«De la polygamie que j’ai vécue, je n’en ai gardé que d’excellents souvenirs »
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26ème épouse du Roi Bangangté, Sa Majesté Njike de regrettée mémoire, Claude Njike Bergeret a délaissé ses champs pour rejoindre Douala, le temps d’un week-end. La Française qui assume fièrement ses ancêtres par alliance était une des panélistes de la conférence (elle s’est tenue le 17 janvier à la galerie Doual’art) sur le «veuvage dans la tradition Bamiléké et dans la tradition Sawa». Ladite conférence était organisée dans le cadre de la semaine culturelle baptisée «Bangoulap Week Douala». Dans cette interview, la «Reine Blanche» parle des traditions, notamment les rites de veuvage. Elle nous conte surtout sa belle histoire d’amour avec le Roi.

Comment nait votre rencontre et votre amour pour le Roi Bangangté ?
Je devais remplacer mes parents à la tête du collège de Feutoum à Bangangté. Mes parents m’ont présenté au chef comme étant leur successeur. On était à la chefferie et il nous a offert du vin de raphia. Le chef Balengou qui était présent parlait avec le Chef en medumba et personne ne savait que moi aussi je maîtrisais la langue. Ils disaient beaucoup de bien de mes parents. D’emblée il m’a intéressé, puisqu’il parlait en bien de mes parents. Quand nous voulions rentrer, il a donné une cuisse de buffle à remettre à mes parents. Une fois, quand j’étais partie avec mon père à Douala, il a rendu visite à ma mère. Elle l’a remercié pour la cuisse de buffle, et il a dit ceci à ma mère : «Ce n’est rien à côté de la femme que vous m’avez amené». Quand je suis revenue de Douala, j’ai dit à ma mère que de tous les gens qu’elle m’a présentés à Bangangté, il n’y a que le chef Bangangté que je trouve sympathique. Ma mère m’a directement demandé de me méfier parce que le Chef déclare déjà que je suis sa femme, et moi je le trouve sympathique. (Rire…) Je n’étais pas d’accord avec ma mère.

Je lui disais que je ne peux pas me marier un jour. De la même façon que le chef rendait visite à mes parents, il a continué à me rendre visite et c’est ainsi qu’on a appris à se connaître. Comme je parlais la langue, il a été énormément intéressé. Nous avons été simples amis pendant deux ans et demi, avant qu’un jour il m’affirme : «Je veux des enfants de toi». J’ai accepté. Nous sommes là en début d’année 1978. Il est vrai que pendant ces deux ans et demi je savais que je l’aimais, mais je m’étais résolue que s’il ne me demande pas d’être sa femme, tant pis ; mon contrat terminé, je retournerais en France. Mais il m’a demandé et j’ai accepté ?

Vous n’avez pas eu peur d’être deuxième, troisième femme ?
J’étais la vingt-sixième femme mais je connaissais toutes mes coépouses, mes futures coépouses. J’allais à la chefferie. J’étais la bienvenue partout. J’entrais dans les cases de toutes les femmes, aussi bien les mamans que les jeunes. Mes coépouses étaient des amies bien avant que je ne devienne leur coépouse. On se connaissait parfaitement. En fait, j’étais chez moi avant même de me marier.

Que dites-vous de la mondialisation qui force à penser que la polygamie est à bannir ?
Moi je suis pour que chacun s’intègre là où il se trouve. De la polygamie que j’ai vécue, je n’en ai gardé que d’excellents souvenirs. Je suis consciente que ce n’est pas parce que j’ai aimé le foyer dans lequel j’ai vécu, bien que ce soit une chefferie, que la polygamie est bien. Chaque cas est particulier et c’est à chacun de s’efforcer là où il est, de faire que tout soit harmonieux. Il y a tellement de mariages monogamiques qui sont malheureux. Donc ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de femmes qu’il y a le malheur quelque part, non. Je m’entendais parfaitement avec mes coépouses. On a fait des choses extraordinaires. On se battait nous-mêmes pour tout. Le chef, on ne s’en occupait même pas.

L’un des sujets qui suscite des débats dans la coutume en pays Bamiléké c’est les rites de veuvage. Comment les avez-vous vécus, après le décès de votre époux ?
Quand mon époux est mort, j’ai refusé de faire les rites de veuvage. Mais j’étais avec mes coépouses. Je parlais avec elles, je préparais pour elles. Ce sont mes sœurs. J’ai expliqué les raisons pour lesquelles je ne voulais pas procéder aux rites. Si j’ai refusé, c’est parce que je ne voulais pas être un objet de curiosité. Personne ne serait venu simplement me soutenir parce que j’étais la femme du chef. On serait plutôt venir voir comment une blanche se comportait rasée, en plein soleil. Je ne voulais pas être cet objet.

Quelle considération accordez-vous à ces rites, que plusieurs jugent dégradants ?
Pour moi, tous les rites ont un sens profond, un sens spirituel. Ils n’ont pas été créés au hasard. Depuis que le chef est mort, je me suis volontairement retirée dans un coin que j’ai construit en brousse. Il n’y avait personne avant que je m’installe. Je cultive mon champ qui me nourrit. Je vis comme les vieilles femmes du chef m’ont appris à vivre, c’est-à-dire dans le respect des ancêtres. A ce titre je précise que j’ai trois types d’ancêtres : mes propres ancêtres Français que je ne renie pas, mes ancêtres par alliance Bangangté à qui j’ai donné deux enfants ; mes ancêtres adoptifs qui sont ceux où je vis. Je crois que les rites ont été créés dans la nature et imposaient le respect de la communauté, de l’individu, avec une profondeur spirituelle. Ils nous faisaient vivre dans l’univers à la fois avec les ancêtres qui étaient enterrés sous nos pieds.

Les rites visent la négation de la mort : les morts ne sont pas morts. Ils vivent en nous, ils sont en nous. Je le sens. Je n’ai pas fait de rites de veuvages, je n’ai pas souffert comme mes coépouses, c’est-à-dire neuf semaines sans se laver, mais leur sort était adouci par tous ceux qui venaient leur rendre visite, et tous ceux qui leur montraient que bien que notre mari soit mort, elles étaient mariées à une famille. Cette famille ne les rejettera pas.

Il faut adoucir ces rites, mais ce sont des rites d’initiation, pour vivre une autre vie, au même titre que l’initiation des enfants dans la nature pour les rendre forts. Moi j’ai quitté la chefferie, je précise qu’on ne m’a pas chassé, c’est un choix qui est d’ailleurs prévu, je n’ai pas fait de lavage. Je suis toujours la femme du chef Bangangté. Je n’ai rien enlevé sur moi.

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