A propos d'une formule énigmatique de Guillaume Soro: « JE VAIS Y REFLECHIR PLUS SERIEUSEUMENT. » Analyse d'une interview exclusive sur France & RFI
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CÔTE D'IVOIRE :: A propos d'une formule énigmatique de Guillaume Soro: « JE VAIS Y REFLECHIR PLUS SERIEUSEUMENT. » Analyse d'une interview exclusive sur France & RFI :: COTE D'IVOIRE

Avant de sortir le matin, devant notre miroir, nous nous demandons : ce T-shirt ou cette chemise ? robe ou pantalon ? Paire de tennis, chaussures de villes ou ballerines ? Ce jean me va ou pas ? Une fois sur notre table de travail, une liste interminable des choses à faire. Par laquelle commencer ? La question se pose certes, mais devrait-elle nous tarauder indéfiniment ?

Nos pratiques quotidiennes nous mettent sans cesse face à des arbitrages ambigus. Nous ne savons pas si c’est le moment de nous engager, de déménager, de changer de métier, de rompre ou nouer une relation, de se lancer, de voyager. Pour justifier nos tergiversations et incapacités sans fin, nous avons tendance à évoquer le manque de connaissances, d’arguments, de visibilité, de temps etc.

Or, si nous ne sommes pas en mesure de trancher pour les petites choses, comment y parviendrons-nous lorsque l’enjeu sera plus grand ? Autant le dire illico : l’attachement à la vie et à l’humanité exige des prises de décisions souvent intransigeantes.

Contrairement au choix, la décision (du latin « decidere » : « couper », « trancher ») s’impose lorsque nous avons épuisé toutes les ressources de la raison et qu’une part d’incertitude demeure. Un tel exercice peut s’avérer périlleux, tant il est plus facile de choisir que de décider. Comment réinvestirions-nous ce distinguo entre « choisir » et « décider » dans la sphère politique ivoirienne ? En partant de l’interview magistrale accordée par Guillaume Soro à France 24 et RFI, le 22 Juillet dernier, nous disséquerons la déclaration suivante : « je vais y réfléchir plus sérieusement ». Comment s’approprier cette réponse lumineuse du Président de l’Assemblée Nationale au journaliste Alain Foka ?

Sans verser dans des débats oisifs, notre objectif dans cette tribune est d’établir qu’en choisissant de réfléchir profondément à la possibilité ou non de sa candidature à la présidentielle de 2020, Guillaume Soro fait preuve d’une intelligence décisionnelle (I), qui elle-même s’enracine dans la raison populaire (II). 

L’intelligence décisionnelle : la marque Soroiste

Selon certains téléspectateurs, à la question à lui posée par Alain Foka sur son éventuelle candidature, GKS n’est pas parvenu à convaincre. Son fameux « je vais y bien réfléchir plus sérieusement » ne répond pas avec acuité à la préoccupation de savoir si oui ou non il briguera la magistrature suprême. Encore la langue de bois politique qui traduirait, pour les extrémistes, son manque de courage et de confiance en soi. On a pu lire des commentaires exaspérés dans le style : « Guillaume Soro, vous êtes partie prenante de tout ce qui se passe jusque-là. Soro Kognon a été tué. Vous avez dit et je cite : « dans un état de droit, nul ne devait être assassiné pour ses convictions politiques. » Concernant Soul to Soul, vous dites qu’il y a des raisons de craindre pour sa sécurité, encore plus, depuis les récentes révélations sur la tentative d’empoisonnement de Samba David. Dans ce cas, qu’attendez-vous pour vous démarquer de ce RDR dont vous êtes encore le vice-président ? Leurs vampires tapis dans l’ombre veulent vous faire la peau. Vous le savez, nous le savons tous. En restant avec eux, vous êtes comptable de ce qui arrivera à Soul to Soul et à tous les prisonniers politiques de Cote d’ivoire. Guillaume Soro, vous êtes candidat ou pas ? Arrêtez de fatiguer nos têtes là. Libérez nous… »
Et un autre de déduire : « Guillaume Soro ne fait rien avec nous. » Dans le jargon ivoirien, cela revient à dire qu’il n’a cure des souffrances du peuple, lui l’épris de justice.

D’autres pro-Soro, dépités ont même fini par conclure que GKS ne se présentera guère. Mais, les choses sont-elles aussi simples, qu’elles paraissent en apparence ? Ces observations, quoique critiques, ne confondent t’elles pas en réalité, vitesse et précipitation ? Choix et décision ?

Wittgenstein (1) et Kierkegaard (2) rappellent que pour mieux vivre, il suffit parfois de penser, de clarifier certaines distinctions conceptuelles. En l’espèce, saisir la différence entre choisir et décider pourra nous aider à maitriser aussi bien les petites actions comme aller au restaurant, que les grandes, comme se présenter à une élection présidentielle, qui plus est en Côte d’ivoire.

Le choix de candidater en 2020

C’est choisir logiquement, rationnellement, après un examen qui restitue la logique au centre de la réflexion. A titre illustratif, Guillaume Soro peut choisir de se présenter en 2020, 2025, 2030, 2035 ou même de ne jamais se présenter. On dit qu’il a le choix, entre plusieurs échéances électorales, de voir celle qui présente objectivement le plus d’avantages que d’autres et qui correspond mieux à ses attentes. Il suffit à ce niveau de savoir réfléchir et calculer. Tout simplement ! Mais, dès lors que toutes ces propositions sont toutes plausibles pour des raisons différentes et qu’il n’y a pas d’éléments objectifs pour les départager, il va falloir se prononcer. Donc, à supposer qu’au terme d'un processus d'analyse rationnelle, GKS ait fait le choix de 2020, il devra l’annoncer publiquement. Dans un pays qui n’a pas encore totalement pansé ses plaies de la crise postélectorale, « on ne se porte pas candidat à la présidentielle comme on irait à une foire ». Il faut donc choisir, mieux, (se) décider. Et c’est à ce niveau, sur le terrain de la décision que le peuple de Côte d’ivoire l’attend.

La décision de candidater en 2020

Pour éviter d’attendre longtemps et de faire attendre les autres, certains héros tels Ghandi, Nelson Mandela, Martin Luther King, Charles de gaulle, pour ne citer que ceux-là, ont eu l’audace d’affronter l’incertain et d’accepter le risque de l'incohérence dans la durée. Tous ces hommes qui osent s’écouter et prendre leur vie en mains, où puisent-ils leur force ? En quoi se ressemblent t’ils ? Ils savaient que le succès n’était pas totalement assuré et que l’avenir n’était pas écrit d’avance.

Ne serait-ce pas faire preuve de mauvaise foi que de dire que Guillaume Soro a besoin d’être certain de ne pas se tromper avant de se décider ? L'actualité politique en fournit nous croyons, des exemples contraires. Quand il décide en 2002 de se lancer dans la lutte insurrectionnelle contre le régime exclusionniste de l’ivoirité, il mise sur l’incertitude. Sans être totalement sûr des résultats, il savait comme tous les audacieux, que la chance se provoque. Combien la vie serait morne si tout était prévisible, certain ? Assurément, les répercussions peuvent être pénibles, mais cette acceptation de l’incertitude est la première étape de la métamorphose intérieure, de cette sagesse de la décision. En 2010, c’est encore lui qui prend la résolution de se rendre chez Laurent Gbagbo pour lui communiquer sa défaite électorale. Qui oserait pointer le nez dehors à cette époque où la tension politique avait atteint son paroxysme ?

Rappelons que GKS qui a impulsé la démocratie ivoirienne n’a pas attendu d’éclaircir toutes les zones d’ombres avant de prendre ses responsabilités devant l’histoire. Sa liberté a consisté à y aller même avec le doute. Plus il (se) décide, plus il augmente son assurance, et plus cette assurance nourrit en retour sa capacité à décider, comme dans un cercle vertueux. Toutefois, pour se décider objectivement, il faut prendre une précaution minimale : s’informer.

c) L’information : la souffrance et le cri de cœur du peuple

Le stade préliminaire à la prise de décision et qui lui est indissolublement lié, c’est l’information. Elle doit être aussi complète que possible car d’elle dépend la direction dans laquelle le leader peut engager l’organisation. La stratégie est liée à l’information et à la décision qui lui sera consécutive.

La plupart du temps, c’est la nécessité du changement qui est à l’origine de la quête de nouvelles idées et de décisions adaptées à ces idées. En Côte d’ivoire, de plus en plus de voix s’élèvent pour parler de renaissance, d’alternance générationnelle. Le Président Alassane Ouattara a même affirmé vouloir « transmettre le pouvoir » à une nouvelle génération. Au-delà des valeurs sémantiques accordées au mot génération, il faut bien reconnaître qu’il y a une soif généralisée de mutations. Cette invitation au renouveau semble être l’information capitale sur laquelle devrait s’appuyer Guillaume Soro (Nous reviendrons largement sur cet aspect informationnel dans la deuxième partie de cette tribune.)

Concluons donc momentanément en affirmant que la Côte d’ivoire entière est suspendue aux lèvres de Guillaume Soro. Dans les jours, semaines, mois à venir, il décidera si oui ou non, il est candidat à la présidentielle de 2020. Un tel engagement n’est pas envisageable sans une parfaite maitrise de l’art difficile de la décision. Pas à l’aveugle, mais pas non plus en pleine clarté, il devra « prendre sur lui », et être prêt à assumer les conséquences imprévisibles. S’il échoue (en cas de candidature), ou ne réussit pas autant qu’il voudrait, il aura au moins réussi à essayer. En essayant, il se découvrira capable d’idées fraiches, d’intuitions nouvelles qu’il ne se soupçonnait pas. A l’inverse, en n’y allant pas, en ne rencontrant pas le réel, il n’a aucune chance d’épouser ce qui pourrait le propulser. Il tombe dans un cercle vicieux. En ne passant pas à l’acte, il se prive des vertus libératrices de l’action. Au moment où j’écrivais ce dernier paragraphe, j’entendais derechef des voix pétrifiées qui s’élevaient en harmonie en criant :
« Vas-y lance toi, tranche. Tu n’auras pas plus d’éléments demain, ni même dans cinq jours, cinq mois ou cinq années. De toute façon même si tu te trompes, la vie t’aura appris quelque chose. Fais toi confiance, fais lui confiance. Deviens ce que tu es : un motif de fierté générationnelle. Et personne ne pourra parcourir ce chemin à ta place. »

Notes :
Wittgenstein Ludwig, Recherches logiques, Gallimard, 2005
Soren Kierkegaard, Craintes et tremblements (1843), Journal du séducteur (1843), Post-scriptum aux miettes philosophiques (1846). Dans toutes ces œuvres la foi se présente comme un « saut ». Bien au déla de la raison. C’est une pure décision et non un choix rationnel qui exige une pleine confiance en soi pour oser ainsi décider dans l’incertitude.

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