Le dossier Camerounais de Vincent Bolloré : Les feuilles noires
CAMEROUN :: POINT DE VUE

Le Dossier Camerounais De Vincent Bolloré : Les Feuilles Noires :: Cameroon

Nous n’allons pas mettre dans le même sac tous les acteurs du capital transnational comme le fait très souvent<< l’alter-mondialisme>> facile. On peut illustrer l’univers du capital étranger dans les pays en développement en opérant une classification qui établit un distinguo certes sommaire entre l’investisseur au sens <<schumpeterien>> du terme, créateur de valeur et l’ aventurier essentiellement épris par la recherche d’opportunités à forte rentabilité mais très indifférent aux bénéfices que les populations des pays pauvres peuvent tirer de sa présence sur leur territoire. Ce dernier se comportant souvent comme un opportuniste forcené, peut se révéler nuisible à l’émancipation économique du pays et au bien-être général. En clair nous avons là deux profils d’investisseurs : Le premier va créer de nouvelles activités. Par cette démarche il contribue à développer le marché de l’emploi. Là où il a racheté des entreprises mal gérées, il va moderniser leur gestion et les rendra beaucoup plus performantes. Le second se distingue davantage dans le rachat d’entreprises que dans la création de nouvelles. La gestion des entreprises qu’il a rachetées est souvent chaotique, émaillée d’entorses. Le besoin de gagner beaucoup d’argent en très peu de temps l’amène à sacrifier le bien-être au travail et rend difficile la mobilisation des outils de management moderne. Bolloré donne souvent l’impression un peu partout en Afrique et beaucoup plus au Cameroun qu’ailleurs d’appartenir à cette seconde Catégorie. Les lanceurs d’alerte qui interpellent les gouvernements africains sur les compromissions de l’industriel français ne reçoivent en retour qu’indifférence et dédain. Il est courant qu’ils soient caricaturés comme des illuminés.

Le champ des activités camerounaises de Vincent Bolloré décontenance par son étendu et son poids économique. On se demande comment un capitaliste dont le parcours est aussi émaillé d’incidents peut avoir autant d’influence dans un pays. Il intervient comme opérateurs de terminal à conteneurs et de ports secs, il est actif dans le transit terrestre. On le retrouve en outre dans la navigation ferroviaire, la logistique et service sur mesure pour des secteurs industriels spécifiques. Concessionnaire de la société de chemin de fer Camrail depuis 1999 (jusqu’en 2034), il a obtenu la concession du terminal à conteneurs du port de

Douala en 2005 (jusqu’en 2020).Il s’est taillé la part du lion au port de Kribi. Ses diverses agences, regroupées sous la marque corporate Bolloré Africa Logistics depuis septembre 2008, sont présentes dans la capitale économique, Douala, dans la capitale politique, Yaoundé et dans le nord du pays, à Garoua. le groupe gère toujours un parc à bois, grâce à sa Société d’Exploitation des Parcs à Bois du Cameroun (SEPBC). Il contrôle par ailleurs d’immenses plantations, soit directement, via Safacam qui exploite 8 400 hectares de palmiers à huile et d’hévéas, soit indirectement, via la société belge Socfinal qui gère 31 000 hectares de palmiers à huile dans le pays.

Si le groupe Bolloré a pu étendre sa mainmise dans des secteurs aussi diversifiés, c’est en usant d’un pouvoir d’influence disproportionné pour fausser les bases de la compétition équitable. Il s’en est servi dans l’opération de rachat de la régie nationale des chemins de fer du Cameroun. Parmi les candidats à la prise en concession de cette société figurait la société française SAGA filiale du groupe Bolloré et la société Sud-Africaine COMAZAR . Alors que cette dernière estimait avoir fait une meilleure offre technique et financière la société SAGA fut déclarée adjudicataire de la RNCF. Et devant la réaction de la société Sud Africaine se plaignant des conditions d’attribution de la concession une solution de compromis fut trouvée au terme de laquelle SAGA fut déclaré adjudicataire provisoire et COMAZAR opérateur ferroviaire par les autorités camerounaises. C’est de cet arrangement qu’est né la société CAMRAIL.

Bolloré ne triomphe jamais par la solidité de son dossier. D’une affaire à une autre ses concurrents vont se plaindre d’irrégularités, de favoritismes, de contournements, de combinaisons douteuses…Ce fut le cas nous l’avons relevé dans le rachat de la régie nationale des chemins de fer, ce fut le cas dans l’acquisition du port de Kribi. Le consortium franco-chinois Bolloré/CMA-CGM/CHEC (BCC), attributaire en août 2015 du contrat de concession du terminal à containers du Port de Kribi, n’aurait pas été retenu initialement lors de l’étude des offres, selon une investigation menée au Cameroun par les journalistes de France 2. Dans le document publié par la télévision française, les journalistes de France 2 font parler à visage caché un responsable administratif camerounais qui assure avoir été à l’étude des dossiers d’appels d’offres des sociétés intéressées par la gestion du terminal à containers du nouveau port de Kribi, dans le sud du Cameroun. L’homme affirme :<< Il n’était même pas classé (.) son offre était devenue économiquement peu viable>>

Le choix avait été porté ici sur le philippin ICTSI, et son associé Amp terminals, une structure de l’armateur danois A.P. Moller-Maersk. Des «réserves» avaient été émises sur l’offre du consortium Bolloré-Cma-Cgm-Chec. Seulement, le 03 juillet 2015, le président français, François Hollande, se rendra au Cameroun en visite d’Etat. Moins de deux mois après la visite de François Hollande, le consortium BCC porté par Bolloré se verra finalement attribuée le contrat de concession du terminal à containers de Kribi.

Il n’existe pas un seul domaine de l’économie Camerounaise où Bolloré s’est implanté dans le respect des règles. Le port de Douala n’a pas échappé à sa propension aux passe-droits et

au contournement des lois. « l’article 4 créant le port autonome de Douala énonce les dispositions éligibles à la privatisation : le dragage n’en fait pas partie. » Or Bolloré a pu accéder à l’activité de dragage des pieds de quais.

Si les stratégies de conquête des marchés auxquelles recourt Bolloré nuisent davantage à l’éthique, ses choix économiques sont plutôt dévastateurs pour le mobilier national et contribuent à désorganiser les secteurs économiques où il intervient. Il va démanteler le volet social des entreprises qu’il rachète et n’hésitera pas à faire flamber les prix. la mise en concession des chemins de fer a eu pour conséquence l’augmentation des tarifs pour le transport voyageurs et la fermeture des lignes « non rentables » :

Offrant de bien meilleurs retours sur investissement, c’est surtout le « réseau utile », c’est-à-dire le transport des marchandises, qui a profité en priorité de la mise en concession. Sa démarche en matière RH est tout simplement angoissante et symptomatique du capitalisme voyou. En moins de deux décennies de concession plus d’un tiers des trois mille six cents salariés de la Camrail ont été licenciés. En conséquence, ces deux décennies ne furent pas de tout repos pour les leaders syndicaux de Camrail qui durent subir des infiltrations patronales, des mutations forcées, des licenciements punitifs et même, pour certains, des mois d’emprisonnement. Dans la plus grande plantation de palmiers à huile du Cameroun, à Kienké, on a assisté même, selon une correspondante au Cameroun du journal français Libération, à « un Germinal sous les tropiques ». Des milliers d’ouvriers y travaillent, six jours par semaines, sans couverture sociale et sans même de gants, pour 22 francs CFA par régime de 15 kg récolté.

Bolloré est train de défigurer l’économie camerounaise. Les plantations d’huile de palme qu’il avait rachetées servent davantage à la production des hydrocarbures mettant en danger la souveraineté alimentaire des populations. Au motif qu’il veut moderniser les chemins de fer, ce qui est loin d’être le cas, il a fermé plusieurs gares dont la seule existence dynamisait la vie sociales dans plusieurs localités.

Des fautes de management héritées du capitalisme sauvage ont mis à mal les normes de qualité si précieuses dans beaucoup d’autres univers où Bolloré serait très prudent. La responsabilité du groupe Bolloré a été clairement établi dans le drame d’Eséka . D’après les conclusions de la commission d'enquête sur la catastrophe d'Eseka la Camrail, filiale à 75% du Groupe Bolloré, est jugée principale responsable du déraillement qui fit 79 morts et 600 blessés..

On peut lire dans le rapport d’enquête rédigé par un groupe d’experts internationaux :

<< Au terme de ces investigations, la commission d’enquête a établi les responsabilités à titre principal du transporteur, la société Camrail dans le train Intercity n° 152. Le rapport d’enquête a conclu que la cause principale du renversement du dit train est une vitesse excessive de 96 Km à l’heure dans une portion de voie où la vitesse est fortement limitée à 40 km/h… En effet, poursuit ce document, le train n° 152 mis en circulation ce jour-là

présentait de graves anomalies et défaillances, notamment : "surcharges du convoi, rallonge inappropriée de la rame, utilisation de voitures voyageurs dont plusieurs présentaient des organes de freinage défaillants, l’utilisation d’une motrice dont le freinage était hors de service, absence de vérification sérieuse de la continuité du freinage de la rame avant son départ de Yaoundé, refus de prise en considération, par la hiérarchie de Camrail, des réserves émises par le conducteur du train, du fait des anomalies suscitées>>

Ce qui s’est passé à Eseka n’est pas seulement le résultat d’une série de maladresses commises un jour. C’est le résultat d’un choix économique caractérisé par le besoin de gagner beaucoup d’argent très vite en investissant très peu. Depuis la privatisation des chemins de fer camerounais et la concession octroyée au groupe Bolloré en 1999, ce dernier est suspecté de n’avoir pour préoccupation que le profit et de négliger les engagements pris, notamment sur la maintenance et l’entretien des infrastructures.

Tout ceci s’est produit dans un contexte idéologique préoccupant. Le dogme de la privatisation de Margaret Thatcher, appliqué sur les rails britanniques par John Major avec l’adoption du Railways Act le 5 novembre 1993, instituait le démantèlement de la British Railways. Ce courant libéral a inspiré les politiques publiques en matière de transport ferroviaire au Cameroun. La durée du bail consenti à Bolloré (35 ans), son statut d’opérateur du terminal du port (bail de 20 ans révisable en 2020) et ses participations croisées ou majoritaires dans d’autres secteurs comme l’agro-industrie ne lui donnent-ils pas une position disproportionnée ? Certainement.

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