Migrants, héros du monde globalisé ou « déchets humains » du village global ?
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Bravoure, courage, justice, sacrifice, engagement et don de soi pour un idéal font les contours de ce qui, historiquement et mythologiquement, évoque le héros. 

Cependant, malgré les qualités intrinsèques aux héros, la conjoncture historique est non seulement l’état du monde qui permet la possibilité d’un comportement héroïque, mais aussi, l’air du temps qui donne un statut aux actes posés et à ceux qui les posent. À titre d’exemple, Charles de Gaule ne pouvait devenir un héros en France sans l’opportunité historique que l’occupation de son pays par les nazis lui offrit de le devenir en permettant à ses qualités intrinsèques de s’exprimer. 

Cette interaction entre temps historique et qualités intrinsèques d’un homme se retrouve chez Winston Churchill en Angleterre pendant la deuxième Guerre Mondiale, chez Simon Bolivar dans les indépendances latino-américaines puis chez Um Nyobè, Patrice Lumumba, Olympio, Kwame Nkrumah et biens d’autres dans la conquête du droit de disposer d’elle-même par l’Afrique dès les années cinquante. L’occurrence du héros et de l’héroïque exige donc des hommes d’exception servis par des conjonctures historiques exceptionnelles comme cadre stimulant l’expression de leurs qualités exceptionnelles. 

Quelles figures prennent le héros et l’héroïque aujourd’hui ? Qu’elle conjoncture participe à leur émergence ? Le grand hiatus que vit le XXIème siècle est que le monde globalisé comme conjoncture ambiante donne naissance à un héros paradoxal en ce sens qu’il prend la figure du migrant, statut que la mondialisation était censé rendre moins héroïque via l’idée d’un marché global où les hommes et les choses circulent librement. Ce village planétaire supposé être celui où le migrant est comme un poisson dans l’eau, est devenu celui qui en fait un héros à plus d’un titre. La hausse des inégalités et de la pauvreté suite aux politiques néolibérales dans de nombreux pays du Sud, fait de ceux qui migrent vers l’Europe des héros au sens où ils réussissent à sortir de la gangue de la misère ambiante dans leurs pays. Prendre la décision de rallier l’Europe malgré les cas d’esclavages en Libye relève du courage. S’extirper des zones d’extrême violence relève de l’exploit. Emprunter dans des embarcations de fortunes malgré des milliers de morts dans la méditerranée est de l’ordre du sacrifice. Quand bien même certains migrants africains sont sans-papiers dans un pays européen, c’est très souvent un acte héroïque qui leur permet d’acquérir la nationalité. 

Les cas des Maliens Lassana Bathily ayant sauvé des Juifs dans l’hyper Cacher lors des attentats et de Mamoudou Kassama ayant sauvé la vie d’un enfant à Paris en 2018, sont des dons de soi pour un idéal. Mais pour quel idéal ? Comment se fait-il que devenir Français, Américains ou Allemand redevienne un idéal alors que le monde global devait faire de la circulation et donc du migrant lambda un homme ou une femme n’ayant pas besoin d’être Français, Américain ou Allemand pour s’en sortir ? Comment est-ce que la mondialisation arrive à cette contradiction de faire du migrant un héros alors que la politique sous-jacente de libre entrée et de libre sortie des hommes et des choses exclue théoriquement d’être un héros pour s’en sortir ? Comment, alors que le marché global est dit neutre et bon pour tous, être Français y est si différent qu’être Malien ? Alors que très souvent le héros se construit en opposition théorique et pratique avec la conjoncture historique qu’il traverse, le migrant comme héros du monde global est théoriquement en phase avec la mondialisation sur le plan de la circulation des choses et des hommes. De là le fait que son héroïsme est (co)construit par ses actes et une injustice réelle dans la distribution des possibilités de mobilités entre riches et pauvres puis entre pays riches et pays pauvres. Notre temps est celui d’un village global où un bateau de 629 migrants erre en haute mer pendant des semaines dans un monde où la mobilité devrait être une force et non une faiblesse. 

Du coup, ceux qui sauvent les migrants à la dérive et ceux qui les accueillent deviennent aussi des héros. Ne sommes-nous pas dans un siècle en panne de politique, c’est-à-dire d’un projet de vie où des hommes et des femmes n’ont plus besoin d’être des héros ou d’actes héroïques pour avoir droit à une vie digne ? Chercher à vivre décemment ne devient-il pas un acte héroïque une fois que la mondialisation excelle dans la production massive de la pauvreté, des inégalités et des violences ?

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