Dualité du système de santé au Cameroun: Comment médecins et « marabouts » cohabitent et s'affrontent au chevet des malades ?
CAMEROUN :: LIVRES

Dualité du système de santé au Cameroun: Comment médecins et « marabouts » cohabitent et s'affrontent au chevet des malades ? :: CAMEROON

La question est décryptée dans un ouvrage collectif intitulé « Nouveaux » Thérapeutes au Cameroun sous la codirection de Sariette et Paul Batibonak.

La densité, la vitalité tout comme l’actualité des productions scientifiques de Professeur Sariette Batibonak sont assez expressives à travers des ouvrages individuels ou collectifs. Mais, aussi ceux réalisés avec Paul Batibonak. C’est en compagnie de ce diplomate chevronné, Ministre plénipotentiaire, qu’elle a codirigé « Nouveaux » Thérapeutes au Cameroun. Cet ouvrage qui expose la dualité, et même le dualisme, du système de santé au pays de Roger Milla, a été publié en décembre 2017 et porte la griffe des Editions Cheikh Anta Diop. Cette compilation d’articles scientifiques établit en 328 pages un diagnostic qui laisse entrevoir entre autres, « le contexte colonial et le musèlement des thérapeutes locaux ». Une triste réalité qui commande chez Sariette et Paul Batibonak, un « plaidoyer pour des thérapeutes marginalisés ». « Cette mise à l’écart est d’autant plus questionnable que la maladie et la guérison ont des significations différentes auprès des populations camerounaises. Pour les plus occidentalisés d’entre elles, la santé est principalement physiologique et mentale », soulignent-ils à la page 22 de cet ouvrage segmenté en une vingtaine de thèmes avec les contributions de divers auteurs en sciences sociales, juridiques et médicales.

Refuge dans la spiritualité, une nouvelle stratégie de survie

«L’absence d’un encadrement législatif de la médecine dite traditionnelle », tout comme « l’absence d’adhésion des patients et des tradipraticiens à la civilisation des droits de l’homme » font partie des plaies béantes et saignantes de la médecine alternative au Cameroun. Quid des «pasteurs-guérisseurs, « nouveaux » thérapeutes au Cameroun » ? Ils ne sont pas loin d’être classés sur le même registre que les tradipraticiens par les professionnels de la médecine conventionnelle ou par le Ministère de la Santé publique. Mais, à la différence, souligne professeur Sariette Batibonak, qu’ils se démarquent, sur l’espace public et médiatique, grâce à un «discours antisorcellaire » dont les échos et les dérives vont au-delà des scènes ordinaires de communication. Cette présence violente ne manque pas de convaincre quelques adeptes qui, face à la misère plurielle et ambiante, ont fait du refuge dans la spiritualité une nouvelle stratégie de survie. D’où, observe avec une pertinence remarquable, l’anthropologue et méthodologue, « une survivance des consultations plurielles ». Ce qui explique, selon Pr Sariette Batibonak dans « Nouveaux » thérapeutes au Cameroun, que « le champ thérapeutique peut être considéré comme un vaste espace où se rencontrent les différents acteurs, entités et réalités, toutes liées aux pathologies de divers ordres. Médecins, « tradithérapeutes », « tradipraticiens», thérapeutes ou médecins « traditionnels », nganga, féticheurs, « sorciers » et « marabouts » sont des principaux intervenants auprès des patients » (p. 280).

Apparier médecine exogène et médecine endogène

Faut-il le souligner, après avoir parcouru toutes les pages de cet ouvrage savamment documenté et illustré par des données statistiques, l’on retient que le régime médical de l’Autre est surprotégé de toute part, même au détriment des pourvoyeurs de fonds. À s’en tenir à la thèse de ses auteurs, « un autre est décrié, frappé d’ostracisme et contraint à la clandestinité ». En fait, « apparier médecine exogène et médecine endogène constitue l’ossature de cet ouvrage collectif ». Par une méthodologie pluridisciplinaire et contextualisée, observent des experts en art, « des perspectives locales sont revues à la loupe pour exposer la mise en quarantaine d’une thérapie du « dedans » au profit d’une thérapie du « dehors ». La plupart des agents de la santé militent pour le régime des

soins de l'Autre et « complotent » contre leur propre offre, contre l'offre de soins de la « tradithérapie ». Décoloniser les soins de santé, s’atteler à ressusciter « notre » médecine, argumenter pour sa (re)mise en marche, ce fil d’Ariane sous-tend le plaidoyer en faveur de la médecine locale camerounaise ».

Une grande diversité de sources

Dans ce pays, Afrique en miniature, comme dans le reste du continent, environ 80% de patients sollicitent prioritairement les thérapies locales avant toute autre référent médical. Les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) le démontrent sous le regard passif des intervenants du système de santé. « Bien que méconnu, ignoré, bradé, boycotté, biopiraté, le patrimoine médicinal local, matière première essentielle aux thérapeutes locaux, soutient les élans de pluralisme et de butinage thérapeutique qu’il entretient. Cette œuvre commune questionne ainsi autant l’efficacité du régime de santé « officiel » confiné dans les cadres hospitaliers devenus à quelques égards inhospitaliers, que la « tradithérapie », sommée de relever le défi du saut qualitatif ». Le vocabulaire utilisé par les auteurs de cet ouvrage collectif mêle des concepts techniques et des formules simples, les notions clés sont expliqués, ce qui le rend clair. Ce chef d’œuvre s’adresse autant aux experts des questions de santé, de sciences sociales qu’aux décideurs politiques et au grand public. Il possède également une grande diversité de sujets (une douzaine). Il est complet et traite différents aspects des « nouvelles » thérapies au Cameroun ainsi que de leur évolution au cours du temps et de leurs limites. Enfin, il rend compte du point de vue des nouvelles générations et des minorités sociales à l’instar des pygmées et certaines ethnies du Nord-Cameroun, qui sont souvent des laissés pour compte. Cependant, la faiblesse des illustrations pour un ouvrage traitant d’une question aussi sensible constitue le ventre mou de cet ouvrage. Reste que sa valeur pédagogique et militante interpelle les consciences des Camerounais et des Africains résister à la « colonisation médicale », pour un véritable recours, à défaut d’un retour, aux sources en matière de santé. Surtout si l’on veut avancer sur le chemin de l’Émergence en gardant son identité et ses véritables repères ontologiques.

Pr Sariette Batibonak « Il est aussi question de ré-habiliter les médecins locaux »

Pour avoir vécu, étudié et exercé plus d’une dizaine d’années en Europe (France et Suisse), cette universitaire souligne que force a été de constater que ces gens-là, bien que ce soit leur système de santé, surprotègent pour parvenir à certaines « prouesses » médicales parfois brandies, sans signaler les revers en termes d’effets secondaires irréversibles.

Quels sont les faits d’actualité qui vous ont poussé à avoir l’idée de réaliser cet ouvrage collectif ?

De nos jours, il n’est plus à démontrer que les africains n’ont pas les moyens des politiques médicales occidentales. Des constats sont faits au sujet de l’insuffisance du plateau technique dans la quasi totalité des structures hospitalières. N’est-ce pas plus objectif de le reconnaître ? Voilà le leitmotiv de notre réflexion. Pour avoir vécu, étudié et exercé plus d’une dizaine d’années en Europe (France et Suisse), force a été de constater que ces gens-là, bien que ce soit leur système de santé, surprotègent pour parvenir à certaines « prouesses » médicales parfois brandies, sans signaler les revers en termes d’effets secondaires irréversibles. En effet, la médecine de l’Autre est sur-soutenue par des rouages. L’Afrique et le Cameroun en l’occurrence, n’ont pas les moyens de cette politique de santé de ces pays berceaux de firmes pharmaceutiques. Notre plaidoyer demeure : Il s’agit de prendre le courage pour financer officiellement notre système de santé. Il est aussi question de ré-habiliter les médecins locaux, d’encadrer ce qui est appelé à tors, « tradi-thérapie ». Et pour chaque camerounais, il importe de s’engager à soutenir la médecine de son pays en vue de l’Émergence.

Quels sont les critères qui gouvernent le choix des contributeurs ?

Les contributeurs ont été guidés par leur engagement scientifique, par leur profession, par leurs penchants vers la médecine locale. Telles sont les trois articulations qui sous-tendaient les réflexions des contributeurs à cet ouvrage. Il est ainsi nécessaire de signaler la possibilité d’un retour à la socio-médecine, d’une (re)prise en compte de la culture environnementale des acteurs, d’une (re)considération de l’ensemble du corpus patrimonial dans les soins de santé. Les auteurs ont ainsi questionné en l’occurrence un système hospitalier devenu inhospitalier. Loin d’être un jeu de mot, il n’est plus à démontrer les « sévices » vécus dans ces centres d’accueil parfois dépourvus d’hospitalité. La médecine camerounaise est à (re)prendre en considération. Les médecins camerounais méritent un traitement équitable. Étant donné que la vie et l’espérance de vie de tous gravitent autour des questions de santé, nous rappelons que tous sont concernés par cette problématique. Prenons le courage de repartir à zéro pour plus d’efficacité et d’efficience, nantie d’une nouvelle politique de santé publique.

Allez-vous, comme la majorité des intellectuels africains, vous limiter à la production de cet ouvrage ? Vue la sensibilité des questions soulevées tout comme la densité de votre plaidoyer, des actions sont-elles en vue afin que votre idée germe et inonde l’opinion publique nationale ?

Les questions soulevées ne sauraient être sensibles. Elles sont réelles et réalistes. Toute personne responsable est appelée à avoir ce courage. Et les Camerounais ont fait preuve de plus que de courage dans des situations des plus complexes. Le tournant médical camerounais ne serait qu’un des pas déjà franchis par ces vaillants patriotes. Ce tournant médical mérite d’être inscrit comme une des modalités non moins négligeables de l’Émergence tant attendue.

Nous ne nous limiterons pas à un ouvrage. Outre la cinquantaine d’articles rédigés dans diverses thématiques connexes, ce livre « Nouveaux » thérapeutes au Cameroun, est le 2e de la série d’une aventure que nous désirons être longue, débutée en octobre 2017 et se poursuivant à travers les ouvrages suivants, dirigés ou co-dirigés par l’un d’entre nous (Sariette et Paul Batibonak). Sans être exhaustif, quelques titres aideront à comprendre notre focale.

Discours anti-sorcellerie dans les pentecôtismes camerounais, Paris, L’Harmattan, Collection Émergences africaines, 2017, 234 pages ; Marché médiatique de la guérison divine au Cameroun, Ouvrage collectif, Paris, L’Harmattan, Collection Études africaines, Série Sociologie, 2017 ; Une diplomatie au service de l’émergence du Cameroun, Ouvrage collectif, Paris, L’Harmattan, Collection Études africaines, Série Politique, 2018, 348 pages ; Sciences sociales et santé en Afrique : Questions méthodologiques et épistémologiques, Ouvrage collectif, Douala, Éditions Cheikh Anta Diop, 2018, 322 pages ; Décentralisation et santé en Afrique : Enjeux et stratégies des acteurs, Éditions Cheikh Anta Diop, 2018, 252 pages ; Le développement autrement : Craquelures localisées du développement au Cameroun, Ouvrage collectif 2018, 320 pages (à paraître) ; Financement des organisations religieuses au Cameroun, Douala, Éditions Cheikh Anta Diop, 2018, 202 pages (à paraître).

De ces sept ouvrages susmentionnés trois traitent des questions de guérison et de santé. L’aventure continue pour une prise en charge de notre destin.

Contact des auteurs : savoir.dev777@gmail.com

Lire aussi dans la rubrique LIVRES

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo