Bertrand Teyou : « La France n’est pas un idéal des libertés individuelles »
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L’homme qui « déshabilla » la Première dame

Écrivain et activiste politique en France depuis 2011 où il a jouit du statut de réfugié politique, il est arrêté et jeté en prison en novembre 2010 pour avoir écrit un livre intitulé « la Belle de la République bananière: Chantal Biya de la rue à la Présidence », l’ouvrage fut retiré des librairies et confisqué par la Police. Grâce au soutien d’Amnesty International, il va recouvrer la liberté. Son exil le conduit d’abord au Mexique avant de se retrouver en France. Le 12 février 2019, après 45 mois de lutte inlassable derrière les barreaux, la Justice française annule les mesures arbitraires prises contre sa personne par l’Etat français. Une décision qui, sur le principe, le réhabilite dans tous ses droits, rejoignant l’expertise légale qui, lors de son procès de Besançon, préconisa formellement sa libération en déclarant son acte de revendication précurseur du mouvement des gilets jaunes. Bien que saluant cette victoire judiciaire rarissime, l’homme confesse avoir renoncé à reprendre sa carte de résident et à bénéficier des 150 euros par jour de dédommagement proposés en accompagnement juridique. Car sortant du cœur même de la « férocité blanche » qui décime l’Afrique. De retour au pays pour « témoigner de l’incroyable calvaire que vivent les Africains sur le sol français, l’homme se confie en exclusivité au Messager. En attendant le livre à paraître sur le sujet dans les tous prochains jours intitulé « le peuple noir et l’ani-mâle blanc », il raconte dans l’entretien ci-dessous, ses démêlées avec le Pouvoir de Yaoundé, les gloires et les misères de son exil mais aussi ses projets à court, moyen et long terme. A table ! Bonne dégustation !

Vous revenez d’un exil politique en France. Comment s’est déroulé votre long séjour sur le territoire français ?
Je dois d’emblée rappeler que je suis parti du Cameroun parce que j’avais des difficultés quant à la publication de mes ouvrages. Mais quand vous arrivez en France, vous pensez que c’est un pays de liberté d’expression et vous découvrez la réalité qui choque, vous commencez à réfléchir sérieusement. Lorsque vous découvrez aussi que la liberté d’expression n’est pas ce que l’on croit souvent ou ce que les gens tendent à nous démontrer, vous redescendez sur terre. La liberté d’expression dans ce pays est très compliquée. On ne s’exprime pas en France aussi facilement que les gens pourraient l’imaginer. On parle de dictature au Cameroun mais en Europe il y a une dictature douce qui est encore plus vicieuse que celle du Cameroun et qui détruit même beaucoup plus.

Vous en avez payé les frais ?
J’en ai payé les frais vu que j’ai été condamné à 5 ans d’emprisonnement pour avoir posé un acte de revendication que l’expertise judiciaire a déclaré légitime. Fait rarissime en France, on ne peut pas condamner quelqu’un alors que l’expertise psychiatrique a dit que l’acte posé par M. Teyou est légitime. Et quand on a une telle conclusion d’un expert, il n’y a pas de raison de mettre quelqu’un en prison. Je sors quand même de 5 ans de prison en France avec les réductions de peine, j’en ai fait quatre. Il était important pour moi, plutôt que de prolonger mon exil politique en France, de remettre ma carte de résident aux autorités françaises pour retourner au Cameroun. Parce que je pense que, contrairement à certains clichés, il ne faut toujours pas croire que la liberté d’expression est plus compliquée qu’au Cameroun qu’en France. C’est beaucoup plus complexe que cela.

Pourquoi revenir au Cameroun alors qu’on se serait attendu comme beaucoup de personnes dans votre cas, que vous restiez en France plutôt que revenir dans «l’enfer du pays natal » ?
Comme je l’ai dit dans le livre qui va paraitre bientôt et intitulé « le peuple noir et l’ani-mâle blanc », si je reviens au Cameroun c’est parce que je fais un cliché avec la prison. Des fois, je dis à certaines personnes que la prison en France est plus dangereuse qu’au Cameroun par exemple. Parce qu’au Cameroun, il y a une situation arbitraire qui est misérable. Alors qu’en France, il y a une situation arbitraire qui est meurtrière, vicieuse, douce. Les gens ne se rendent pas compte mais il faut être dedans pour se rendre compte qu’en France, la condition liée à la gestion de la liberté est beaucoup plus difficile. Alors qu’au Cameroun, on a la possibilité de s’en sortir à titre informelle, de « jongler », pour reprendre une expression triviale. Mais au moins vous existez. Par contre, en France, vous n’avez aucune chance d’exister et on ne peut vous loger que dans la situation d’aide dont vous dépendez. C’est l’image de l’aide publique au développement qui décime l’Afrique. C’est cet esprit, cette condition qui règne dans la communauté africaine habitant en Europe. Elle est dépendante à l’aide sociale ou emploi-aider. On les emprisonne mais une prison dorée qui leur donne l’impression qu’ils existent alors qu’en réalité, ils n’existent pas.

L’appréciation faite par le gouvernement français de la situation des libertés individuelles qu’on a toujours comme par essence l’habitude de comparer avec ce qui se passe au Cameroun a-t-elle changé votre façon de voir les choses ?
Ecoutez, premièrement il faut savoir que ce qui a construit la France c’est le droit romain. Et on a l’impression que ce sont les Français qui nous apportent le droit en Afrique alors que c’est l’Afrique qui apporte le droit en France. C’est le droit africain des noirs qui a construit la France. Donc, je pense que dans le réservoir de notre héritage historique, nous avons des éléments permettant d’avoir un droit meilleur en Afrique beaucoup plus qu’en France. Mais voila, on a souvent des clichés. Je prends un exemple : j’étais en train de rouler en voiture avec des gens qui me disent « ici à Yaoundé, il y a plus d’embouteillage qu’en Europe. Chez les blancs, on ne peut pas voir un désordre pareil dans la circulation ». J’imagine que c’est quelqu’un qui n’a jamais été à Paris par exemple puisqu’il est quasiment impossible de circuler, c’est un désordre ingérable. Des fois, on se borne aux clichés. Alors qu’il faut analyser en profondeur pour avoir une appréciation plus objective. Mon exil en France ne m’a pas apporté un autre point de vue sur le Cameroun parce que je le connaissais déjà. Mais je trouve que cela m’a plutôt permis de mettre en évidence des éléments permettant d’affirmer ce que tout le monde savait déjà. Parce qu’on ne se fait aucune illusion aux pays des blancs, comme on dit souvent. L’idéal des libertés individuelles, ce n’est pas là-bas. Au contraire la liberté d’expression connait beaucoup de problème non seulement en Europe et en occident en générale.

En quoi le livre sur la première dame pouvait-il être un outrage? Constituait-il une menace pour la Présidence de la République ?
Je ne saurais vous répondre par l’affirmative. Je suis un écrivain ; j’écris des livres, je peins la société. Ce que je sais, c’est que ce livre m’a envoyé en prison. Mais tout a commencé bien avant. Je l’ai dit dans plusieurs interviews que j’ai accordées à la presse et même aux organismes internationaux de Droits de l’Homme. Paul Biya, le président, a écrit un livre intitulé «Le code Biya» où il décrit le Cameroun comme un paradis. Pour lui, tout se passait bien. Mais nous vivions une autre réalité. Il fallait réagir. En réponse, j’ai écrit «L’Antécode Biya». L'info claire et nette. Ce livre a été interdit et retiré des librairies. En 2008, il y a eu un livre intitulé «la passion de l’humanitaire» dans lequel la first lady est présentée comme Mère Teresa d’Afrique. J’ai écrit en réaction à l’inacceptable, un deuxième livre: «La Belle de la République bananière: de la rue au Palais». Et l’Etat a estimé que la première dame de la République a été attaquée. J’ai été arrêté une heure à peine après la parution du livre. Il y avait des forces de sécurité partout. J’ai été interrogé pendant de longues heures. Ils voulaient savoir ce que j’avais derrière la tête. Ils étaient obsédés par l’idée d’un complot. J’ai eu droit à un procès sommaire et j’ai été condamné à 2 ans de prison. La suite, vous la connaissez.

En attendant la sortie de votre prochain ouvrage, quel retour avez-vous du précédent opuscule ?
Quand vous avez un livre qui est demandé dans le marché, vous êtes obligé de passer par des intermédiaires qui s’appellent Hachette et les autres références dans le milieu. Vous êtes obligé de travailler avec des partenaires qui, forcement vont dépendre de l’accessibilité de ces diffuseurs. Si vous n’avez pas un diffuseur qui vous permet d’accéder au consommateur final, vous allez avoir des problèmes. Mais j’avais une forte demande, cela se passait bien. Forcement lorsqu’ un livre fait problème, les gens me demandent à le lire. Au fur et à mesure, que les gens découvrent mes écrits, ils se disent que j’apporte mes idées pour permettre au pays d’avancer. Parce que nous, ce qu’on souhaite est que le Cameroun avance. On n’est pas dans une logique d’être dans une position obsessionnelle. On est dans une idée de permettre que les choses marchent et qu’il y ait du progrès pour tout le monde.

Est-ce que si cela était à refaire, vous aurez commis un livre toujours aussi sulfureux que celui là ?
Bien évidemment. Tout ce que j’ai fait, je l’assume parfaitement. Si c’était à refaire, je ferai exactement pareil. Et je crois qu’avec du recul, je voudrais le préciser ceux qui peut-être m’en voulaient, ont compris que le débat n’était que quelque chose de productif pour permettre que les choses avancent. Et j’ai été d’ailleurs ravi parce que quand les autorités consulaires m’ont reçu et m’ont confié « nous apprécions le travail que vous faites. Nous allons faire tout le nécessaire pour faciliter votre retour au Cameroun ». Il y avait une forte opposition à l’instar du Code et le Ccd. Parce que quelques jours après mon audition consulaire, le Ccd et le code qui étaient formellement opposés à mon retour au Cameroun, ont fait une descente à l’ambassade au Cameroun et l’ont dévasté. Moi, je pense que s’il faut combattre contre l’injustice, il faut le combattre avec la même détermination aussi bien quand on a affaire à M. François Hollande ou à M. Macron et à M. Paul Biya. C amer be Si on est plus actif à crier contre M. Paul Biya, il faut aussi être actif à crier même avec « le blanc », on le dit chez nous, qui commet un acte arbitraire. Mais si on se borne à faire de Biya notre moins cher, je pense qu’on doit sortir de cette optique. Il faut être contre l’injustice quelque soit la personne qui commet cet acte. Mais ils ont quelque part commis cet acte qui a failli compromettre mon retour au Cameroun car j’ai eu des problèmes parce qu’ils étaient contre mon retour et pensaient que c’était comme une trahison. Je leur ai dit « excusez-moi mais on est en Europe et rien ne nous permet d’avancer. La preuve est que parmi vous, il ya personne qui avance. On est encore moins bloqué au Cameroun car ici, tu peux encore jongler comme on dit chez nous. Mais en Europe, l’on n’a aucune chance à part dépendre des aides ». Je ne vis pas en Europe, je préfère retourner au Cameroun. C’est cela qui a fournit ma détermination à retourner au pays. Et je les invite d’ailleurs à adopter la même démarche où il faut vivre avec dignité. Voila c’est cela qui fonde mon retour au Cameroun.

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