Mathatha Tsedu. Enseignant à l’université de Witwatersrand (Afrique du sud) «Le président sud-africain est l’otage des lobbies d’affaires»
AFRIQUE DU SUD :: POLITIQUE

Mathatha Tsedu. Enseignant À L’université De Witwatersrand (Afrique Du Sud) «Le Président Sud-Africain Est L’otage Des Lobbies D’affaires» :: South Africa

Suite à un remaniement partiel du gouvernement, des milliers de personnes (dont des Blancs) sont sorties dans la rue deux fois en une semaine (vendredi 7 avril et hier) pour demander le départ du président Jacob Zuma. Même les militants du Parti communiste sud-africain, un allié historique de l’ANC, ont rejoint les manifestants. Le prix Nobel de la Paix et ancien archevêque Desmond Tutu, figure de la lutte contre l’apartheid, est également sorti dans la ville d’Hermanus.

Pourquoi ce remaniement est-il si contesté ?

Le remaniement en question a concerné, au total, cinq ministres et quelques vice-ministres. Le changement le plus contesté est celui qui a bien évidemment visé le ministère des Finances. Le respecté ministre en Poste, Pravin Gordhan, et son adjoint ont été remerciés sans explication. La colère est grande car ce ministère, en plus d’être touché par une instabilité chronique est, pour ainsi dire, pris en otage.

En 2015, Zuma avait déjà congédié son détenteur et nommé David Van Rooyen, quelqu’un de dévoué mais qui n’était manifestement pas fait pour être ministre des Finances. David Van Rooyen est un allié de Zuma et de ses soutiens, parmi lesquels ont compte la famille indienne Gupta qui est complètement corrompue. Cette famille riche a le président Zuma dans sa poche.

Nhlanhla Nene, le prédécesseur de David Van Rooyen, bien qu’issu du secteur (il est de la majorité noire et fut longtemps n° 2 du Trésor) n’était pas apprécié de la famille Gupta car il bloquait certains de leurs projets. Nhlanhla était en conflit avec Jacob Zuma concernant un énorme projet de construction de centrales nucléaires. Il voyait d’un mauvais œil le coût de l’investissement qui devait se solder par la construction de six à huit nouveaux réacteurs. Le projet devait être réalisé par les Russes.

Et comme vous le devinez, la famille Gupta voulait être leur partenaire. Ils voulaient faire de David Van Rooyen leur marionnette. Ils attendaient de lui qu’il déverrouille la situation. La réaction au sein de l’ANC et les critiques du marché étaient tellement fortes que le président Zuma a dû cependant encore changer de ministre des Finances. David Van Rooyen a donc été démis de ses fonctions quatre jours après avoir été nommé ministre. Il avait été remplacé au pied levé par Pravin Gordahn. Donc, en décembre 2015, nous avons eu trois ministres des Finances en l’espace de cinq jours seulement. Cela dit, Jacob Zuma n’a jamais voulu de Pravin Gordahn.

- La famille Gupta n’en voulait pas aussi...

Exactement ! Comme Nene, Pravin Gordahn n’était pas des alliés de la famille Gupta. Pour l’éjecter de son gouvernement, le président Zuma lui a inventé une affaire d’«intelligence avec des forces impérialistes». En tout cas, le limogeage de Pravin Gordahn et en plus avec la manière que l’on sait a constitué un peu la goutte qui a fait déborder le vase.

Pravin Gordahn s’est fait limoger alors qu’il se trouvait il y a quinze jours à Londres pour rassurer les investisseurs et les agences de notation. Cela n’a évidemment pas plu à une opinion sud-africaine déjà outrée par le niveau atteint par la corruption en Afrique du Sud et les scandales financiers qui ont éclaboussé le président Zuma. En plus, tout le monde avait compris pourquoi il voulait se débarrasser de Pravin Gordahn. C’est ce qui est aujourd’hui à l’origine de la contestation.

Par ailleurs, l’opinion ne comprend pas cette manière de gouverner alors que les règlements de l’ANC obligent le président à consulter les autres dirigeants du parti lorsqu’il décide de remanier son cabinet. Cela ne s’est malheureusement pas fait. Des leaders de l’ANC soutiennent que la liste des nouveaux membres du gouvernement a été concoctée dans les bureaux de l’empire Gupta. Des personnes à l’intérieur de l’ANC sentent que leur président est pris en otage par les membres de la famille Gupta. Selon eux, il travaille non pas dans l’intérêt du pays, mais plutôt pour enrichir cette famille.

- Ce remaniement explique-t-il, à lui seul, la colère de la population sud-africaine ? Ces manifestations sont-elles liées à la prochaine présidentielle ?

Effectivement, la colère ne concerne pas seulement le remaniement. La corruption est endémique à tous les niveaux des secteurs sous ce gouvernement. C’est d’ailleurs pourquoi ses leaders ont perdu quatre villes lors des élections locales de l’année dernière, ce qui est un gros coup. L’ANC n’avait obtenu que 55% des voix au niveau national, son plus mauvais score depuis 1994. Les gens réagissent à la corruption généralisée et le remaniement est perçu comme une aggravation de ce mal qui ronge le pays.

Cela m’étonnerait que ce regard change puisque le nouveau ministre des Finances, Malusi Gigaba, est aussi un ami de la famille Gipta. En le désignant, Zuma a en quelque sorte donné la clé du Trésor aux Gupta. Au sein de l’ANC, chaque problème est maintenant perçu à travers le prisme de l’évolution des rapports de force au sein du parti. Des rapports de force qui opposent actuellement Zuma à son adjoint Cyril Ramaphosa. En décembre prochain, Zuma cessera d’être le leader du parti, mais restera président du pays.

Zuma veut que son ex-femme et ancienne présidente de la Commission de l’Union africaine (UA), Nkosazana Dlamini-Zuma, lui succède. Cette option se fera au détriment de son adjoint, Cyril Ramaphosa, qui ambitionne aussi de devenir président. Certains interprètent l’opposition publique de Ramaphosa à la décision de Zuma de changer de ministre des Finances comme une annonce de sa candidature à la présidence. A l’extérieur de l’ANC, vous avez des partis d’opposition qui voient au contraire ces affaires de corruption comme une occasion inespérée pour mobiliser les gens contre l’ANC en prévision des prochaines échéances électorales.

- De toute évidence, le président Zuma a réussi à établir un consensus contre lui. Cependant, il n’a pas à s’inquiéter car son parti le soutient. Pourquoi l’ANC continue-t-il à le couvrir ?

Lorsque Zuma a été réélu en 2012, il s’est assuré que le plus haut organe décisionnel du parti, le Comité exécutif national (NEC) qui renferme un peu plus de 80 personnes, soit dominé par ses sympathisants. Environ 80% d’entre eux n’apportent rien au débat. Ils ne sont là que pour le plébisciter, veiller à ce qu’il ne soit pas mis en danger et profiter de la rente. Ils utilisent leurs positions pour obtenir des appels d’offres du gouvernement, des dessous de table ou influencer l’octroi des appels d’offres.

Ce sont ces gens là qui peuvent déterminer si Zuma peut partir aujourd’hui. Je peux vous le dire, ils ne voteront jamais pour son départ. Le jeu est verrouillé. C’est la raison pour laquelle les électeurs et les centaines de milliers de sympathisants de l’ANC sont aujourd’hui en colère. La colère monte aussi au sein de l’ANC. Mais comme je viens de vous le dire, les militants de l’ANC sont pieds et poings liés car c’est le NEC à qui revient la prérogative de décider du sort du président.

- Le régime de l’apartheid est tombé en 1991. L’ANC est au pouvoir depuis près d’un quart de siècle. Cependant, l’Afrique du Sud reste l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Pourquoi ce parti n’a-t-il pas réussi à combler l’énorme fossé social et économique qui sépare les populations blanche et noire ? Est-ce lié à la nature du système politique sur lequel repose le pays ?

Les négociations entre les Boers et l’ANC qui se sont terminées par une nouvelle constitution en 1993 n’ont en réalité pas changé le système économique du pays. Le pays est encore entre les mains des Blancs. C’est le cas aussi de l’économie. Les Noirs se contentent d’occuper un bureau politique et de gérer ou de protéger les biens d’autrui. Tant que le système que Mandela a participé à mettre en place continuera, les inégalités continueront.

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