Déclarations de l'ambassadeur américain : stupeur, fureur, tumulte et puis la réalité
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Les récentes déclarations de l’Ambassadeur américain à Yaoundé, la stupeur, la fureur et le tumulte qu’elles suscitent, les multiples réponses des voix plus ou moins autorisées couplées aux agitations rhétoriques laissent perplexes non seulement parce que c’est symptomatique de l’extraversion des espoirs, de l’externalité de la psyché de toute une élite politique mais aussi des incohérences de la gouvernance camerounaise. Quand un diplomate s’exprime sur la politique intérieure d’un pays, qui est habilité à lui répondre ? Bien entendu c’est le Ministre des Relations Extérieures qui l’a a juste titre convoqué comme le veut les usages diplomatiques et un communiqué bien à propos a été produit. Au lieu que ce communiqué fasse autorité et soit repris au niveau de ceux qui gouvernent, on assiste à une espèce de concours Lépine de la riposte avec son corollaire la pollution des messages. Comme sous l’ère Sarkozy en France, le Journal national ouvre ses colonnes au Conseiller du Président ajoutant la cacophonie ambiante, digne de la cour du roi Petaud.

Cependant passés la stupeur, la fureur et le tumulte, ce vacarme permet de jeter un regard sur comment notre pays à l’international présente sa gouvernance et explique cette crise étant donné le fait qu’une grande partie de ses images se joue au dehors dans un contexte où les opinions publiques et les diasporas sont actives. C’est dire combien le propos du plénipotentiaire Américain fait écho à l’internationalisation médiatique et diplomatique de cette crise de citoyenneté, prégnante chez les uns (les acteurs anglophones) plus que les autres (les autorités camerounaises). Quelle que soit cette réalité et au vu des interpellations énoncées et reçues ici et là, les autorités camerounaises, dans leurs subtilités florentines ou dans leur ruse, ne peuvent plus faire l’économie des explications de cette situation aux partenaires de la coopération, car son retentissement est évident et les désordres afférents et leurs bruits actuels et ultérieurs ne manqueront pas de robotiser la ligne Cameroun.

D’emblée, il appert que la grammaire de la gestion internationale par les autorités camerounaises de la situation au NoSo qu’on dirait normale pour un pays qui a dépassé sa cinquantième année d’indépendance et qui a eu une évolution politique riche à toutes les étapes de son histoire si particulière donne à voir une incapacité notoire à l’expliquer au-delà des discours simplistes. Pour certains, excipant d’un souverainisme cocardier, c’est une crise locale qui trouvera des solutions locales sur la base des reformes de gouvernance et de la forme de l’Etat. Pour d’autres aux vieux réflexes unilatéraux, même si les répercussions de cette crise vont-au-delà de nos frontières, tout finira par s’arranger si le Président Biya prend les mesures fortes qu’il faut.

En somme, le Cameroun est, reste et demeure cet isolat imperméable aux réfractions des interrogations internationales sur son devenir. Cette perplexité est d’autant plus surprenante que tout au long de son histoire, les gouvernants camerounais ont toujours su faire face à l’expérience des vicissitudes. Ce qui faisait leur force : la capacité à réagir et à expliquer au bon moment et au bon endroit fait aujourd’hui défaut. Il y a donc manifestement une difficulté à faire face à la scénarisation de cette crise à l’international par toutes sortes d’acteurs ou d’entrepreneurs politiques. Cette scénarisation finit par avoir un impact sur toutes ses dynamiques de politiques intérieure et extérieure. D’où le fait  que cette crise ne peut donc plus être un huis clos Cameroun-camerounais.

Comme toutes les crises de notre temps et avec la démocratisation de l’information, elle a un retentissement international qu’on ne peut plus jeter à l’encan. Dans toutes les parties du monde où se rend désormais un Camerounais, il ne peut échapper à la question suivante : «que se passe-t-il chez vous au Cameroun ?». Certains évoquent même la difficulté à être une minorité au Cameroun quand d’autres ne parlent tout simplement pas d’un pays où l’embastillement est devenu monnaie courante quand on exprime ses opinions. Même si ces jugements rapides sont loin de refléter une réalité massive et sont le plus souvent d’un simplisme évident, elles montrent à tout le moins le succès croissant de l’internationalisation par les leaders anglophones de la crise dont beaucoup sont passés maitres dans l’art des prophéties auto-réalisatrices et de la désinformation. Hors du pays et dans certains milieux internationaux où des plans de contingence sont prêts, tout se passe comme si on s’y attendait, comme si on attendait que le Cameroun commence à manger son pain noir comme dans d’autres pays en sa région.

Par ailleurs, après l’échec l’année dernière de la tournée mal préparée à l’évidence d’explication de certains ministres dans plusieurs capitales, on a le sentiment d’anesthésie, de paralysie et de l’inaudibilité du messaging des gouvernants camerounais, incapable de se déployer à travers son outil diplomatique pour expliquer tous azimuts les tenants et les aboutissants de cette situation.et même de se trouver des alliés. Peutêtre qu’il y a derrière tout ceci une stratégie de «négligence bénigne» et d’assurance surfaite, mais on ne peut cependant ne pas légitimement se poser la question de savoir si les diplomates camerounais en poste à Londres, Paris, New York, Pékin, Washington, Pretoria, Bruxelles, Addis-Abeba pour ne citer que ces pays ont des éléments de langage approprié, ce que la littérature diplomatique anglo-saxonne appelle les « talking points » pour expliquer ce qui se passe ? Savent-ils seulement ce qui se passe ? Le Ministre des Relations Extérieures et la cellule diplomatique de la Présidence ont-ils élaboré un dossier à usage international comme l’indiquent les bonnes pratiques en matière de diplomatie ? Gouverner c’est prévoir ! Dans quelle mesure la diplomatie camerounaise concourt-il à cette sagesse des Nations ? Comment se fait-il que n’importe quel groupuscule ou individu qui veut ternir ou nuire à l’image internationale de notre pays ne trouve en face de lui aucun répondant significatif sinon que les déclarations des Ministres et des Conseillers spéciaux qui dépassent rarement le cadre de nos frontières ?

Au final, la réalité est que dans l’explication de cette crise à l’international, il y a un hiatus entre la complexification de la question camerounaise et l’incapacité à ajuster la vérité et les réalités du terrain pour la compréhension des acteurs extérieurs à l’heure de la mondialisation. Pourtant ce n’est pas des compétences qui manquent. La boite noire de la gestion du pouvoir est composée des diplomates Ministres Plénipotentiaires de Classe Exceptionnelle : Ferdinand Ngoh Ngoh, Ministre Secrétaire Général de la Présidence, Mvondo Ayolo, Ministre Directeur du cabinet Civil de la Présidence de la République, René Sadi, Ministre chargé de Mission à la Présidence, Mbella Lejeune, Ministre des Relations Extérieures. Plus de 90% des postes diplomatiques sont entre les mains des diplomates chevronnés comme Tommo Monthé à New York. Le tableau est encore plus évocateur quand l’on constate que le Premier Ministre de la République Philémon Yang a été Ambassadeur pendant plus de 20 ans à Ottawa au Canada et que le Délégué Général à la Sureté Nationale, Mbarga Nguele l’a été à Brasilia, au Brésil et à Madrid, en Espagne pendant la même durée. L’ironie de l’histoire est que ces deux pays vivent ou ont vécu des dynamiques centripètes semblables à celles du Cameroun actuel ! Alors, pourquoi cette incapacité à expliquer cette crise à l’international ?

Pourquoi la riposte explicative est-elle désordonnée et faite beaucoup plus de bruits qu’autre chose ? La réponse se trouve dans deux problèmes au coeur de la gouvernance camerounaise : l’absence de stratégie coordonnée de réponses et de riposte qui laisse la porte ouverte à un entourage présidentiel de zélateurs et des sycophantes dont le seul objectif est de durer et plaire. Deuxièmement, l’indiscipline qui donne une propension à laisser cet entourage s’exprimer au détriment de l’outil principal et des instruments qui existent pour le faire. En somme tout le monde autour du Prince se pique de répondre à un Ambassadeur alors même que c’est du ressort de la diplomatie. Dans un pays où tout gouvernant fut il Ministre où Conseiller s’investit d’un devoir personnel de répondre à tout et à tous, il y a problème. Dans un tel contexte de bruits, d’indiscipline et de désordres, l’on comprend pourquoi les turbulences en région anglophone, leurs réfractions à l’international, leur logique d’influence et d’agression des lieux des pouvoirs internationaux qui sont autant des arts de faire la politique aujourd’hui ont peu de répondants politiques structurés en en face. C’est la raison pour laquelle une remise en ordre politique et une riposte coordonnée sont nécessaires. Une première remise en ordre et pas la seule heureusement est d’équiper les diplomates camerounais à faire leur travail opportun d’influence, d’interprétation, «de manoeuvres obliques».

Il est donc temps d’investir de nouveau dans la diplomatie. Hormis la négociation, les diplomates camerounais doivent absolument être outillés pour informer et représenter qui sont deux de leurs missions principales. Car il est important d’en finir avec cette propension à penser que le rôle des diplomates camerounais hors du 237 était inutile pour expliquer le Cameroun, à penser que dans la gestion internationale des crises camerounaises, les diplomates à l’extérieur n’ont aucun rôle à jouer. Il faut en finir avec cette inclination à leur donner comme seuls outils de travail la version en ligne de Cameron Tribune, le site internet de la Présidence de la République ou les communiqués ou les réactions unilatérales des élites de la Boite noire comme réponse et riposte aux interrogations de nos partenaires à l’extérieur. Comme on le sait, la gestion internationale des images de crises par la diplomatie est plus que jamais un art structuré de construction et de défense des intérêts de la Nation par des positions de longue durée et des postures bien pensées qui laissent peu de place à l’improvisation. Face à l’onde de choc de la crise anglophone, la diplomatie camerounaise son action politique à l’international ne peuvent plus être banale c’est-à-dire business as usual ni réduite en un substrat sans consistance. Elle doit être guidée par une volonté de lui faire épouser les logiques propres aux changements internationaux nouveaux et ne pas se laisser complaire dans une forme « d’oisiveté misérable ».

Elle doit met en son coeur une stratégie de diplomatie publique qui tienne compte de l’espace public international, de cette communauté cosmopolitique internationale sensible au sort et à la protection des populations. . Elle doit avoir des tendances lourdes, une structuration qui puisse aider ou permettre à tout diplomate camerounais de dire, de faire, d’expliquer la réalité de nos crises qui, le plus souvent, met en exergue une société souffrante, en mal d’intégration et prompte à s’identifier aux protestations porteuses de violence. Au final, à l’instar de beaucoup de situations locales dans le monde d’aujourd’hui, l’irruption spectaculaire de la crise anglophone dans le jeu diplomatique urbi et orbi réclame l’urgence de rectifier les approches et stratégies diplomatiques de notre pays. C’est désormais d’une révision des perspectives qu’il s’agit pour tenir compte de la «déterritorialisation» des questions politiques nationales que montre la disparition progressive des démarcations entre affaires étrangères et affaires intérieures. Elle met en spectacle le besoin d’éclairer nos actualités chaotiques par la hardiesse des explications et l’ingéniosité du détail dans un contexte où les interférences extérieures fussent- elles celles d’un diplomate américain ne sont plus proscrites ou vues d’un mauvais oeil.

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