Ecrans Noirs 2018 - Bassek ba Kobhio : « Une réelle volonté de reconquérir le public »
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CAMEROUN :: Ecrans Noirs 2018 - Bassek ba Kobhio : « Une réelle volonté de reconquérir le public » :: CAMEROON

Le festival Écrans Noirs est arrivé à sa 22e édition. Alors qu’il y a deux ans, le film camerounais était le grand perdant, cette année il glane nombre de récompenses. Est-ce à prétendre que le 7e art camerounais a connu une évolution ?  
Il y a deux ans, le film camerounais avait vu le jury dédié à sa compétition lui refuser toute récompense pour cause de qualité insuffisante. Nous l’avons, et moi en premier, tous mal vécu, mais j’ai été le premier à féliciter ce jury et son président, Jean-Claude Crépeau pour ce coup de semonce qui nous obligeait à nous réveiller. Alors nous avons retroussé nos manches. Déjà l’année dernière, j’avais produit « Life Point », réalisé par Achille Brice d’après un scénario de Kanya Nkwai, sélectionné au Fespaco de Ouagadougou, et quelques autres titres de bonne facture. Cette année, il y a eu vraiment une arrivée notable de très bons films comme « Rebel Pilgrim » qui a remporté l’Ecran du film camerounais et l’Ecran du Film de l’Afrique centrale. C’est un exemple de ce que la production camerounaise a connu comme bond qualitatif cette année. A côté, il y a « Tenacity », « A Good Time to Divorce », « A Man for The Week-end », pour ne citer que ces titres-là qui ont souligné la dynamique reprise de la production de qualité au Cameroun .

Cette édition a été marquée par la projection d’une série à l'ouverture du festival. Un choix parfois incompris. Pouvez-vous donner les raisons d’une telle décision ?
La série n’est plus ce qu’elle était il y a quelques années. Regardez les séries américaines et même européennes sur les chaînes de télévision, de grands acteurs  y figurent  désormais, et les moyens mis à la disposition des productions sont quasiment les mêmes que pour les films longs métrages. La tendance au niveau de l’Afrique s’est renforcée depuis ces cinq dernières années, et le public raffole de ce genre cinématographique, car c’en est un. Lorsqu’en plus la série fait appel à des grands noms du show business (Charlotte Dipanda, Fally Ipupa, Michel Majid), populaires déjà au niveau du public, l’occasion nous était donnée de montrer ce qui se fait de bon sur le continent à ce moment précis, ou au moins une tendance de ce qui pourrait se faire de bon. Et puis, élément non négligeable, après la cérémonie d’ouverture qui dure près de 90 minutes, il faut rechercher soit un film très léger genre comédie, soit un film très court. Un épisode d’une série de bon niveau nous permettait de résoudre le problème. Et vous avez vu, la salle qui se vide souvent après la cérémonie est restée pleine jusqu’à la fin de la projection.

Le marché du film de l'Afrique centrale s'est tenu une fois de plus cette année. Pensez-vous qu'il ait un réel impact sur le développement du cinéma de la sous-région ?
Le marché du film de l’Afrique centrale, s’il n’existait pas encore, il aurait fallu le créer. Les échanges sont certes encore limités, mais de plus en plus de cinéastes d’Afrique centrale esseulés dans leur coin avec leur production ou leur projet sur les bras viennent maintenant à Yaoundé, et des acheteurs et distributeurs accourent. Dans un délai maximum de cinq ans, le MIFAC sera incontournable, du moins nous l’espérons. Nous voulons que la BEAC, la CEMAC, la CEEAC nous appuient pour ce marché, ainsi que les différents départements en charge du cinéma dans les différents pays de l’Afrique centrale.

Peu de films projetés ont connu de  l’affluence.  Pour  d'autres, c'était le désert. Cette situation continue  de se répéter année après année. Les Écrans Noirs ont-ils une réelle politique pour reconquérir les cinéphiles ?
Nous avons une réelle volonté et une politique de reconquérir le public. Les résultats que nous enregistrons depuis quelques années sont encourageants, et nous ne nous arrêterons si je peux m’exprimer ainsi, que lorsque nous au- rons retrouvé le taux de fréquentation des premières années, lorsque la télévision  était  quasiment  naissante, lorsque les salles existaient encore, et que le public avait encore ce réflexe d’aller en salle. Mais cela prend du temps. Nous évoluons cependant dans le bon sens. Les spectateurs, même s’ils n’ont pas encore atteint le niveau que nous souhaitons, sont de plus en plus nombreux, et nous nous en félicitons. Il reste à leur donner à voir de bonnes productions pour les ramener dans les salles, et surtout d’en avoir, je veux parler de salles, qui programment nos films.

Qu’entendez-vous par là ?
Nous avons demandé à avoir un terrain central à Yaoundé, nos partenaires exigeant que ce soit un don de l’Etat qui témoigne de son intérêt pour le projet de construction d’un complexe cinématographique, afin de ranger leur aide au titre d’appui au développement. Nous n’avons rien eu encore. Canal Olympia arrive et on lui donne tout d’un coup. On le laisse construire deux salles sur le domaine public, ses films ne passent pas à la commission de visionnage de films dont le ministre des Arts et de la Culture m’a désigné membre. Ils ne paient presque pas d’impôts, ne sont pas assujettis au reversement de la taxe pour le soutien à la promotion cinématographique que la loi fixe à 20% du droit d’entrée. Ces salles projettent à des heures inimaginables les productions africaines (11h du matin) pour laisser trôner à 19h des films américains ou européens, en même temps qu’elles nous font louer la salle à 3 millions de FCFA. Nous donnions 1 million FCFA à l’Abbia pour toute la semaine, non pas comme tarif de location, mais l’Abbia comme le Wouri minoraient cette somme parce qu’il leur semblait être de leur devoir de soutenir le cinéma africain. Nous demandons donc à l’Etat d’obliger ces salles à respecter les lois camerounaises en matière de soutien au cinéma national, en attendant de favoriser la création de salles nationales.

Cette année a également vu la première édition du concours Miss Écrans Noirs. Une telle compétition n'est-elle pas une digression des véritables objectifs du festival ?
Le terme « Miss Ecrans Noirs » n’est pas approprié, et c’est ce qui pourrait créer la confusion. En fait, nous recherchons de jeunes filles et des jeunes garçons susceptibles d’attirer comme spectateurs ou téléspectateurs des jeunes comme eux. La jeunesse, c’est le public premier du cinéma. C’est une sorte de casting d’acteurs qui se fait entre des personnes que la nature a bien bâties. Vous avez vu la salle frémir quand Charlotte Dipanda est apparue à l’écran dans le film d’ouverture. C’est un peu ça la philosophie de base de ce concours dirigé de main de maîtresse par Valérie Ayena, avec le concours de quatre metteurs en scène et directeurs de casting du continent. Le gagnant n’est pas la plus belle des filles, mais celle qui combine le mieux la plastique à la possession d’un fort potentiel d’actrice. Nous sommes là en plein dans le cinéma. Alain Delon est un très bon comédien, mais en plus, sa plastique a attiré davantage de spectateurs vers ses films.  

Après  22  éditions,  et  en  tant qu'observateurs extérieurs, on a le sentiment que le festival Écrans Noirs s'essouffle au fil des années en termes, de programmation, de participation de cinéastes étrangers, d'affluence en salles, de promotion (absence d'affiches dans la ville), etc. Quelle analyse en faites-vous ?  
Les festivaliers sont de plus en plus nombreux, mais ils ne viennent plus que de Belgique ou de France, ils viennent de la Zambie, du Zimbabwe, de l’Ouganda, du Ghana, du Nigeria, de l’Ethiopie et j’en passe, et je vous assure nous ne nous en plaignons pas, au contraire.  C’est  là  la  raison  d’être d’Ecrans  Noirs.  Donner  à  voir  les images africaines au public du Cameroun  et  d’Afrique  centrale.  «  Des images par nous, vues par les nôtres » clame notre signature. La communication, elle, ne se fait plus de manière classique. Le nostalgique affichage dans la ville qui semble faire bien et qui coûte beaucoup d’argent, n’est plus aussi efficace que la communication digitale, surtout lorsque, comme cette année, vous bénéficiez du concours total de la CRTV que je tiens à remercier ici. Un écran comme celui d’Accent Media au rond point de la poste vaut 20 affiches dans la ville, et vous aurez constaté que, alors que l’ouverture et la clôture se sont déroulées un vendredi pour des raisons de certaines contraintes, la salle avait son public. La programmation offre un cinéma nouveau, neuf même, celui des pays anglo-saxons. Le festival connaît un réel regain d’intérêt pour les cinéastes et même les cinéphiles. Savez-que nous sommes passées de 13 invités étrangers environ en 2000 à 85 par édition ? L'information claire et nette. Si vous y ajoutez les sélectionnés et invités camerounais, vous arrivez à un chiffre de 147 cette année. Ce n’est pas parce que nous avons de l’argent à jeter par les fenêtres. C’est simplement que le festival est couru, qu’il grandit, qu’il se développe, qu’il connaît plusieurs manifestations au même moment et qu’on ne peut plus être partout,   pendant que la production s’accroît sur le continent, ce qui est une excellente chose.

Une  périodicité  annuelle  des Écrans Noirs n'est-elle pas devenue trop lourde ?
Un festival c’est un rendez-vous à dates régulières. Un an me semble une bonne périodicité, surtout si l’on prend en compte le nombre de films désormais produits en Afrique en douze mois. Le festival de Carthage longtemps organisé tous les deux ans est revenu à un an, au Fespaco on s’interroge et le cinquantenaire de ce festival dans quelques mois pourrait annoncer de grands changements dans la périodicité. Ce qui pourrait rendre lourd le festival c’est la question de recherche de financement. Le soutien des pouvoirs publics à la suite de la reconnaissance d’utilité publique par décret du président de la République de notre association, nous a permis depuis deux ans de mieux être pourvus de ce côté-là, même si les besoins sont énormes, et vous voyez bien que de plus en plus et de mieux en mieux, ce projet qui fut celui d’un homme est en passe de devenir celui de la communauté nationale. Reste que les sponsors privés choisissent souvent le plus facile : le football ou la musique. Une démarche comme celle de Royal Air Maroc qui fait le pari de la culture, comme durant dix ans nous avons bénéficié de celui du PMUC de André Giacomoni, est plus structurant et traduit vraiment une citoyenneté de l’entreprise, une citoyenneté marocaine au Cameroun.

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