LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU CAMEROUN
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LA PRÉSOMPTION D’INNOCENCE ET LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU CAMEROUN :: CAMEROON

S’il ne fait aucun doute que la répression pénale joue un rôle fondamental dans la lutte contre la menace à la paix et à la sécurité que représente le terrorisme, la préservation de l’État de droit commande que cette répression soit menée dans le respect des droits de l’homme, y compris la présomption d’innocence qui, jusqu’ici, a très peu retenu l’attention de la doctrine s’intéressant à la problématique du respect des droits humains dans le contexte de la lutte contre le terrorisme.

Principe directeur du procès pénal, la présomption d’innocence est une garantie du droit à un procès équitable selon laquelle, toute personne suspectée d’avoir commis une infraction, notamment un acte de terrorisme, est considérée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité soit légalement établie et reconnue par un jugement irrévocable.

Il en résulte qu’il incombe au procureur qui met en mouvement l’action publique contre une personne soupçonnée de terrorisme de prouver la culpabilité de celle-ci au-delà de tout doute raisonnable.

Si le droit à la présomption d’innocence est consacré et garanti en droit camerounais, son respect dans le cadre de la lutte que mène le Cameroun contre le terrorisme reste problématique.

Au Cameroun, le droit à la présomption d’innocence des personnes poursuivies pour terrorisme est consacré par un cadre normatif étoffé. Ce droit est en effet prévu tant par des
textes nationaux que par divers textes internationaux.

Sur le plan interne, il est énoncé dans le Préambule de la Constitution qui a une valeur contraignante, ainsi qu’à l’article (art.) 8 § 1 du Code de procédure pénale.

Sur le plan international, ce droit est prévu par des instruments juridiques qui lient le Cameroun et qui ont vocation à régir la lutte contre le terrorisme, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 11 § 1)le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 14 § 2), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (art. 7 § 1-b), ainsi que la Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme qui, à la différence des autres instruments juridiques contraignants spécifiquement consacrés à la lutte contre le terrorisme, énonce dans son article 22 § 1, l’obligation des États parties de respecter les droits de l’homme, y compris la présomption d’innocence, dans le cadre de lutte contre le terrorisme.

La législation camerounaise ne se contente pas uniquement de reconnaître le droit à la présomption d’innocence aux personnes accusées de terrorisme.

Elle prévoit également des mesures visant à protéger ce droit et sanctionner sa violation. Ces mesures peuvent être aussi bien pénales que civiles.

Sur le plan pénal, la violation du droit à la présomption d’innocence d’une personne soupçonnée d’avoir commis un acte de terrorisme pourrait constituer les infractions spécifiques suivantes : commentaires tendancieux (art. 169 du Code pénal (CP)) publications interdites (art. 198du CP), diffamation (art. 305 du CP), violation du secret professionnel (art. 310 du CP) etc.

En complément de ces infractions pénales punies d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende, d’autres mesures peuvent être ordonnées sur le plan civil, notamment la publication d’une rectification publique pour faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence (art. 9 §1 du Code civil) ainsi que l’octroi des dommages et intérêts (art. 1382 du Code civil). Il convient en outre de préciser que les présumés terroristes dont le droit à la présomption fait l’objet de violation peuvent, sur le plan international, saisir soit le Comité des droits de l’homme, soit la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples aux fins d’obtenir réparation, pour autant bien sûr qu’ils remplissent les conditions de saisine de ces instances.

Toutefois, en dépit d’une telle protection, la conciliation entre le respect de la présomption d’innocence et la répression du terrorisme demeure difficile. De fait, l’on note de multiples atteintes au droit à la présomption d’innocence des personnes soupçonnées de terrorisme au Cameroun.

Parmi ces atteintes, l’on peut mentionner la longueur de la période de garde à vue fixée par la Loi portant répression des actes de terrorisme au Cameroun.

En effet, selon cette Loi, toute personne suspectée d’avoir commis un acte de terrorisme peut être gardée à vue pendant une durée de 15 jours renouvelable sans limitation (art. 11).

Bien que la garde à vue dans un tel contexte puisse être justifiée par les exigences de l’enquête et de la sécurité publique, il convient de relever qu’une aussi longue période de garde à vue apparaît comme un préjugement de culpabilité.

Il en est de même en ce qui concerne les longues détentions provisoires auxquelles sont soumises en pratique les personnes accusées de terrorisme.

Par ailleurs, les affaires ayant trait à des infractions de terrorisme font souvent l’objet de médiatisation d’une manière portant atteinte au droit à la présomption d’innocence des personnes mises en cause, ce qui traduit la difficulté qu’éprouve les médias à établir un équilibre entre d’une part la liberté d’expression et le droit à l’information
et, d’autre part, le droit à la présomption d’innocence.

Il n’est ainsi pas rare de lire des articles de presse présentant des personnes arrêtées dans le cadre de la lutte contre Boko Haram ou alors dans le cadre de la crise qui sévit actuellement dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest comme des terroristes ou alors comme des complices des terroristes avant même que celles-ci aient été présentées
devant le juge.

Les autorités publiques camerounaises ne sont pas en reste. Ces dernières, dans leurs déclarations publiques, semblent parfois présenter des personnes suspectées d’avoir commis des actes portant atteinte à l’ordre public comme des présumées coupables d’actes de terrorisme.

En outre, les individus accusés de terrorisme sont très souvent présentés devant le juge étant menottés, ce qui peut d’emblée laisser penser qu’ils sont des grands criminels, et, partant, vider la présomption d’innocence de son contenu.

Il importe dès lors de renforcer l’effectivité du droit à la présomption d’innocence dans le contexte de la lutte contre le terrorisme au Cameroun.

Cela passe, entre autres, par la sensibilisation continue des acteurs de la justice, des médias et des autorités publiques sur l’exigence du respect de la présomption d’innocence en matière de lutte contre le terrorisme.

Le renforcement de l’effectivité de la sanction des violations de la présomption d’innocence, par son effet dissuasif, contribuerait par ailleurs à mettre ce droit à l’abri d’atteinte.

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