Gouvernance : Les postes-vie des Dg
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Les fonctions qu’ils occupent par nomination sont pour eux leurs parts du gâteau, que nul n’a le droit de convoiter ou de reprendre. Le jour où ça arrive, ils manifestent leur mécontentement en refusant de passer le service.

L’installation du nouveau directeur de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature le 17 décembre 2017 à Yaoundé, a laissé une fois de plus voir aux yeux du monde à quel point les décisions du chef de l’Etat peuvent être méprisées par ceux qui n’y trouvent pas ou plus leurs comptes. Soumbou Angoula Bernard le nouvel entrant n’a pas eu le privilège de serrer la main de son prédécesseur Linus Toussaint Mendjana. Ce dernier, au mépris de tout respect des normes administratives et de la politesse du protocole, a pratiqué la politique de la chaise vide, séchant ainsi deux ministres de la République, Joseph Le de la Fonction publique et Louis Paul Motaze des Finances, qui présidaient la cérémonie. L’Enam est pourtant l’école qui forme les cadres de la haute administration du Cameroun, où l’on apprend le maximum des normes administratives. Et l’acte posé par le directeur sortant est loin d’être anodin pour un administrateur civil comme lui. Il traduit le malaise profond et la fâcheuse habitude qui ont pris corps dans l’administration camerounaise, où chacun a fait de son poste de nomination une propriété personnelle.

Adepte du système

Celui qui aujourd’hui prend mal son remplacement à la tête de cette école y est depuis le 13 mars 1992, cela devait faire 27 ans en mars 2019. Il a été même à ce titre élu 1er vice-président du Réseau des Ecoles nationales d’administration d’Afrique, une organisation panafricaine de formation et de recherche dans le continent pour l’amélioration des systèmes de l’administration publique et de gouvernance en Afrique, avec siège à Tanger au Maroc. Il sait aussi bien que l’école qu’il dirigeait est un établissement public administratif, régi par la loi 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic.

D’après l’article 47 de cette loi, « le directeur général, et s’il y a lieu, le directeur général adjoint sont nommés à la majorité des 2/3 par le Conseil d’administration, sur proposition de l’actionnaire majoritaire ou unique pour une durée de 3 ans renouvelable 2 fois. » L’article 48 précise que les fonctions du directeur général prennent fin par révocation, par non renouvellement du mandat, par décès ou par démission, ou du fait de la dissolution de l’entreprise. L’ex Dg Toussaint Linus Mendjana qui a passé 7 ans à la tête de l’Enam, lui qui lit et enseignait la loi dans son école, savait très bien qu’il aurait dû ne plus être là depuis 2015 après 3 ans de sa nomination. Son mandat n’ayant pas été renouvelé comme le demande la loi, il devait rendre son tablier en homme intègre. Mais il a fait comme tous les autres Camerounais nommés à des postes avec mandat limité. Ils disent souvent à la fin de leur mandat qu’ils attendent que celui qui les a nommés les enlève. Et comme le président de la République, qui d’après la Constitution nomme aux emplois civils et militaires, signe souvent le décret et oublie, tous se complaisent à leurs places et se donnent même des titres fonciers sur les fauteuils de l’Etat. Les bureaux administratifs deviennent ainsi leurs propriétés privées, où l’on demande avec arrogance à un usager ce qu’il veut.

L’ex Dg de l’Enam connait la loi certes, mais il maîtrise davantage le système, qui fonctionne par laisser faire. Il avait d’ailleurs juste dans le bureau d’à côté le directeur général adjoint André Messanga Abate, qui a passé 25 ans au poste. Pourquoi ne devrait-il pas espérer passer autant de temps à son poste aussi ? lui qui officiait comme chargé de mission à la division des affaires organiques du secrétariat général de la présidence de la République depuis décembre 2010 avant de prendre la tête de l’Enam, ne voyait certainement pas son titre lui être enlevé aussi facilement.

La règle du non-respect de la règle…

Les scènes de honte comme ce qui s’est passé à l’Enam n’honorent pas le Cameroun, et prospèrent parce que le système n’est fait finalement que pour produire ce genre de comportement, qui traine le pays dans la boue à cause du non-respect des textes qui prévoient une rotation permanente à la tête des structures d’Etat. Il y a des fonctionnaires ou des détenteurs d’un mandat nominatif qui croient que comme ils ont passé leur temps à la tête d’une structure à chanter les louanges du président de la république, au lieu d’assumer leur responsabilité et prendre des initiatives pour rendre la structure plus performante et compétitive, cela fait d’eux les éternels au poste. Il y en a qui arriment, contre toute logique administrative la durée de leur nomination à la durée du mandat de celui qui nomme, et pensent qu’après avoir abandonné le poste pendant des mois pour aller battre campagne au village et tout faire pour obtenir un bon résultat, la juste récompense c’est au minimum la pérennité au poste, au mieux une promotion.

…qui pourtant peut être dépoussiérée à tout moment

Cela les emmène souvent à oublier une chose pourtant élémentaire : la particularité d’une nomination est qu’elle est discrétionnaire. Cela veut dire que celui qui nomme est le seul à savoir pourquoi il nomme, qui il nomme, quand il le fait et pour combien de temps, quand la durée n’est pas déterminée par une loi, et même ! Cela les emmène à oublier qu’une nomination n’est pas un mandat électif, que nul n’est obligé d’accepter une nomination, chacun est libre de démissionner s’il est nécessaire par éthique, pour montrer le gage de sa bonne foi ou éviter la honte. Et si d’aventure on a tendance à considérer que reprendre le titre qui appartient à l’Etat et le remettre à une autre personne est une humiliation, il faut simplement savoir que dans un contexte où la nomination est discrétionnaire, le moyen le plus sûr d’être limogé… c’est d’accepter d’être nommé.

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