Journalistes camerounais : N'ayons plus peur, au nom de la vérité et du progrès
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Journalistes camerounais : N'ayons plus peur, au nom de la vérité et du progrès :: CAMEROON

Le 30 octobre 2017 marquera d’une pierre blanche la vie des médias au Cameroun. Ce jour-là, les trois signataires de la présente tribune étaient acquittés par le tribunal militaire de Yaoundé pour «faits non établis». Dans son verdict, le juge a également reconnu le «professionnalisme» des prévenus. Pour en arriver là, il aura fallu trois ans de procédure, un an et demi de procès proprement dit, trois mois de mise sous surveillance judiciaire, deux juges d’instruction, trois commissaires du gouvernement, quatre présidents de la collégialité pour vingt-sept audiences. Nous voulons ici saluer le courage du juge Edou Mewoulou, qui a dit le droit dans une affaire kafkaïenne que certaines sources introduites présentaient comme «complexe».

Elle a connu plusieurs évolutions, tant arithmétiques que pénales. Au départ, la couverture cartonnée du dossier du juge d’instruction évoquait, sous une plume maculée d’un rouge vif, «l’Affaire Harissou et de neuf autres», puis au fil des jours et des audiences, ce fut «l’Affaire Harissou et de quatre autres» avant de finir entre deux juridictions, la correctionnelle et la criminelle. Dans notre combat permanent et inlassable pour la restitution de la vérité, nous savons gré aux organisations, aussi bien nationales qu’étrangères, qui en chœur ont pris fait et cause pour notre situation. Nous en profitons pour exprimer notre reconnaissance éternelle à tous nos soutiens, qui ont toujours cru en notre innocence. Que ceux ayant douté de notre moralité soient également assurés de notre indulgence.

Au passage, nous voulons relever ce paradoxe qui veut que le notaire de Maroua, au départ présenté comme le principal acteur du dossier, ait été libéré, quoi qu’ayant encore passé 13 jours derrière les barreaux après le prononcé du jugement. Me Harissou a en effet écopé de 3 ans de prison ferme, soit un peu moins du temps passé derrière les barreaux, et était donc libérable de suite sauf s’il était sous le coup d’une autre peine privative de liberté. A l’inverse, Aboubakari Siddiki, une espèce de «second couteau», selon l’accusation initiale, aura raflé la peine maximale : 25 ans. Sans oser s’aventurer à commenter une décision de justice, nous souhaitons pour lui que la saisine de la cour d’appel permette à cet homme de retourner rapidement à une vie normale.

Le gâchis

A travers notre cas, les journalistes camerounais, en dépit d’un environnement économique et professionnel particulièrement difficile, devraient cesser d’avoir peur d’exercer leur métier dans le respect des règles éthiques et déontologiques. Les intimidations et tentatives diverses ne manqueront pas sur leur chemin, mais nous les exhortons à ne rien lâcher sur le chemin de la vérité qui élève et développe. Nous nous engageons, désormais, à être quant à nous les fervents défenseurs de ce journalisme qui ne publie rien pour nuire, et ne tait rien pour plaire. Nous nous engageons également, comme le stipule notre Code éthique et déontologique universel, à protéger nos sources d’information. A l’échelle de 25 millions de Camerounais, nous trois ne représentons strictement rien. Mais les répercussions de notre procès, sur la scène nationale et internationale, auront eu des effets dévastateurs sur l’image de notre pays. Un véritable gâchis.

Cette affaire aura également permis de remettre au goût du jour la sempiternelle problématique de la protection des sources d’information, sacralisée par les instruments internationaux ratifiés par le Cameroun, reconnue par les institutions du pays et consignée dans la loi sur la communication sociale de décembre 1990. Nous formulons l’espoir que, plus jamais, un journaliste camerounais ne se retrouvera devant la barre du tribunal militaire pour avoir été à la fois patriote et professionnel. Notre calvaire judiciaire a aussi croisé le chemin du Conseil national de la communication (CNC). L’organe gouvernemental, au nom de la «protection de la liberté de communication sociale», a brandi la menace d’une «action en régulation» contre nous si des éléments, en rapport avec la procédure, ne lui étaient pas transmis d’urgence par nos soins.

Une incitation à la délation, en somme. Nous n’avons point cédé à cette impudique tentative d’intimidation, et, en attendant les «sanctions» promises, nous nous permettons de rappeler au CNC que la déontologie de notre profession interdit, de manière formelle, la divulgation du secret de l’instruction. Mais que cela soit bien clair : personne n’aura notre haine. Journalisme citoyen D’autres tracasseries ne manqueront pas, tout comme des confrères restent en butte aux menaces diverses de lobbies, aux obstructions dans le cadre de l’accès aux sources d’informations, le moindre détail, la moindre requête, sur la gestion de la chose publique, relevant du secret d’Etat. Mais nous devons tenir bon au nom de la vérité, qui est l’essence même de notre métier.

C’est le lieu également de parler ici d’une nouvelle forme de journalisme, celle dite «journalisme citoyen» qui ne cesse d’élargir son lit dans notre pays. Avec le développement de l’Internet, de la photographie numérique et surtout des réseaux sociaux, ils sont désormais nombreux, ces confrères qui diffusent textes, images et vidéos sans passer par le filtre des médias. Personne ne sait ce que deviendront, demain, Twitter, Facebook et autres Instagram. Par contre, ces réseaux sociaux ne prendront jamais la place des médias traditionnels ; au mieux, ils cohabiteront pour le meilleur et le pire. Le pire, si nous faisons abstraction du maillon le plus important de notre métier, à savoir le traitement de l’information. Aussi bien lors de la phase d’instruction que pendant les débats, nous avons pu monter et démontrer que non seulement nous n’avions pas détenu les «informations» querellées, mais que, bien plus, nous avions scrupuleusement respecté la démarche professionnelle sur l’alerte qui nous avait été donnée, évitant ainsi le sensationnel et la course au «scoop».

C’est certainement cet argumentaire qui nous a évité la privation de liberté en dépit d’énormes pressions, de restrictions diverses ainsi que de préjugés inquisiteurs. Il convient en effet de rappeler que ce cas, sans revenir sur les conditions rocambolesques de notre inculpation, se rapportait à des faits de «non dénonciation». Le tribunal militaire de Yaoundé nous reprochait ainsi de n’avoir pas, «en temps de paix, (…) averti les autorités militaires, administratives ou judiciaires de toute activité de nature à nuire à la défense nationale. Faits prévus et réprimés par les articles 74 et 107 du Code pénal».

Cela nous exposait à un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 50.000 à 5 millions de francs, ou l’une de ces peines seulement, si nous avions été convaincus de rétention d’une information, ou de toute activité, de nature à nuire à la défense nationale. Nos conseils ont rappelé, à loisir, lors des audiences, que la notion de «dénonciation» n’avait de sens que si elle est faite a priori et non a posteriori. Car en effet, les faits querellés datent de novembre et, pour certains, de décembre 2013.

Printemps de la presse

Le motif d’inculpation a ensuite été requalifié, pour se muer en «complicité de tentative d’outrage au président de la République». Mais, dans l’une et l’autre posture, notre «professionnalisme», salué par le juge Edou Mewoulou, n’a jamais été pris à défaut.

Rien n’était gagné d’avance. D’autres risques guettent la corporation, sur le chemin de la quête de l’information. Et ces risques ont pour noms : la course au buzz, l’avidité pour le scoop, la soif d’être le premier sur l’info, le breaking news… Les ingénieurs de l’information, dont se revendiquent les journalistes de tous bords, auront toujours à cœur de vérifier, de croiser leurs sources, d’écouter, de voir, de sentir avant de rendre compte sans a priori ni complaisance. Cessons d’avoir peur, au nom de notre pays. Les procès en diffamation ou – pire – pour non dénonciation, guettent ceux qui osent troubler la sérénité des prédateurs et des diviseurs. Et voici venu le temps de la presse de vérité et de progrès, qu’aucune entrave ni menace ne doit ébranler. Nous rêvons d’un «printemps de la presse camerounaise», une sorte de Grenelle du journalisme tant traditionnel que numérique dont la thématique est toute trouvée : «Le journalisme dans 10 ans».

Nous appelons en chœur ce moment où dirigeants et spécialistes de l’information s’accorderont sur un minimum de règles de bienséance. D’un pacte de non-agression, qui défend les intérêts de la communauté sans céder aux compromissions clientélistes. Le plus difficile, dans cette histoire dite des «trois journalistes et le tribunal militaire de Yaoundé», que les médias du monde entier ont suivi avec une attention particulière, n’est pas visible. Car le mythe de la justice militaire nous poursuit encore : il a transformé nos certitudes en un effroi indescriptible. Le verdict du 30 octobre 2017 nous a certes réveillé, mais l’image de la justice militaire continue de nous hanter, comme si nous avions vu le diable lui-même. Si la mystification s’arrête brusquement, si le monde se conforme au scénario qu’il a toujours affiché, alors c’est qu’il y a un instigateur quelque part, capable de changer les règles du jeu à la minute, et qui va bientôt apparaître, sous la forme d’un chevalier blanc, le cas échéant.

Refuser ce qui n’est pas

Cette épouvante que nous avons vécue et qui nous poursuit, nous la rattachons à des moments d’extrêmes douleurs que nous pouvons traverser lorsque les gens, ou les choses, cessent d’être ce qu’ils étaient. Ou plus précisément : ce qu’on croyait qu’ils étaient. Quand la justice militaire se transforme en justice humaine. Quand la terre, qui était fixe, se met à tourner autour du soleil. Un pan du monde s’effondre tout à coup pour nous. Le changement, on le voit, est moins dans le monde que dans notre vision du monde. Et le diable réside là, dans notre propension à croire qu’une décision de justice, fut-elle de justice militaire, suffit à tout changer. Croire que seule la Justice peut nous métamorphoser, c’est encore croire, c’est encore le diable.

La seule chose que l’on devrait se promettre, c’est de ne plus vouloir que ceci reste, que ceci change. Ce qui est, est, et ce qui n’est pas, n’est pas. Parménide nous l’a déjà dit, dans «le Discours de l’être». Que faire au lieu de vouloir ? Vivre et encore vivre, comme si de rien n’était. Quant à nos modestes personnes, nous continuerons de vivre avec ce qui est, tout en refusant ce qui n’est pas.

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