Leonora Miano, “Je ne suis pas déçue”
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L’écrivaine camerounaise de 41 ans est devenue par la force de son talent, l’une des romancières francophones les plus lues dans le monde. Elle a écrit sept romans, les six premiers étant des trilogies. Miano est une femme au charme discret qui conserve jalousement sa vie privée tout en revendiquant son attachement à ce « Mboasu » qu’elle a quitté à 18 ans. Elle a été invitée au Cameroun par l’Institut français du 8 au 13 décembre 2014. L’interview suivante porte sur son univers littéraire.

Etes-vous déçue que l’invitation soit venue de l’Institut français du Cameroun et non des autorités en charge de la Culture ?
Je ne suis pas déçue, étant donné que j’ai la nationalité française depuis 2008. Mais cela aurait été symboliquement plus fort que ma venue soit organisée par les services culturels camerounais. Je pense que la jeunesse camerounaise est demandeuse d’autonomie, demandeuse d’un rapport qui soit plus digne, plus responsable. Par rapport à eux, ça aurait été un signal fort. Même si les Instituts français font du bon travail et qu’ils respectent les écrivains, les artistes, c’est toujours mieux de voir que l’Etat camerounais accorde de l’importance et tient à mettre en valeur ce que nous faisons. Moi, ma carrière est déjà faite, j’espère que le ministère des Arts et de la Culture s’impliquera davantage pour les autres écrivains qui arrivent afin de mieux les suivre.

Comment êtes-vous venue à l’écriture ?
J’ai toujours aimé écrire. J’ai commencé par des poèmes à l’âge de 8 ans. L’écriture est pour moi l’expression de la liberté parce qu’on a la possibilité de créer comme on souhaite. Aujourd’hui, je ne fais que ça, écrire. C’est mon métier. L’inspiration me vient du monde qui m’entoure et j’écoute beaucoup la musique. Du blues, de la soul et du jazz. C’est de ces musiques que je tire les éléments qui structurent mes textes.

Dans vos romans, depuis «L’intérieur de la nuit » et plus encore dans « La saison de l’ombre », vos héroïnes sont des fortes têtes. Elles montrent le chemin à suivre. Pourquoi donne autant de responsabilités aux femmes?
Dans « La saison de l’ombre », je voulais que les héroïnes soit des femmes mûres parce que ce livre, je l’ai écrit lors de mes 40 ans et il se trouve que j’étais enfin arrivée à un moment de ma vie où j’étais enfin en paix avec ma féminité. Ce qui n’avait pas toujours été le cas. Pour ce roman, c’est la première fois que j’ai créé des personnages littéraires qui sont des femmes adultes. Si elles occupent une place importante dans mes livres, tout simplement parce que c’est ainsi dans la vie courante. Ici au Cameroun, les femmes sont d’un dynamisme légendaire. Elles travaillent comme des hommes, exercent des métiers d’hommes ; il fallait montrer cette belle réalité. Parfois, j’aimerais bien que nos mamans travaillent moins, parce que les hommes en profitent pour ne rien faire. Ils font les beaux et s’amusent pendant que la femme, telle une lionne, chasse pour nourrir la famille.

Les personnages de vos livres comme Ayané, l’héroïne de «L’intérieur de la nuit » ou Elise dans « Blues pour Elise » sont souvent des êtres tourmentés, des gens qui pensent beaucoup et ont une vie intérieure très profonde. Cette place que vous accordez à la psychologie n’est pas très courante dans la littérature africaine francophone. Oui, c’est vrai. Je m’attache à beaucoup à travailler mes personnages de l’intérieur, c’est-à-dire leurs émotions. Ce à quoi ils pensent, ce qui les déterminent profondément. Dans mes textes, je dépasse le contexte pour montrer l’intériorité et la pensée des hommes. Ce genre de détails me permet de créer des personnages africains en leur donnant une dimension universelle. Mes personnages sont d’autant plus symboliques que les Noirs en général, ont longtemps été vus et réduits à leur corps, à leur apparence. Pour moi, c’était très important de montrer qu’on peut être noir et différent de l’idée qu’on se fait de vous. On peut être noir et être introvertie. Sous la couleur de peu, tous les humains se ressemblent.

Tous ceux qui vous lisent depuis le début ont constaté que deux thèmes reviennent toujours dans vos livres : la traite négrière et l’identité des afro européens. Est-ce si important que les Africains reconnaissent leur rôle dans la traite négrière ?
Pas seulement le rôle qu’ils ont joué dans la traite négrière parce qu’on en parle beaucoup. Parfois on a même l’impression que l’Afrique était seulement peuplée de négriers. J’aimerais qu’on s’intéresse aux bouleversements entrainés par la traite transatlantique. L’ordre social et politique des villages, notamment sur les côtes camerounaises, a complètement été modifié. Vous voyez que cela détermine ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Quant à ce que vous nommez question d’identité, je dirais plutôt la question de la définition de soi. Comment se définir en Africains après avoir connu la traite et la colonisation ? Comment se projeter dans l’avenir ? Qu’estce qu’on veut dire et partager avec le reste du monde ?

Sans cette identité, on ne peut pas se construire ?
Je suis quelqu’un de cérébral, qui se pose beaucoup de questions. Sans vouloir imposer ma pensée au monde, je pense que certaines questions que je me pose valent la peine d’être étudiées, discutées. Maintenant quand on vit sa vie, on ne se lève pas le matin avec des questions politiques mais des choses à faire. Donc, la littérature propose un espace de réflexion. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a que ça dans la vie. Il y a aussi l’amour, il y a aussi la famille

Chaque fois que vous venez au Cameroun, le programme prévoit toujours des rencontres avec les élèves. Pour vous c’est important d’être avec la jeunesse ?
Oui, très important. J’ai pris l’habitude de discuter avec les adolescents, pas seulement au Cameroun, mais partout où je me rends pour des conférences. En France par exemple, il m’arrive d’animer des rencontres devant près de 300 collégiens. C’est bien premièrement pour leur donner le goût de la lecture. En 2006, j’ai reçu le Goncourt des lycéens pour mon second livre « Contours du jour qui vient ». Les lycéens de France, du Canada, etc, ont trouvé que ce livre « porte un universel d’espoir ». Vous voyez donc qu’ils comprennent parfaitement la portée de mes messages.

La France est sans doute l’un des pays d’Europe qui compte le plus grand nombre d’écrivains d’origine camerounaise. Quels sont vos rapports avec Calixte Beyala, Eugène Ebodé, etc ?
On me parle beaucoup de Calixte Beyala, mais je ne la connais pas personnellement. Je ne connais pas ses livres non plus, uniquement sa figure médiatique. Nous ne nous sommes même jamais croisées dans des manifestations littéraires. En ce qui concerne la littérature camerounaise, je connais beaucoup plus les auteurs classiques comme Mongo Beti que les écrivains contemporains. Mais, c’est parce que les auteurs publiés localement ne sont pas bien promus. Quand c’est le cas, ils se font tout de suite remarquer comme Mutt-Lon avec « Ceux qui sortent dans la nuit », un roman que j’ai beaucoup apprécié d’ailleurs.

© Le Jour : Propos recueillis par Elsa Kane

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