Multiculturalisme et mariages interethniques
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Dans un précédent article (« Le Jour » du 01/02/18), je tentais d’interpeller les termes « promouvoir le multiculturalisme ». Car « la promotion » peut consister à enfermer les cultures dans leurs frontières respectives (« les traditions ») ou à en dégager les lignes transversales (en vue de coconstruire une identité nationale trans-ethnique). Prenons le prétexte du mariage interethnique pour en ouvrir quelques autres angles. Je prendrai en témoignage « La Reine Blanche » (ç’aurait pu être « Amour et traditions »), diffusée sur nos chaînes nationales, avec le succès d’audience qu’on lui connaît. Un autre exemple sera l’émission « Paroles de femmes », animée par Julie N. Ngnonde !

Le mariage (« aimer quelqu’un…, épouser quelqu’un…, épouser une cause…, épouser des valeurs… épouser des modèles »… ) nous aiderait à comprendre d’autres problématiques psychologiques et sociales. Dans celles-ci, le passage de l’ethnie aux classes sociales, aux problématiques de genres, aux cultures religieuses, politiques, aux représentations de l’autre, etc., et à leur reproduction. J’en conclurai par la place de la violence dans les relations sociales au Cameroun, et par le malentendu qui consiste à voir nos magistrats porter des perruques britanniques. L'info claire et nette. Commençons par « Paroles de femmes » sur le thème du mariage interethnique (Equinoxe, 30/1/18). La première femme, d’origine Sawa, a vécu une quarantaine d’années avec un mari d’origine Bafou, à Douala : 4 garçons et 2 filles sont nés de cette relation. A la mort de cet homme, la belle-famille trouvera « conforme aux traditions », de prendre le « successeur du père », non parmi les garçons de son épouse, mais chez une autre: « la femme du village ». Légalité contre légitimité, un « métis » Sawa –Bafou, n’étant pas suffisamment Bafou pour devenir le successeur légitime de son père.

Une veuve déchue, aigrie, sans qu’on puisse savoir la part du deuil du mari dans sa tristesse. La 2e, du Nord-Ouest, mariée depuis 35 ans avec un Mbouda, vantant les Mboudas comme « les meilleurs maris du monde », et ne trouvant que des avantages à voir ses enfants s’épanouir dans les deux belles-familles. Energique, heureuse, idéalisant son couple, comme un coup du destin (deux âmes-soeurs). Mieux, elle donne une leçon de géopolitique : car, pour éviter les guerres inter villages, c’était le fils de la femme « allogène » (« venue d’ailleurs ») qui était traditionnellement choisi pour monter sur le trône.

La troisième, de Bafang, a épousé un Bafang depuis 10 ans, et fait reposer le bonheur conjugal et familial, sur une harmonie et une unicité de langue et de connivence entre les deux familles. Presque défensive, en miroir, mettant l’amour en avant, mais condamnant le mariage d’un(e) bamiléké(e) avec un(e) « Nkwa » (les peuples à partir du Mungo vers le Littoral et le Centre-sud). Mais « s’entendre, se comprendre… », fondement d’un couple, questionne aussi l’éthique fondatrice du mariage, et les contenus que les législations peuvent en traduire ici ou là. Mystique et mystère du mariage aussi, dont « l’entente sexuelle » et ses aléas, l’infertilité, sont parfois le reflet et l’expression. Tenons pour acquis qu’en cas de procréation, l’une des fonctions premières du couple, en dehors du bonheur à deux, est la protection des descendants, et l’équitabilité dans la promotion de leur épanouissement. Ce qu’une société doit considérer comme la première mission de toutes ses structures et institutions.

Trois couples, dans des postures très passionnelles, vivant à Douala (milieu urbain), avec un niveau socioculturel au-dessus du bac : c’est de l’expérience subjective que toutes trois théorisent sur le mariage idéal. Théorisation trop ethnocentrée, car on ne vit pas 10, 35, 40 ans, avec un homme ou une femme du fait de son ethnie, mais de ses qualités et défauts, et du fait d’autres facteurs qui donnent une singularité à cette personne. Ces théorisations occultent, d’une part l’emprise du mariage civil et du mariage religieux sur le mariage coutumier, d’autre part, la perversion de la dot devenue marchandisation de la fille à marier. De même voit-on que ce sont les évènements de la vie qui permettent de réévaluer les relations conjugales.

A l’exemple de la mort d’un mari qui a donné l’occasion de se confronter à la dépossession des veuves de leurs droits, par la famille du mari, pratique courante dans la plupart de nos cultures. Sans compter l’unilatéralité des épreuves de veuvage souvent brutales que subissent les femmes, de générations en générations. Interrogeant le respect dû à une femme, à une mère, à sa famille, une fois qu’elle a été dotée. La série « La Reine blanche », dans son titre, rappelle l’histoire bien curieuse à son époque, de cette fille de Pasteur alsacien devenue l’une des femmes d’un Chef Bangangté : histoire presque légendaire, racontée dans un beau documentaire, par Bassek Ba Kobbio. On y découvrait une femme, à un tel point intégrée culturellement que c’est elle qui semblait initier ses co-épouses et les autres femmes dans les traditions du Ndé.

Cette femme, Claude Njiké-Bergeret, étonnante encore à un autre niveau : sur le fondement d’un amour pour la personne de Pokam Njike Robert, et non de Sa Majesté, elle refusera de rester à la chefferie, après avoir participé à toutes les étapes du deuil, à la mort de son mari. Problématique de toutes les veuves lorsque l’obligation « d’être lavée » par un beau-frère (lévirat) vient à s’exprimer : inceste de 2è type, puisque la belle-soeur jusque-là interdite de sexualité, peut devenir épouse légitime et légale. La mise en exergue du cas Njike - Bergeret, ne pouvait pas occulter l’histoire bien ancienne des couples mixtes Blanche /Camerounais (dont un autre cas célèbre mais sans tapage, de cette femme Maire dans une banlieue de Yaoundé). Dans les premiers étudiants partis en France ou en Grande Bretagne, et plus tard dans les pays de l’Est, revenus avec des femmes blanches, plus que l’interethnicité, parlons de reclassement social : telle femme de milieu modeste, se voit épouse de ministre ; tel garçon, avec une diplômée et/ou « sa blanche », se voit plus « en haut ». Comme les colons d’avant, ces couples vivaient dans les espaces réservés aux grands fonctionnaires : histoire de « Blancs » et « nouveaux Blancs ». Quant à épouser une noire, elle devait être « diplômée », et / ou de bonne famille : mariages parfois arrangés, contractés quelques fois à distance. Certains cadres moyens, à l’envers, épousaient souvent les « filles du village », peu lettrées, pour mieux s’assurer leur soumission. En immigration interne, certains « allogènes » épousent les filles de la localité, pour mieux s’intégrer, ouvrir un commerce, acquérir des terres, etc. De quoi démultiplier encore plus les motivations de mise en couple, y compris dans les débats idéologiques sur l’homosexualité, qui, paradoxalement, prennent appui sur la zoologie ou sur l’ethnicité (« les traditions »).

Pour en venir à la série, sans avoir à en analyser la qualité, réalisée en langue française par Ebénézer Kepombia, elle a pour cadre une chefferie bamilékée, mais avec des personnages portant des noms de différentes ethnies (Simo, Mitoumba, Assimba, Elimbi, Bengono, Lobe, Kamdem…). Elle semble avoir pour thématique centrale, l’alternative entre l’ancrage dans « les traditions du village Sokoundé », et les tentations de la modernité (« en ville…la ville… »). Sous peine de subir « une malédiction et la colère des ancêtres », le Chef et ses notables qui sont les garants des traditions, ont pour missions, à travers les parents et les rituels, de faire intérioriser ces traditions par tous les enfants du village, et par tous les moyens (la violence essentiellement). Parmi elles, l’interdiction d’épouser un(e) « allogène » (un/une étranger/e). Que voit-on ? Wilson revient d’un séjour de 6 ans en France, avec sa « Reine blanche » comme épouse légale, alors qu’une « autochtone » à qui il était fiancé, l’attendait « au pays…au village ». Le Chef semble d’autant plus intransigeant pour chasser Wilson du village, qu’il ne lui déplairait pas de lui arracher « sa blanche ». L’interdit s’adresse aussi à un garçon « allogène » (Lobe, Sawa) et une fille « autochtone » ( Bengono), pourtant décidés à vivre « au village ».

Soit dit en passant, le nombre de femmes est au prorata du rang social, le Chef raptant si besoin, toutes les filles qu’il désire. Les codifications des mariages vont de pair avec la problématique des transformations possibles des chefferies, puisque l’épisode 86 évoque même « le marchandage de la succession ». A juste raison, puisqu’on constate en effet que les successions entre frères deviennent presque la règle dans les chefferies bamilékées, avec les rivalités fraternelles qu’ondevine, et surtout, avec l’emprise des autorités administratives et économiques sur le choix de l’héritier. Les querelles intestines mettant au second plan, les devoirs d’assurance pour tous les citoyens (et non les « sujets »), avant tout, de protection, d’enveloppement et d’exigences de conformité. Même si certains intellectuels attribuent « le monopole de la violence d’Etat», au pouvoir politique, comme « devoir régalien » : prétexte facile de soutien à la répression brutale exercée dans le Nord- Ouest et le Sud-ouest, au prix de villages rasés, comme du temps des « maquis » dans les années 60. L’interdit d’épouser « quelqu’un d’ailleurs », et donc le devoir d’homogamie (« quelqu’un de semblable… du même milieu… »), peut conduire à l’endogamie (« au sein du village…au sein de la famille… »), à la relation en miroir, au risque sinon de l’inceste, au moins du « mariage arrangé ». Bel exemple de ce que les « équilibres régionaux » régentent : « les mêmes » pour entrer dans les grandes écoles, et naturellement, « s’épouser entre soi », pour se reproduire et perpétuer la mainmise sur le pouvoir. Ceux de même religion s’épousent entre eux, comme tous ceux de même obédience politique et certaines Sectes s’en mêlent pour promouvoir inceste, infanticide, sodomie (encore qu’on avait déjà « le Famla » qui exigeait « de vendre les siens » pour acquérir des pouvoirs de divers ordres). Les notables de la série font la cour à leurs filles respectives (l’incestuel), qu’ils doivent pourtant pousser à épouser les fils du village, ou à leurs femmes respectives (alimentant les conflits). L’hétérogamie (la différence, la distance, comme critère de choix) rejoint l’exogamie (épouser quelqu’un d’ailleurs » : le cousin de 3è génération étant encore un « frère », donc interdit de sexualité), en préservant de l’inceste, laisse plus de marge au sujet pour faire ses choix et établir des alliances.

L’une et l’autre rencontrent la bilinéarité, pour nommer la double appartenance de chaque enfant à 2 x 2 lignées (chaque parent ayant 2 lignées) et à 2 générations minimales: les maternelles et les paternelles. Redistributions des noms et des identités, dans la famille, suivant les circonstances de naissance, le sexe, les amitiés et les personnages des ascendances bilinéaires. De quoi sans doute multiplier les facettes des conflits, mais aussi faire plus attention à la sauvegarde de la solidarité et de la communauté des intérêts. Toute famille, comme toute société, et toute nation, doit veiller à ce qu’elle transmet, à ce qu’elle lègue aux générations futures : le Rwanda du génocide n’est pas si loin. Au Cameroun, un mémoire de psychopathologie soutenu à l’Université de Douala par Moses Chung, nous y sensibilise : c’est le drame oedipien vécu par des garçons obligés de prendre part à des conflits meurtriers cycliques entre les Okus et les Mbessas du Nord- Ouest ((rivalités entre les « pairs…, les pères… »). L’auteur y nommait double contrainte (double bind) la tragédie qui obligeait des « enfants de couples mixtes », à devoir choisir de se ranger, soit du côté des lignées de leur père, soit de celles de leur mère. Combien de millions d’enfants en danger, issus de couples interethniques (dont les anglo-franco), ou intraethniques, ainsi tiraillés et désemparés? En sachant qu’en l’occurrence, les fils de classes sociales moins favorisées, sont plus en risque que les autres. Comment arrêter les cycles de filicides (sous leurs multiples formes) entraînant en retour, le cercle vicieux des fratricides, et des parricides ? Cercle d’identifications à l’agresseur, cercle et cycles de sadismes et de masochismes. Ce, d’autant plus, si le code civil (et donc la Constitution à un autre niveau) ouvre les portes de la toute-puissance au Chef de famille, au Père. Combien de millions de syndromes posttraumatiques nous faudra-t-il avant de créer les conditions de thérapeutiques collectives indispensables ? Les traditions avaient leur logique, comme celle concernant une dette de dots à l’égard d’une arrière - grand’mère morte depuis 40 ans : une fois reconnue et payée, l’arrière-petite-fille qui souffrait d’infécondité dans son jeune couple, voyait s’annoncer une grossesse.

Ce n’est donc pas de violences armées dont nous avons besoin, mais d’humanité, d’une éthique de refondation des liens et des lois. Cela peut commencer par les magistrats, qui, pour mieux représenter la Justice, quitteraient symboliquement leurs perruques blondes, parce que la Justice, à l’image de la « Commission Justice et Réconciliation » de Mandela, serait au service des inter-générations, décidant par elles-mêmes de nouveaux « contrats de mariage » et de parentèle. Car, plus qu’on ne le pense, l’habit fait bien le moine : Sankara avait changé le nom de son pays (pour « le pays de l’intégrité » et son aura guide encore le Peuple burkinabé), et les Camerounais avaient changé certaines des paroles de leur hymne national (pour « sortir de la sauvagerie …, de la barbarie… » ).

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