NGALLE MBOCK Janvier Alfred  « L’EXPRESSION DE MON CRI DE DETRESSE »
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LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN

Excellence Monsieur le Président de la République,

Je suis un jeune Camerounais, l’un des plus rares qui ont complètement tourné le dos à la vie facile et qui mettent en avant le travail et le mérite pour occuper une place dans ce monde. Malgré que je sois handicapé, je me suis souvent fait violence pour revêtir les qualités compatibles avec mon état d’esprit.
Je m’appelle NGALLE MBOCK Janvier Alfred, âgé de trente six ans et totalement aveugle depuis l’âge de trois ans. Titulaire d’une Maîtrise en droit privé au terme de quatre années d’études supérieures que j’ai effectuées à l’Université de Douala de 2003 à 2007, je suis avocat au Barreau du Cameroun depuis le 04 juillet 2018, date de ma prestation de serment par devant la Cour d’Appel du Littoral.
Membre d’une fratrie de six enfants issus de parents très nécessiteux, je me suis constamment battu pour occuper les premiers rangs à l’école. Je n’avais de cesse de relever le défi en venant à bout des difficultés qui m’ont assailli depuis ma tendre enfance et qui étaient dues à la pauvreté de mes parents. Par mon courage et ma détermination, j’ai pu rallier à ma cause les personnes au cœur sensible qui m’ont soutenu de près ou de loin, à l’instar de mon oncle qui a payé mes études et qui n’a jamais manqué de m’insuffler l’espoir.

Excellence Monsieur le Président de la République

Le but de cette lettre ouverte est de vous exprimer, publiquement, toute mon amertume et ma détresse à cause d’un système qui me révolte et me donne le sentiment que, du fait de mon handicap, je ne suis pas un citoyen à part entière, jouissant des mêmes droits et soumis aux mêmes devoirs que mes compatriotes.
Mes parcours scolaire et professionnel ont été émaillés de nombreuses embûches que je n’aurais pas surmontées sans mon opiniâtreté dictée par mon souci sans cesse renouvelé de me trouver une place dans la société en dépit de toutes les hostilités.

Aller à l’école sans argent ou manuel scolaire en braille au programme et sans le moindre matériel didactique adapté constituait le lot des difficultés auxquelles il me fallait faire face au quotidien. Je devais, en outre, m’accommoder tant bien que mal des méthodes d’enseignement des professeurs qui étaient sans expérience en matière de formation et d’encadrement des handicapés et dont certains ne se préoccupaient même pas du tout de ma présence en classe.
Sur ces principales épreuves qu’il fallait absolument surmonter pour me donner toutes les chances de passer en classe supérieure, se greffait l’incrédulité masquant une certaine discrimination des chefs d’établissement du fait de mon handicap. Face à ces adversités, je tenais bon en gardant un esprit fixé vers une possible position sociale radieuse tant rêvée.

Au terme de mes études universitaires, je me résous à faire carrière dans l’avocature en 2014, d’où ma réussite à l’examen d’admission en stage d’avocat la même année. Seulement, cette nouvelle étape a été un autre véritable parcours du combattant. Je suis subitement envahi par un sentiment de révolte lorsque je m’aperçois qu’à quelques jours du début des épreuves écrites, aucune disposition exceptionnelle n’est prise pour les potentiels candidats aveugles et malvoyants à cet examen. Du coup, ma présence dans l’enceinte de l’Université de Yaoundé 1 ce samedi 22 février 2014 a été à la fois une surprise et un fardeau pour les examinateurs, notamment les membres de l’Ordre des avocats dont les hésitations et les inquiétudes à mon sujet me rendaient plus triste. Il a fallu user de ma ténacité habituelle pour qu’un dispositif spécial soit mis en place en ma faveur dans une des salles d’examen afin de me permettre de prendre part aux épreuves.

A la suite des épreuves écrites et orales de l’examen susdit auquel j’ai participé avec succès, j’ai débuté mon stage dans le Cabinet d’avocat BILLIGHA situé à Douala-Akwa sans aucun aménagement spécial. Par respect pour mon parrain qui a fait du mieux qu’il pouvait pour m’encadrer, je préfère m’abstenir d’égrener tous les déboires essuyés pendant mon stage. Une chose est cependant certaine, c’est qu’en dehors des difficultés propres à ma situation, j’ai subi quadruplement les mêmes problèmes que ceux des autres confrères de la même promotion, ce à cause du manque de moyens et d’infrastructures adaptées à ma formation.

Excellence Monsieur le Président de la République,

Nonobstant toutes les embûches qui ont obscurci l’ensemble de mes parcours, j’ai su faire preuve d’héroïsme, convaincu que le plus important pour moi était d’obtenir d’abord les diplômes, un titre ou une qualification professionnelle.
Seulement, depuis la publication des résultats de fin de stage d’avocat le 02 avril 2018, je me suis très vite rendu compte que je ne suis pas encore au bout de mes peines, malgré mes efforts de garder mon sang-froid. Quel que soit le degré de mon courage et de ma volonté, l’handicapé que je suis ne peut envisager de faire carrière dans l’avocature en dehors de tout soutien de l’Etat, à moins qu’il se résigne à exercer la profession dans des conditions inhumaines.
Si j’ai décidé de vous écrire cette lettre ouverte, Excellence, c’est parce que toutes les Autorités que j’ai voulu rencontrer pour faire part de mes préoccupations en privé n’ont pas daigné me recevoir. A plusieurs reprises, j’ai épuisé mes petites économies en me déplaçant en pure perte de Douala pour Yaoundé dans l’espoir de m’en tirer avec un entretien alléchant avec une Autorité de l’Etat. L’on se contente toujours de se débarrasser de moi très vite en me faisant remplir l’audience et en me promettant que l’Autorité en question va me téléphoner, promesse qui se révèle plus tard comme du bluff puisque le fameux appel téléphonique n’arrive jamais.

Excellence Monsieur le Président de la République,

En dépit de mon aversion d’exposer publiquement ma vie privée ou de brandir mon handicap pour revendiquer un droit ou un avantage quelconque, je n’avais pas d’autres choix que de vous adresser cette lettre ouverte qui est l’expression de mon ras-le-bol.
Je ne doute pas un seul instant que ni vous, ni personne d’autre ne peut me dénier ma qualité de citoyen camerounais à part entière qui jouit de tous les droits et libertés contenus dans la Constitution, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et les Traités dûment ratifiés.

D’ailleurs, il ressort de l’article 11 (1) du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie ».

L’essentiel de mes revendications porte sur un niveau de vie décent, lequel passe par des conditions de travail acceptables. J’espère, par le moyen de ce canal et à la faveur de votre intervention possible, obtenir l’entretien tant souhaité avec les Autorités compétentes en vue de la recherche des solutions durables.

Conscient que la plupart des problèmes exposés sont une partie des souffrances de la majorité de mes concitoyens handicapés sans voix, je formule à présent mon vœu fervent que soit créé un Ministère spécialisé dans le recensement des problèmes des personnes handicapées et la recherche de leurs solutions.

En attendant, je profite pour saluer l’adoption, cette année, des textes visant la protection de la personne handicapée notamment le décret n° 2018/6233/PM du 26 juillet 2018 fixant les modalités d’application de la loi n° 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées.

Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, Chef de l’Etat, l’assurance de ma parfaite considération et d’écouter mon cri de détresse librement exprimé à travers cette lettre inoffensive.

Maître NGALLE MBOCK Janvier Alfred
Avocat au Barreau du Cameroun
Tél : 695 67 91 93 / 674 67 34 57
E-mail

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