richard Manga Mado fait ce témoignage au sujet des travaux publics :

« La journée commençait habituellement à quatre heures du matin. Nous sommes réveillés au son du tam-tam. Deux policiers ont mission de nous faire lever à la chicotte et de nous aligner devant le chef du camp qui nous attend dehors avec sa lampe « Aida ». Après l’appel et le pointage, on nous dirige vers nos chantiers respectifs. (…)

Toute la journée, ou bien l’on était courbé sur la pioche, ou l’on se redressait pour jeter au loin les pelletées de gravier. Si par malheur pour les forçats et par bonheur pour le patron, on tombait sur une épaisse couche de gravier, il fallait absolument terminer le travail, même à la nuit tombée (...) c’est sous la lueur de la lampe « Aida », les injures et les coups de chicotte du patron qu’on achevait sa tâche.

Un autre travail parmi les plus pénibles consistait à percer les collines jusqu’au niveau des rails. Il fallait creuser une tranchée, piocher et déblayer la terre jusqu’à dix ou quinze mètres de profondeur. Si, par malheur, il avait plu, la terre des côtés devenait molle et si vous vous trouviez dans le trou quand elle se détachait, elle vous ensevelissait et vous donnait ainsi pour sépulture cet ignoble chantier. Trente à quarante personnes mouraient chaque fois de cette façon. Il ne restait plus qu’à déblayer la terre recouvrant les corps, puis aller les inhumer ailleurs. (…)

Le dynamitage des rochers constituait également un grave danger. Deux mois après notre arrivée, le tracé de la voie ferrée aboutit à un énorme rocher qu’il fallait dynamiter. Le chef blanc qui s’occupait de ce travail particulier avait fait des trous dans le rocher et y avait déposé des charges de dynamite. Il nous donna l’ordre de quitter ce lieu et de n’y revenir que lorsqu’il nous rappellerait, une fois que le rocher aurait éclaté. C’est alors seulement que nous aurions à enlever les pierres. Il était seul à connaître le nombre de charges nécessaires pour faire éclater la roche.

Après qu’un certain nombre de charges eurent éclaté, il siffla pour nous appeler. Bon nombre de travailleurs sortirent de leurs cachettes et se précipitèrent vers l’endroit où la dynamite était censée avoir sauté. Mais, à peine l’eurent-ils atteint, que deux autres charges explosèrent subitement. Ce fut la catastrophe. Des têtes volèrent et des corps furent déchiquetés, des membres séparés du reste du corps … Soixante personnes périrent de cette façon horrible, seuls quatre en échappèrent et j’eus le bonheur d’être parmi ces miraculeux rescapés. Sur le rocher brûlant, restaient encore sept blessés graves qui gémissaient et se tordaient de douleur. Nous reçûmes l’ordre de ramasser les corps déchiquetés et nous les enterrâmes tant bien que mal.

Le travail se poursuivit les jours suivants comme à l’ordinaire. (9)

Cette relation Blanc/Noir et marquée par la maltraitance, a considérablement révolté les Camerounais et a nourri leur désir de mettre fin au régime colonial, autrement dit, leur désir de « changement» dans leur vie.

On connaît l’histoire : l’UPC est née, pour réclamer la fin du régime colonial, porteur de malheur pour la population.

…………………………..

Avant-propos

Chapitre I :

La lutte contre le colonialisme : 1ère manifestation du besoin de « changement » des Camerounais.

Chapitre II :

Le besoin de « changement »sous le Président Ahidjo.

Chapitre III :

Le « changement » en dix points apporté par Paul Biya succédant à Ahmadou Ahidjo.

Chapitre IV :

Le « changement » voulu par le peuple en 1990.

Chapitre V :

L’entrée en scène du Tribalisme et l’échec du « changement » de John Fru Ndi en 1992

Chapitre VI :

Le désir de « changement »de 1993 à 2016.

Chapitre VII :

L’émiettement du « changement » ou l’insurrection au Nord-Ouest et Sud-Ouest.

Chapitre VIII :

L’avènement de Facebook, du MRC et l’échec du « changement » de Kamto en 2018

Chapitre IX :

Le MRC comme le Front National sous Mitterrand : allier n°1 de Paul Biya

Chapitre X :

La difficile fédération du « changement » de nos jours

Pour acquérir le livre : taper www.amazon.fr , puis le titre ou Enoh Meyomesse, prix : 10 euros

1 - Jean Suret-Canale, Afrique Noire, l’ère coloniale, 1900-1945, Editions Sociales Paris, 1964, page 419.
2 - Ibid., page 420.
3 - Ibid.
4 - Ibid.
5 Ibid. p 421
6 - Documentation française, Paris.
7 - Guy Georgy, Le petit soldat de l’empire, Flammarion 1992, page 29.
8 - Les 16 élus blancs ont été : MM. Albert, Aubery Roger, Chamaulte Henri, Coron, Dehon, Fayet, Fouletier, Giard, Grasard, Guyard, Koudjaali, Lagarde, Pelletier, Penanhoat Brieuc, Schmidt, Tricou. Quant aux 24 élus « indigènes » : MM. Abdul Baghi, Abega Martin, Ahidjo Ahmadou, Ahmadou Zamey, Bessala Valère, Chedjou, Alexandre Douala Manga Bell, Ebede Albert, Efoudou, Iyawa Adamou, Kamga, Kemajou Daniel, Lamido Bogo, Mahondé Ahmadou, Medou Gaston, Abbe Melone, Nomo Martin, Okala Charles, Pitol, Sultan Sei-dou, Soppo Priso Paul, Tella Zimil, Woungly Massaga, Yerima Halilou.
9 - Ibidem, Henri-Richard Manga Mado, Complaintes d’un forçat, Editions Clé, Yaoundé, p 22,23,24.

Lire aussi dans la rubrique LIVRES

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo