Rémy Rioux : « La lutte contre Boko Haram passe aussi par le développement »
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Ancien secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères, Rémy Rioux est depuis le 25 mai, directeur général de l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique).

Il s’est rendu au Cameroun, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Tchad. A N’Djamena, il s’est entretenu avec le chef d’Etat, Idriss Déby Itno, président en exercice de l’Union africaine et du G5 Sahel.

Préoccupé par les ravages causés par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad, il évoque ses pistes de développement pour la région, et plus largement pour le Sahel.

Quel constat faites-vous de la situation qui prévaut dans la région du lac Tchad ?
Cette région connaît actuellement l’un des plus importants déplacements de population jamais enregistrés sur le continent africain. Près de trois millions de personnes se sont retrouvées sur les routes, fuyant Boko Haram dans le nord-est du Nigeria mais aussi au Sud-Est du Niger, au Tchad dans la région du lac et au nord du Cameroun, abandonnant leurs villages et leurs biens. Les femmes et les enfants ont tout particulièrement souffert d’épisodes de violence extrême.

Aujourd’hui, la solidarité entre communautés parvient, au prix de grandes difficultés, à amortir certains chocs liés à cette crise migratoire : les populations déplacées sont accueillies au sein de communautés hôtes, qui partagent les ressources dont elles disposent. Mais l’insécurité alimentaire est un risque très réel, et des tensions entre les communautés pourraient naître à court terme, si on n’agit pas rapidement.

Qu’est-ce qu’une agence de développement peut faire dans un contexte qui est plutôt celui de l’aide humanitaire d’urgence ?
Pour gagner la paix, il faut répondre à l’insécurité et à l’urgence humanitaire. Pour installer la paix, il faut que les personnes puissent imaginer et construire un avenir commun.

C’est l’objet de notre « Initiative bassin du lac Tchad », soutenue par le président François Hollande et ses pairs africains lors du sommet d’Abuja de mai dernier et qui sera présentée au conseil d’administration de l’AFD en octobre. Un budget de 35 millions d’euros, avec l’Union européenne, pour renforcer l’autonomie des populations frappées par la crise Boko Haram.

La demande prioritaire exprimée par les populations déplacées est celle d’un accès à des terres cultivables. Réduire les sources de tensions est le second objectif de l’initiative. Pour préserver l’accès aux ressources en terres et en eau, il est indispensable de s’assurer que l’extension des surfaces agricoles ne se fera pas au détriment de ressources pastorales. Enfin, impossible d’agir sur la durée sans apporter un appui psychosocial aux communautés et aux individus ayant subi les traumatismes que l’on sait.

Comment mener des actions de développement dans un contexte de conflit, faut-il attendre que la guerre se passe ?
Il n’est pas question de détourner les yeux en attendant que la guerre s’achève. Il faut au contraire que les réponses de sécurité et les réponses de développement soient étroitement articulées, sans se mêler, et au service de l’objectif politique défini par les parties prenantes. Le dossier « Comprendre Boko Haram » que vient de publier la revue de l’AFD, Afrique contemporaine, montre à l’inverse comment la spirale sous-développement – insécurité s’auto-entretient et s’amplifie. Boko Haram grandit là où l’Etat échoue.

La gravité de la crise qui se déroule à l’échelle régionale ne bouleverse-t-elle pas l’aide au développement ?
« Les méthodes traditionnelles d’aide ne suffisent plus pour répondre à l’urgence. On entre dans une « logique G5 Sahel » aussi en matière de développement »

Les méthodes traditionnelles de l’aide au développement ne suffisent plus pour répondre à l’urgence et favoriser une dynamique de développement à moyen terme. Ce programme est innovant, de par son champ d’action élargi à plusieurs pays à la fois, autour d’un bassin de crise, à l’exemple de ce que font nos collègues militaires. On sort du raisonnement classique, pays par pays et on entre dans une « logique G5 [Sahel] » aussi en matière de développement.

L’innovation consiste aussi à confier la mise en œuvre de l’initiative à un consortium d’ONG, des opérateurs fiables, et à mettre le paquet sur des mesures de relance du développement économique et social.

Nous devons aussi accroître nos financements, bien sûr. Avec plus de 500 millions d’euros d’engagements par an dans la région Sahel, l’AFD est déjà le premier bailleur bilatéral de l’aide publique au développement. Et François Hollande, a décidé d’accroître encore nos capacités financières à l’avenir.

Quelles pistes de développement vous semblent les plus pertinentes au Tchad pour relancer l’économie très fragilisée par la rupture des axes d’échanges commerciaux avec le Nigeria ?
Le Nigeria est en effet important pour l’économie du Tchad, fragilisé par la baisse des cours du pétrole. Car 30 % des importations tchadiennes en proviennent et le Nigeria est le principal acheteur de bétail tchadien. C’est aussi pour des raisons économiques que le président Idriss Déby Itno a lancé une offensive contre Boko Haram au mois de janvier dernier.

Dans ce contexte très chahuté, il faut poursuivre la diversification de l’économie tchadienne pour réduire la dépendance à l’égard du pétrole. Cette diversification doit partir des atouts que possède le Tchad, en particulier l’agriculture et l’élevage : les cultures de rente [coton, sésame, arachide] comme les cultures maraîchères, qui créent de nombreux emplois et assurent la sécurité alimentaire.

En matière d’élevage, il est possible de créer plus de valeur ajoutée dans le pays en exportant non plus le bétail sur pied mais les produits après transformation comme la viande et le cuir. Des investissements sont programmés et doivent être soutenus : abattage, chaîne du froid, fret aérien… C’est essentiel car le secteur de l’élevage procure des revenus directs et indirects à 40 % de la population du pays.

Concrètement, comment répondre à cette crise économique aggravée par Boko Haram. Exemple : un bœuf tchadien ne peut plus être exporté au Nigeria. Et le riz de Maiduguri ne peut plus approvisionner N’Djamena. Et le Tchad a vu son accès à la mer menacé par la situation sécuritaire au nord du Cameroun.

Les axes commerciaux traditionnels entre le Tchad et le Nigeria, et plus particulièrement vers Maiduguri, la grande métropole de la région du Borno, sont aujourd’hui fermés.

Cependant, il existe toujours un courant d’échanges entre les deux pays, via le Cameroun. Ces biens arrivent au Tchad par l’axe routier qui relie Maroua [la grande ville du nord du Cameroun] à N’Djamena via Kousseri. L’approvisionnement des régions ouest du Tchad en biens alimentaires et manufacturés continue d’être assuré. Les containers débarquant au port de Douala arrivent toujours à N’Djamena, même si ces flux rencontrent plus de difficultés qu’auparavant.

Ce sont les exportations de bétail sur pied vers le Nigeria qui ont enregistré le plus fort ralentissement. La réouverture des corridors traditionnels, notamment ceux passant par Fotokol, au Cameroun, et Dikwa au Nigeria, d’une part, et par Maroua et Bama, d’autre part, est essentielle. Elle suppose la défaite militaire de Boko Haram.

Quid du crucial couloir de transhumance Baga Sola - Ngouboua et plus largement des axes d’échanges commerciaux perturbés par le conflit ?
« Il faut sécuriser les corridors essentiels entre le Tchad et le Nigeria, via le Cameroun, pour relancer les échanges commerciaux entre ces pays »

Il est aujourd’hui entravé en raison de l’insécurité qui règne. Face à cette situation, les éleveurs se sont adaptés. Certains se sont sédentarisés un peu plus à l’est, de façon à s’éloigner de possibles attaques de Boko Haram mais entraînant une surexploitation des pâturages. D’autres ont suivi des couloirs de transhumance vers le sud du pays. Il semblerait que le flux d’exportation d’animaux sur pied transite aujourd’hui par le sud-ouest du Tchad, dans la région du Mayo-Kebi, frontalière avec le Cameroun.

Il faut sécuriser les corridors essentiels entre le Tchad et le Nigeria, via le Cameroun, pour relancer les échanges commerciaux entre ces pays. La Force multinationale mixte, composée de militaires des quatre pays riverains du lac Tchad [Cameroun, Tchad, Niger et Nigeria], y contribuera.

Mais le sécuritaire doit se conjuguer au développement le long de ces corridors où il faut apporter des services essentiels à commencer par l’eau gratuite.

Les îles tchadiennes du lac ont été vidées de leur population sur ordre de l’armée et l’état d’urgence a été prolongé. Comment agir pour l’intégration de ces populations déplacées et le développement de cet espace lacustre ?

L’armée tchadienne a effectivement organisé le déplacement des populations des îles du lac Tchad pour assurer leur sécurité, après qu’une partie de ces personnes se sont enfuies pour fuir les exactions de Boko Haram. A ces déplacés s’ajoutent les réfugiés, notamment en provenance du Nigeria, si bien que ce sont près de 100 000 personnes qui se trouvent aujourd’hui sur la rive tchadienne du lac.

Les populations déplacées et réfugiées expriment le souhait de pouvoir exercer une activité économique génératrice de revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles. Conscientes de la pression qu’elles exercent sur les populations des villages qui les accueillent et de l’effort de solidarité dont celles-ci font preuve, elles demandent des perspectives pour redevenir indépendantes. Elles veulent reprendre des activités agricoles et l’élevage.

La zone possède un fort potentiel agricole et 2 % seulement des terres cultivables sont mis en valeur dans la région du lac. La présence d’eau permet d’envisager des activités d’aménagement agricole et rural, en complément des actions humanitaires déjà engagées.

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