Cameroun, Littérature / Roman : Les larbins; ou dans les bonnes grâces des Hommes politiques camerounais
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Cameroun, Littérature / Roman : Les Larbins; Ou Dans Les Bonnes Grâces Des Hommes Politiques Camerounais :: Cameroon

Monsieur le Ministre perd sa mère. Le deuil se transforme en celui de ses collaborateurs et militants du parti-Etat. Sa propre famille se retrouve écartée et moins affectée par cette disparition que ceux-ci.

Les Larbins

Ce roman décrit la condition de larbins à laquelle se complaisent bon nombre de fonctionnaires camerounais afin de demeurer dans les bonnes grâces de leurs patrons. Les membres du gouvernement non plus, vis-à-vis du Président de la République, ne sont guère épargnés par ce phénomène.

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Les joueurs de tambours, de tam-tams, de balafons, et autres instruments de musique traditionnelle rivalisaient d’adresse sur le parking de l’Aéroport International Charles Atangana. Les danseuses avaient les corps qui vibraient on aurait dit qu’ils étaient activés par du courant électrique. Leurs pieds avec des grelots harnachés aux tibias, martelaient le sol comme s’ils désiraient le détruire. Les joueurs de balafons de l’orchestre Mezigmennam Band donnaient l’impression de vouloir s’arracher les épaules tellement leurs bras frappaient fortement avec des baguettes en bois les languettes de leurs instruments de musique. Un bonhomme, un sifflet à la bouche, allait d’un groupe de danse à l’autre lui-même en dansant, tout en faisant tourner sa tête autour de son cou telle une toupie. Par moments, emporté par l’ambiance, il se mettait à pédaler sur place comme s’il était sur un vélo tout en se secouant les reins, les fesses et le ventre. Il ôtait alors momentanément le sifflet de sa bouche et lançait un cri lugubre on aurait dit celui d’un gorille. Il replaçait aussitôt son sifflet sur ses lèvres et se mettait alors à y souffler de plus belle. Par moments, il épongeait la sueur qui ruisselait abondamment sur son visage, avec un mouchoir à la couleur devenue incertaine, sans doute à cause d’un trop long usage.
L’Odontol, un dangereux tord-boyaux sans dose précise de fabrication artisanale, coulait à flot et décuplait l’énergie de la populace en transe sur le parking et en attente de l’atterrissage de l’avion du Président de la République, son excellence Mbee Ebiandi Pierre. Comme toutes les fois qu’il rentrait d’un court séjour privé en Europe, ce retour, une fois de plus, était « triomphal ». Les militants du Grand Parti National, GPN, avaient été transportés de bonne heure des villages alentour dans des camions-bennes, moyennant un pain entier, une boîte de sardine, une bouteille de bière et un billet de deux mille francs. Ils se trémoussaient ainsi sous le soleil depuis leur arrivée, en leur qualité de militants de base de ce parti-Etat. Les dignitaires de ce dernier quant à eux les regardaient danser, tout en papotant entre eux, en se tenant à distance et à l’ombre. Ils étaient tous vêtus de l’uniforme du parti, avec bien en vue sur leurs poitrines, plusieurs effigies de son Président National et en même temps Chef de l’Etat. Celles-ci figuraient également sur les casquettes qu’ils portaient, sans oublier les écharpes autour du cou qui pendaient jusqu’à leurs genoux.
Parmi eux se trouvait Ngodon. Il était là véritablement à contrecœur car il était en deuil. Sa maman venait de décéder. Il avait déjeuné avec elle à midi. Ils avaient causé un long moment, jusqu’à pratiquement 14 heures. Puis, il était allé prendre la sieste, pour ensuite se rendre à l’aéroport. A peine s’était-il dévêtu et allongé sur son lit, que Ekemeyong, son épouse, avait fait irruption tout affolée, dans la chambre : « belle-mère est mal en point, viens vite ». Il avait bondi du lit, accouru torse nu, à son tour affolé, et était arrivé auprès d’elle au moment précis où elle rendait son dernier souffle.

3
Mbee Ebiandi Pierre avait accordé, pendant un long moment, des interviews à quelques-uns de ses plus proches collaborateurs, pendant que de son côté son épouse, la « maman nationale », ainsi que la désignaient affectueusement les gens, parlait de la pluie et du beau temps avec quelques dames de dignitaires qui étaient venus se tenir au bas de l’avion lorsque celui-ci avait éteint ses moteurs. Les cliquetis des appareils photos des journalistes et les éclairs de leurs flashes avaient été nombreux, pour immortaliser l’événement.
Tous les membres du gouvernement rêvaient de se faire appeler par le Chef de l’Etat lorsqu’il revenait de voyage, tel qu’il l’avait fait pour ces quelques privilégiés. Ces derniers face à lui, se tenaient arc-boutés, on aurait dit qu’ils étaient en proie à quelque mal de ventre qui les empêchait de redresser leurs torses. Par moments, on les voyait obséquieusement opiner vigoureusement de la tête comme des margouillats, comme s’ils voulaient se l’arracher du corps, les bras croisés dans le dos, tel des élèves sachant mal leur leçon face à un enseignant, pendant que ceux de Pierre Mbee Ebiandi quant à eux brassaient grandement l’air lorsque que bougeaient ses lèvres.
………..

4
La longue automobile noire de Mbee Ebiandi baptisée par la population «anaconda», par analogie avec un serpent particulièrement long et noir vivant en Amazonie, manœuvra et vint se placer devant la porte du pavillon d’honneur de l’aéroport, signe que le Chef de l’Etat n’allait plus tarder à partir. Peu de temps après, en effet, on le vit sortir du bâtiment, les bras levés et les agitant subrepticement pour saluer la foule avant de s’engouffrer dans l’auto, la « maman nationale » toutes dents au vent, suivant derrière lui.
Le vacarme que produisaient les militants-danseurs du Grand Parti National, centupla. Il devint carrément assourdissant. Quelques-uns de ceux-ci, emportés par la joie extrême d’apercevoir même simplement de loin leur « Président national », enjambèrent spontanément la corde de sécurité tendue par la « Garde Présidentielle » et s’élancèrent en direction de la limousine du « Père de la nation » dans l’espoir de lui manifester face-à-face leur incommensurable affection. La réplique de la « Garde Présidentielle » ne se fit pas attendre. Ses membres se jetèrent avec une rage inouïe sur eux, se mirent à les rouer de coups de matraques, de crosses de fusils, de poings et de pieds. Tout se déroula en l’espace d’un éclair. Les malheureux rebroussèrent immédiatement chemin, certains, les lèvres fendues, d’autres des yeux tuméfiés et tout ensanglantés. Le vacarme que produisaient ceux qui, quant à eux, n’avaient pas bougé, lui, ne cessa pas pour autant. C’était comme si rien ne s’était passé.
Ngodon secoua la tête : « qu’est-ce qu’ils sont stupides ces gens ! qu’est-ce qu’ils sont stupides ! Quelle idée de vouloir, sans autorisation, s’avancer vers le Chef de l’Etat ! Ah là là ! Les consignes sont strictes. Personne ne soit s’approcher de lui sans y être autorisé. Ah là là ! Qu’est-ce qu’ils sont stupides ! Il faut éduquer ce peuple, il est trop bête ! Trop bête ! C’est pas croyable ça ! C’est pas croyable ! Ces abrutis pensaient que la Garde Présidentielle allait les laisser faire ? Quelle naïveté, mon Dieu ! Quelle naïveté ! »
………………

16
La nuit était tombée. La dépouille de la maman de Ngodon avait été placée dans son salon, au beau milieu d’une chapelle ardente, comme elle l’avait été dans sa résidence ministérielle à la capitale. Le cercueil avait été ouvert afin que les gens puissent venir contempler une toute dernière fois celle qui allait disparaître à jamais. Un interminable défilé avait alors commencé et avait duré toute la nuit, certaines personnes passant même à plusieurs reprises devant le corps, histoire de bien s’assurer que Ngodon les avait bien vues terrassées par le chagrin devant la dépouille de sa regrettée mère. Les dignitaires venus de la capitales avaient été installés dans un salon à part et entre eux. Ils arboraient tous une mine triste et donnaient l’impression d’être plus éplorés que Ngodon lui-même. Des bouteilles de liqueurs et de bière avaient été placées sur une table dans la salle et étaient à leur disposition. Mais, ils n’y touchaient pas, ils ne désiraient guère apparaître comme des personnes venues faire la fête. A l’extérieur, dans la cour, des gens vêtus de la tête aux pieds de l’uniforme du parti et auxquels étaient mêlés quelques fonctionnaires du ministère de Ngodon, s’activaient sans répit. Ils s’offraient pour le moindre service. Une ampoule n’éclairait pas suffisamment un coin d’une salle ? L’un d’eux s’en était déjà occupé. Des personnes étaient debout et recherchaient des yeux un endroit où s’asseoir ? L’un d’eux avait déjà trouvé des chaises et un espace pour elles. D’autres se plaignaient de n’avoir rien bu depuis leur arrivée ? L’un d’eux leur avait déjà trouvé des bouteilles de bière.
Ngodon les observait avec beaucoup d’amusement, mais pas son épouse. Elles l’agaçaient plutôt quant à elle. Elle avait fini par s’en plaindre auprès de son époux.
― Chéri, tes gens-là, j’en ai par-dessus la tête. Ils ont accaparé tout le deuil, ils en font trop. Ils sont partout. Au salon, à la cuisine, sur la véranda, dans la cour, partout partout partout à la fois, il ne reste plus qu’ils pénètrent dans notre chambre à coucher. Ici ce n’est pas le ministère, c’est notre village. Il faut le leur dire, il faut le leur rappeler, au cas où ils l’auraient oublié. Et puis, c’est ta maman qui est décédée, et elle n’avait rien avoir avec ton ministère, absolument rien. Elle était une brave ménagère, sans plus. Ils ne la connaissaient même pas. Ils exagèrent tes gens-là, ils exagèrent. C’est trop ce qu’ils font, c’est beaucoup trop !

A peine avait-elle fini de se plaindre, qu’un notable du village les avait rejoints.
― Euh …
― Oui, avait réagi Ngodon.
― Tes gens-là viennent de me bousculer, moi je ne supporte pas ça, je ne le supporte pas. Moi on ne me bouscule pas. Pour qui se prennent-ils ? Hein ? Ici c’est mon village, ce n’est pas le leur. Ils viennent me bousculer ici, hein, chez moi ? Incroyable ! Incroyable ! Ça alors !
Ngodon avait poussé un soupir de désolation, puis avait répondu au notable :
― Je vais m’en occuper, je vais les ramener à l’ordre. Calme-toi. Je m’en occupe.
― Fais-le rapidement, je te dis, fais-le rapidement, je ne leur ai pas répondu par simple respect pour toi. Je ne suis pas le seul à me plaindre d’eux. Nous sommes nombreux et sommes à bout de nerfs avec ces nuisibles intrus que tu nous as amenés dans le village. Fais-le sans tarder, plus vite tu agiras mieux ça ira.
Ngodon avait hoché la tête en signe d’acquiescement. A peine le monsieur avait-il tourné les talons, qu’un brouhaha soudain dans la cour avait attiré son attention. Des éclats de voix s’étaient mis à jaillir, des injures à fuser. Que se passait-il ? Il s’y était prestement dirigé, pressentant qu’il s’y produisait du grabuge. Il avait en effet trouvé un de ses cousins du village en train de cravater un des fonctionnaires venus au deuil. Ses mains serraient fortement son cou. Ce dernier se trouvait en très grande difficulté. Il était presque étranglé et se débattait comme un beau diable pour se libérer. Plusieurs personnes tentaient en même temps mais sans succès de desserrer le redoutable étau dans lequel il était tenu par les robustes mains du villageois.
― C’est quoi ça ! avait-il tonné.

En vain. Son cousin ne lâchait pas prise. Il avait de nouveau tonné. En vain de nouveau. Son garde du corps avait accouru. Il s’était jeté sur son cousin, s’était mis à le rouer de coups de poings. Ce dernier avait lâché le fonctionnaire, s’était courbé, avait pris le garde du corps par les jambes, l’avait soulevé du sol et l’y avait aussitôt de nouveau plaqué en le renversant et en le faisant tomber sur le dos. Il s’était à son tour jeté sur lui, s’était installé sur sa poitrine et s’était mis à lui rouer le visage de coups de poings. Une voix s’était écriée : « on est en train de battre le ministre ». Scandale ! Les militants du parti en uniforme n’avaient plus demandé leur reste, tout comme les villageois. Une terrible bagarre s’était alors déclenchée dans le noir, entre eux, les uns pensant que c’étaient les autres qui tabassaient Ngodon.

17
La bagarre avait duré peu de temps, et avait cessé aussi soudainement qu’elle avait commencé. Plusieurs personnes s’étaient retrouvées avec des yeux au beurre noir, d’autres des lèvres fendillées ou bien saignaient du nez. De nombreuses chemises étaient en lambeaux, ou simplement avaient plusieurs boutons arrachés.
Ngodon en était fort désolé. Le notable qui l’avait mis en garde était aussitôt revenu à la charge.
― Ne t’ai-je pas prévenu ? Hein ? Ne t’ai-je pas prévenu ? As-tu vu ce qui est arrivé ? Hein ? As-tu vu ? C’est même le deuil de qui ? C’est le deuil du parti et de ton ministère ou celui d’une femme de ce village ? C’est pas croyable ça ! C’est pas croyable ! Ils viennent nous défier ici à domicile ! Ça alors ! Ils en ont du toupet ! Ils en ont vraiment, ils en ont à revendre. Ça alors !
Ngodon était totalement désemparé. Il ne savait quoi faire. Il se tourna malgré tout vers les villageois :
― Je … euh … je … voyez-vous, mes frères, ce deuil est le vôtre, je dis bien, ce deuil est le vôtre, c’est votre femme, votre mère, votre grand-mère qui est décédée et que tout ce monde venu depuis la capitale est venu accompagner à sa dernière demeure. Tous ces gens qui sont arrivés sont vos invités. Ils sont venus vous et moi, nous assister dans le malheur qui nous a frappés. Ils sont nos invités. Je le répète, ils sont nos invités. Nous devons en conséquence les ménager, mes frères, nous devons le faire. Il ne faudrait nullement qu’ils retournent chez eux en se disant qu’ils n’ont pas bien été reçus dans notre village. Cela ne serait pas bien du tout.
Une voix avec défi dans la foule :
― Qu’ils ne viennent pas nous provoquer ici, qu’ils nous attendent dans leurs villages s’ils nous y verront un jour …
Brouaha d’approbation dans la foule. Ngodon avait repris la parole.

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