Cameroun: Nouvelle à lire de Enoh Meyomesse: EZAZU revient de Mbeng
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Cameroun: Nouvelle à lire de Enoh Meyomesse: EZAZU revient de Mbeng :: CAMEROON

Le jour du départ pour le village fut arrivé. Adeza et sa fille empruntèrent un taxi pour se rendre au stationnement des « opep » qui y conduisent. Lorsqu’elles descendirent du taxi, des chargeurs de voitures les assaillirent.

— Okazioñ pressé ! Okazioñ pressé ! Okazioñ pressé ! Kômbé vitesse ! Kômbé vitesse ! Mina ke vé ? Où allez-vous ? Hein ? Voici votre « opep », c’est celui-ci qui charge en ce moment.

— Nous allons à Etam, répondit Adeda.

— Ici, madame, ici. C’est ici, jaillit un autre chargeur qui l’attrapa par le bras.

Un autre arracha littéralement le sac de voyage des mains d’Ezazù et partit le fourrer dans la malle arrière d’une vieille guimbarde complétement déglinguée et multicolore à force de récupération de pièces de divers autres automobiles. Elle se mit en colère.

— Mais dis-doooon ! Ça veut dire quoi ça ? Quels sont ces péquenots qui se permettent de m’arracher mon sac ? Pour qui vous

prenez vous ? Vous êtes tombés sur la tête ou quoi ?

Ce fut comme si elle avait donné un signal aux chargeurs et autres nombreux badauds qui encombraient le stationnement de taxis de brousse.

— Haaaaa !!!! Assiaaa !!! Elle parle comme une Blanche, c’est une parisienne, elle vient de descendre de l’avion à Nsimalen, aboya l’un d’eux.

Les autres enchaînèrent aussitôt par un chant de raillerie tout en claquant des mains :

« Zé véné de mbengé, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbengé, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbengé, zé descend avion à tout à l’air ».

D’autres se mirent à siffler.

« Chuiii, chuiii, chuiii, chuiii, la parisienne, la parisienne, regardez ses cheveux, chuiiiiii, chuiiii, chuiiii ».

« Chuiii, chuiii, chuiii, chuiii, la parisienne, la parisienne, regardez ses cheveux, chuiiii, chuiiii, chuiiii ».

« Chuiii, chuiii, chuiii, chuiii, la parisienne, la parisienne, regardez ses cheveux, chuiiiiiii, chuiiii, chuiiii ».

Ezazù en fut encore plus vexée.

— Bande de connards ! lança-t-elle. Abrutis ! Vous ne me faites pas rire.

« Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air ».

— T’occupe-pas d’eux, lui dit Adeda, c’est gars sont particulièrement mal élevés, tu ne les connais pas. Ignore-les.

« Chuiii, chuiii, chuiii, chuiii, la parisienne, la parisienne, regardez ses cheveux, chuiiiiiii, chuiiii, chuiiii ».

« Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air. Zé véné de mbeng, zé descend avion à tout à l’air ».

— Maman, n’écoute pas ces vauriens, c’est comme ça qu’ils font toujours ici au stationnement, venez seulement monter, il

ne manquait justement que deux places, montez à l’avant, à l’arrière vous serez inconfortablement assises, vous serez trop serrées, répondit pour sa part le jeune homme qui avait arraché le sac d’Ezazù.

Ezazù se pencha et regarda à l’intérieur de la voiture. Elle ouvrit grandement les yeux et la bouche, tellement il y avait de monde. Elle claqua des mains d’étonnement.

— C’est comme ça ici au pays, ma fille, montons seulement, l’essentiel est que nous arrivions, montons, réagit Adeda.

— Mbeng woman, tu ne pouvais pas apporter ta propre voiture ? Tu viens de Mgeng non ? N’est-ce pas là-bas que l’on fabrique toutes ces vieilleries que nous avons ici, l’apostropha un des chargeurs qui chantaient il y a un instant un chant de provocation contre elle.

— Monte, monte, ma fille, ne t’occupe pas de ces bandits, ce sont des enfants dont l’éducation a dépassé leurs parents, ce sont des ratés, laisse-les, ne t’occupe pas d’eux.

Ezazù secoua la tête, toujours stupéfaite par le nombre de passagers qui se trouvaient déjà à l’intérieur du petit véhicule de tourisme. Il y en avait déjà sept, pour une auto de cinq places. Avec sa mère et le conducteur, cela allait en faire dix, soit le

double des passagers prévus par le constructeur. Au moment où elle voulut s’y installer, trois gaillards supplémentaires grimpèrent sur la toiture de l’automobile en passant sur le capot. Elle eut le souffle coupé, tout simplement.

— Ma fille, reprit sa mère, on voit que tu as déjà oublié les réalités de ton pays, c’est comme ça ici. Là-bas vous voyagez dans des trains qui roulent à trois cents à l’heure, ici, nous, nous montons à quinze dans des voitures de cinq places. C’est ça l’Afrique, c’est ça ton pays.

12

L’“Opep” n’avait plus tardé à partir. Le conducteur avait encore inséré un passager entre Adeda, Ezazù et lui. Il était ainsi assis sur une fesse uniquement et avait le bras gauche qui pendait à l’extérieur de la voiture. Pour démarrer, il aboya : « tara ! poussez ! » De solides gaillards qui jusque-là suçaient tranquillement des cannes à sucre à un coin du stationnement routier, s’amenèrent. Ils posèrent leurs robustes mains sur le coffre arrière du véhicule, et se mirent à le pousser. Celui-ci se mit à avancer tout lentement. Le conducteur posa alors longuement son pied sur la pédale

d’embrayage en l’appuyant, manipula le levier de vitesse, puis leva d’un coup son pied de la pédale d’embrayage. L’automobile en fut secouée, et son moteur se mit à pétarader pendant qu’elle avançait tel un cabri que l’on vient de détacher, et finalement à ronfler normalement. Le conducteur jeta quelques pièces de monnaie à travers la fenêtre à ces garçons qui avaient poussé l’auto, porta sa main sur la manette du clignotant, l’actionna, et engagea l’automobile sur la grande avenue qui conduisait à la sortie de la ville.

* *

*

Bien vite, l’« Opep » quitta la route bitumée et s’engagea sur une piste en terre. De la poussière envahit instantanément l’intérieur de l’automobile. Ezazù sortit à la hâte de son sac à main, un foulard et se l’attacha sur les cheveux.

Ils ne roulèrent pas longtemps, et au loin s’aperçut un barrage de la gendarmerie.

— Wêêêêêêêhhh ! « vieux coq » est toujours là, se plaignit le conducteur.

Il tenta une manœuvre pour franchir à toute vitesse la barrière. Peine perdue.

« Vieux coq » bondit du bord de la rigole où sur les racines d’un arbre il était assis et vint s’interposer sur la chaussée. Le conducteur stoppa en catastrophe l’auto. Le gendarme s’avança à la hauteur de la fenêtre du conducteur. Il le dévisagea et sourit.

— Gare bien mon petit, depuis le matin, Abena, tu ne fais que me jongler. N’est-ce pas te voici ? A présent, tu ne peux plus t’échapper. Gare bien et viens me remettre ce que tu dois me donner. Tu connais le tarif : 3000 la demi-journée. Mais, tout d’abord le dossier du véhicule.

Il ouvrit sa main et la tendit afin qu’Abena le pose dessus. Ce dernier poussa un soupir d’agacement et de résignation.

— Je ne fais que commencer ma journée, chef…

— Mhémhémhémhémhémhémhé !!!!! répondit « vieux coq ». (Il maintint sa main ouverte et tendue). Le dossier je dis, et tu me retrouves sous l’arbre, ne me perds pas le temps.

Abena tenta une nouvelle explication. Rien n’y fit. De guerre lasse, il écarta ses jambes, fourra sa main sous son siège et en sortit une sacoche toute poussiéreuse qu’il ouvrit en faisant coulisser sa fermeture éclair. Il en extirpa des feuilles de papier

pliées et les tendit à « vieux coq ». Puis il coupa le moteur de son auto.

« Vieux coq » les prit, les plaça sous son aisselle et retourna s’asseoir sous l’arbre. Le conducteur lança un juron. Il prit sa sacoche avec lui, ouvrit sa portière et sortit de l’auto. Il ne la referma pas. Il rejoignit le gendarme sous l’arbre et se mit à discuter avec lui tout en gesticulant.

Les passagers, demeurés dans la voiture commencèrent à abreuver à voix basse d’injures le gendarme. « Vieux coq » était réputé sur ce tronçon routier pour sa cupidité. Tous les conducteurs de taxis-brousse et de taxis-motos qui l’empruntaient étaient tenus de lui payer une dîme quotidienne, dès le premier voyage qu’ils effectuaient dans la matinée.

Ezazù ne se retint pas.

— Maman, voilà le genre de choses que je ne peux plus supporter. Voilà le genre de choses qui me dégoûtent dans ce pays. La corruption. Ce gendarme est rémunéré à la fin du mois pour effectuer des contrôles routiers. Il n’a pas à exiger de l’argent aux véhicules de transport qui passent. Ce n’est pas admissible, s’emporta-t-elle.

— Chuuuuttt !!!! Parle à voix basse, ma fille, chuut !!! parle à voix basse, sinon « vieux coq »

pourrait nous retenir ici pour la journée. Ferme les yeux, ne regarde pas là-bas.

— Maman, c’est peut-être la dernière fois que je mets les pieds dans ce pays, c’est dégoûtant. C’est la dernière fois.

— Non, ma fille, tu continueras à venir, c’est ton pays, tu n’y peux rien.

Le conducteur revint en courant. Il monta dans la voiture, ferma sa portière demeurée ouverte, et parvint à redémarrer son auto sans la faire pousser. Il s’assura que la voie était libre en jetant un coup d’œil en arrière, puis il s’engagea sur la chaussée. Il accéléra fortement, et les passagers virent « vieux coq » disparaître derrière la poussière soulevée par la voiture.

La pluie se mit à tomber. Des trombes d’eau se déversaient sur la chaussée, on aurait dit qu’elles provenaient d’un immense réservoir placé au-dessus des nuages et percé de mille trous. La chaussée en fut aussitôt imbibée. La voiture se mit à zigzaguer sur la route tel un serpent qui se déplace. Le conducteur en réduisit la vitesse, d’autant que ses essuie-

glace ne fonctionnaient pas. De la buée rendit rapidement opaque le pare-brise. Abena tendit la main du côté d’Ezazù et sa mère, ouvrit la boîte à gants qui se trouvait devant elles, et en retira une serviette toute crasseuse. Il se mit à essuyer le pare-brise avec. De l’eau s’écoulait à plusieurs endroits à l’intérieur de l’auto et mouillait les passagers. Ceux-ci se mirent à rouspéter. Abena, quant à lui, était de marbre. Il ne leur répondait pas. Il tenait fermement des deux mains son volant. Il le tournait dans un sens et le retournait dans l’autre, selon que la voiture glissait vers la gauche ou vers la droite, tout en essuyant par intermittence le pare-brise pour ne pas cesser de voir la chaussée.

Au sortir d’un virage en épingle à cheveux, une longe marre d’eau apparut. Abena lança un juron. Il réduisit la vitesse de la voiture, puis stoppa au bord de celle-ci. Elle coupait la chaussée de long en large, conséquence d’un cours d’eau en crue à cause de la pluie. « Tout le monde à terre », ordonna-t-il.

— Hein ? s’en effraya Ezazù.

— Tout le monde à terre j’ai dit, répéta Abena.

Les passagers se mirent de nouveau à rouspéter dans

Abena coupa le moteur. Il se déchaussa, replia son pantalon jusqu’aux mollets, enfila un sachet en plastique sur la tête en guise de chapeau pour se protéger de la pluie, ouvrit sa portière, et se mit à patauger dans la boue jusqu’à la mare. Il chercha des yeux quelque chose. Finalement, il ramassa dans les herbes sur le bord de la chaussée un bâton qui traînait par là. Il pénétra dans la mare d’eau et se mit à en sonder la profondeur à l’aide de son bâton. Il le fit sur toute sa longueur, puis revint sur ses pas. Les passagers se trouvaient encore tous dans la voiture.

— Tout le monde à terre j’ai dit, je ne peux franchir cette mare d’eau avec vous sans m’embourber.

— Nous n’y pouvons rien ma fille, descendons. Mais, auparavant, dé-chaussons-nous, à cause de la boue.

Ezazù et sa mère, après avoir ôté leurs chaussures et les avoir prises en mains, sortirent de l’auto sous la pluie, ainsi que tous les autres passagers. Ezazù fut immédiatement et complétement mouillée. L’eau de pluie se mit à ruisseler sur son visage en défaisant son maquillage. Elle s’en plaignit intérieurement. Tous les passagers se tinrent derrière l’auto. Abena y pénétra et

en démarra le moteur. Il accéléra d’abord fortement sur place en le faisant vrombir, pendant qu’une épaisse fumée toute blanchâtre s’échappait du pot d’échappement. Puis il démarra en trombe et s’enfonça avec l’automobile dans la mare d’eau. Celle-ci s’éleva rapidement jusqu’au niveau de ses portières. L’auto y avança juste de quelques mètres, puis son moteur s’éteignit. Elle se retrouva prisonnière de la mare d’eau boueuse. Abena tenta à plusieurs reprises de relancer le moteur, en vain. La pluie de son côté, ne cessait guère. La situation devint critique. Les passagers coururent se réfugier sous les arbres de part et d’autre de la chaussée.

…..

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