CAMEROUN : REVOLUTION GRISE ET GOUVERNANCE TRANSPARTISANE
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN : REVOLUTION GRISE ET GOUVERNANCE TRANSPARTISANE :: CAMEROON

Avant les partis, le Cameroun avait des populations aux aspirations connues, légitimes et motivantes. Quand les partis seront partis, il restera au Cameroun des populations aux aspirations connues, légitimes et motivantes. Il est donc aléatoire de conditionner le destin des populations du Cameroun et la satisfaction de leurs aspirations légitimes à l’existence des partis politiques.

C’est dire que si les partis politiques véhiculent nos aspirations, ils n’en constituent nullement le contenu ou la matière : un robinet canaliser l’eau potable, il n’est pas cette eau, comme l’atteste au quotidien l’expérience de nos robinets secs. Il n’y aurait donc aucune intelligence à prendre un contenant pour le contenu.

Le fonctionnement du multipartisme administratif instauré depuis bientôt trois décennies révèle que la plupart des partis champignons, satellites ou lucioles, quittent progressivement la scène : les uns pour être mort-nés, les autres pour n’être que des faire-valoir, des échoppes d’opportunistes entretenus par une organisation administrative dont ils recevaient quelque pitance.

Il devient donc utile de faire la part entre les partis politiciens et les partis politiques : les premiers se sont affirmés comme des épiceries saisonnières, généralement unipersonnelles, dont les gérants sont des propriétaires connus. Les seconds se veulent des institutions structurées ; leurs organigrammes, leurs programmes, leurs discours et certaines de leurs actions disent l’ambition qu’ils nourrissent de gouverner la Cité Cameroun. Si les partis politiciens et les partis politiques se retrouvent sur la scène politique nationale, ils s’y croisent sans véritablement s’y rencontrer.

De plus en plus, imperceptiblement mais inexorablement, cette scène se décante. A l’approche des échéances électorales, l’on aperçoit encore quelques lucioles partisanes quand tombe la nuit. La lueur qu’elles produisent est cependant si vacillante et si fugace qu’elle ne dure que le temps d’une saison, et donc d’une campagne, le temps pour les rabatteurs qui les animent de glaner quelques subsides, en veillant à disparaître avant le lever du jour. Car rien n’effraie autant les ténèbres que la lumière.

’’Ainsi font, font, font

Les petites marionnettes

Ainsi font, font, font

Trois p’tits tours et puis s’en vont’’.

Quand donc ces partis politiciens et ces partis politiques seront finalement partis, il sera resté le Cameroun avec ses populations - dont l’union est prônée depuis bientôt soixante dix ans par un parti, contre brimades administratives et déportations, en dépit des exécutions extrajudiciaires et de assassinats politiques.

C’est dire que l’année 2018 sonne le glas des partis, que ces derniers soient des partis politiciens ou des partis politiques. La plupart persistent et s’obstinent à multiplier à grands frais des cérémonies festives de rassemblement. Il s’observe cependant comme une vague de lassitude dans les rangs, et comme un air de déjà entendu. Dans certains partis, les derniers points encore attractifs de ces rituels de routine restent la débauche gastronomique et les beuveries de clôture.

C’est dans cette atmosphère d’ébriété organisée et entretenue que les Camerounais ont appris à leurs dépens que ’’Quand Yaoundé respire, le Cameroun vit’’. Véritable coup de massue, l’ultra centralisme d’Etat venait de leur être asséné. Sa proclamation solennelle s’aggrava de ce que nous voudrions nommer la ’’capitalisation’’ du pouvoir : Yaoundé ’’la capitale’’ était proclamée seul et unique pôle du pouvoir d’Etat, l’Alpha et l’Oméga des décisions pour les dix (alors) provinces du Cameroun. Dans un pays pluriel où précisément l’Un ne s’était jamais conçu, défini et imaginé que par le Multiple, l’on venait de confondre la rigueur avec la raideur, l’unité avec l’unicité. Le jacobinisme administratif pétrifiait dans un monolithisme de granit une indivisibilité éthique et non physique dont le titre de gloire relevait pourtant de la prise en compte morale et de la valorisation sociale de la diversité.

Faute de l’avoir intégré, l’Etat du Cameroun s’était trompé de guerre, ses Chefs s’étant, une fois de plus, trompés d’ennemis. Pour être plus juste, il conviendrait de préciser que les chefs en question ont, chaque fois, docilement entrepris de traquer l’ennemi que leur Maître leur avait désigné, de la même manière qu’un faucon fonce sur la proie à la liquidation duquel il a été dressé par le fauconnier. Hier comme aujourd’hui, ces défaillances persistantes coûtent cher au Cameroun en vies humaines. C’est à elles que nous avons dû hier une guerre fratricide contre les patriotes indépendantistes, l’Etat du Cameroun ayant été armé pour que des Camerounais exterminent ceux des Camerounais qui, pourtant, luttaient pour l’indépendance du Cameroun ! C’est à cette même logique des défaillances, appelons-la ainsi - que nous devons aujourd’hui une déchirure fratricide porteuse d’une grave menace de conflagration nationale, l’Etat du Cameroun ayant retourné des fusils camerounais contre des Camerounais dont le principal crime est d’avoir, plus ou moins maladroitement, osé demander que le sort qui leur était jusque-là réservé soit institutionnellement ou constitutionnellement reconsidéré.

Des Camerounais (se) tuent ainsi au nom de la forme de l’Etat quand tous méritent plutôt de vivre pour dialoguer sur la nature de la nation. Nous y aurons gagné trente six ans de pouvoir personnel pour un héritage de fragmentation nationale fratricide! Le bilan est d’un rouge trop éclatant pour ne pas être remarqué. Si donc le glas des partis sonne, c’est en dépassement sinon en total abandon de cet exclusivisme d’Etat, évangile suranné hérité du césarisme hexagonal. Car c’est parce qu’on a tenu à embastiller des initiatives et des énergies sociopolitiques que tout candidat doit passer par les fourches caudines d’un parti. Et la culture du parti unique et du monolithisme partisan est si ancrée dans les mentalités qu’au plus fort du multipartisme, des communiqués officiels et publics invitent encore les populations du Cameroun à des réunions politiques dans ’’la maison DU parti’’, question de dire qu’en réalité personne ne croit à la pluralité qu’implique le multipartisme :

Or voici qu’imperceptiblement bourgeonnent de nouvelles postures citoyennes inspirées de dynamiques nouvelles qui, sans besoin d’être ni trompeusement manœuvrières ni hypocritement politiciennes, se veulent rigoureusement politiques du fait qu’elles se préoccupent explicitement et rationnellement des aspirations quantifiables des populations localisables de la Cité Cameroun.

Cette éclosion est nouvelle. Et elle n’est pas banale : elle renouvelle en ce qu’elle renoue avec les idéaux martyrisés de l’Upécisme primordial.

Si cette observation était avérée, alors les Camerounais devront se résoudre à une évidence : le Cameroun est en passe d’opérer une mutation politique non violente. Sans prétendre s’inscrire dans un pacifisme naïf dont le césarisme néocolonial ne se privera sans doute pas de la frustrer, cette mutation patriotique se conçoit et s’exécute loin de ces vifs déchaînements de foules dont l’objet est de bousculer les icones, de saccager les acquis et de faire couper, tomber et rouler des têtes dans des ruisseaux de sang.

Ce qui s’opère discrètement au Cameroun pourrait valablement se nommer révolution grise, péridurale sociopolitique du fait que les intelligences de tous les horizons culturels et professionnels se concertent, laissent le réflexe des armes à ceux qui en raffolent pour plutôt valoriser la matière grise au nom de l’intelligence politique de l’avenir. Cette révolution grise entend ménager la vie en sauvegardant le maximum de vies : il s’agit de l’implémentation de cette loi physique selon laquelle un corps donné roule sur lui-même pour revenir à son point de départ. Et comme chacun l’aura appris de Charles Péguy : ’’une révolution n’est pas une opération par laquelle on se contredit. C’est une opération par laquelle on se renouvelle’’.

Le moins qu’on puisse cependant constater, c’est que le renouvellement de la nation n’a été ni le projet, ni la préoccupation du « Renouveau national ». S’il en avait été autrement, chacun aurait constaté tant le rajeunissement du personnel de l’Etat que celui des idées et des méthodes managériales. Mais non seulement le pays déplore une gérontocratisation agressive et obstinée de la nation, Géronte se satisfait de conjuguer l’avenir du Cameroun au futur de l’indicatif, au point d’accrocher ledit avenir à un ’’horizon’’. Personne ne s’en serait aussi gravement inquiété si l’on n’appelait horizon cette ligne imaginaire qui recule au fur et à mesure qu’on l’approche, et qui déchoit en simple slogan toute promesse qui s’en réclame. La leçon aura été pénible ; mais nos trente six dernières années de slogans nous auront néanmoins rappelé que les verbes d’avenir ne se conjuguent pas au futur : le temps de l’avenir n’est donc pas le futur mais le présent de l’indicatif, puisque c’est toujours au présent que l’avenir se prépare.

D’où une double urgence d’objectif et de méthode : refonder une nation désarticulée par une concertation inclusive.

1- Refonder une nation désarticulée, disloquée et fragmentée répond à l’exigence d’union que les pouvoirs d’hier et ceux d’aujourd’hui combattent souterrainement de tout leur génie. Nous appellerons Syndrome d’Osiris la vocation du Cameroun à retrouver son union originelle. Le Dieu Osiris de la mythologie africaine d’Egypte fut assassiné par Seth, son propre frère. Il fut disséqué et ses divers morceaux dispersés dans les eaux du Nil. L’assassinat fratricide d’Osiris se transpose symboliquement au Cameroun dont la désarticulation territoriale, commise dans l’histoire avec la complicité de certains de ses propres enfants, expose d’autres enfants du Cameroun aux incompréhensions et aux intolérances, à la dispersion et à la reproduction de conflits fratricides. La Déesse Isis rechercha, retrouva et recolla les morceaux d’Osiris, (son frère et son époux) - pour lui redonner vie. De manière analogique et à l’image d’Isis, tout Camerounais a vocation d’œuvrer activement, quel qu’il soit, quoiqu’il fasse et d’où qu’il vienne, pour que le Cameroun désarticulé retrouve sa pleine entièreté, dans une union qui dise sa diversité, sa

pluralité et sa multiculturalité. Le syndrome d’Osiris a l’esprit de concertation pour le levain.

2- La concertation fédérative est la méthode la plus pertinente pour atteindre cet objectif. Point n’est besoin de s’enliser dans des analyses scientifiques pointues. Qu’il nous suffise de reconnaître que penser son action permet d’agir plus efficacement sur le terrain. Empruntant au psychosociologue Kurt Lewin, nous dirons donc que ’’le tout n’est pas la somme de ses parties.’’ Cela signifie que l’union d’une pluralité ne se satisfait pas de la juxtaposition de ses composantes. Mettre côte à côte les éléments constitutifs d’une diversité, ce n’est pas les unir : il y aura proximité ; il peut même y avoir contigüité ; mais il n’y aura pas d’union faute de continuité. L’union suppose des ponts entre les hommes comme sur le Mungo. Le Cameroun ne peut donc plus demeurer ce que d’aucuns auront bien voulu qu’il demeurât : une fragile juxtaposition d’entités culturelles hétéroclites qu’ils puissent (prétendument) rassembler, en vérité (souterrainement) opposer, mais toujours en fonction de leurs intérêts et de leurs besoins à eux, le projet n’ayant jamais été de les unir jamais.

Il s’agit de se convaincre qu’une somme de morceaux ne fait pas un tout, mais que c’est tout de même à partir d’une somme, quelque hétéroclite soit-elle, que peut se créer une entité nouvelle, si intégrée et si homogène que nul ne puisse plus en distinguer les composantes. Telle est l’alchimie sociopolitique de l’idéal d’union dont l’upécisme résume la vocation au regard des populations du Cameroun.

’’En vertu de ce principe, la société n’est pas une simple somme d’individus, mais le système formé par leur association représente une réalité spécifique qui a ses caractères propres. Sans doute, il ne peut rien se produire de collectif si des consciences particulières ne sont pas données ; mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Il faut encore que ces consciences soient associées, combinées, et combinées d’une certaine manière ; c’est de cette combinaison que résulte la vie sociale et, par suite, c’est cette combinaison qui l’explique. En s’agrégeant, en se pénétrant, en se fusionnant, les âmes individuelles donnent naissance à un être, psychique si l’on veut, mais qui constitue une individualité psychique d’un genre nouveau’’.

Emile Durkheim ne pensait pas au Cameroun de 2018 quand il rédigeait Les Règles de la méthode sociologique. Nous lui empruntons ses réflexions pour leur pertinence méthodologique au regard des défis de concertation et de mise en bouquet qui interpellent la nation camerounaise. Car toute proportion gardée, la réalité ou le produit « d’un genre nouveau » dont parle si bien Durkheim trouve un frappant écho dans cette république d’un tout nouveau genre dont les Camerounais entendent de plus en plus parler et qui, de plus en plus, parle aux Camerounais.

Quand une méthode d’analyse se découvre une aussi étroite adéquation avec l’objet d’analyse il y a, au plan scientifique déjà, des chances de parvenir à des résultats fiables. Il est permis d’espérer qu’au plan politique aussi il s’obtienne des résultats dont la fiabilité garantisse la viabilité par leur faisabilité.

C’est tout le mal qu’en 2018, bien des Camerounais se souhaitent par l’avènement d’une gouvernance transpartisane, fille d’une péridurale politique conçue d’une révolution grise.

Charly Gabriel Mbock

Yaoundé, 15 février 2018

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