Le DG de Camrail indexe la responsabilité du gouvernement
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Jean Pierre Morel s’est expliqué sur les accusations d’activités dangereuses, blessures et homicides involontaires pour lesquels son entreprise, son prédécesseur et certains de ses collaborateurs sont traduits en justice depuis la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016. Il affirme que Camrail s’est toujours souciée de la sécurité des passagers. En même temps, il a révélé le rôle de l’Etat, notamment dans l’acquisition des trains et la définition des normes de sécurité.

La parole est maintenant aux prévenus du procès de l’accident ferroviaire d’Eseka, qui avait fait officiellement 79 morts le 21 octobre 2016. Le juge du Tribunal de première instance (TPI) d’Eseka, qui connaît de l’affaire, vient en effet de débuter avec la phase de l’audition des employés de Camrail mis en cause dans le drame. Lors de l’audience du 14 mars 2018, l’équipe d’avocats des prévenus a souhaité faire entendre dans l’ordre Jean Pierre Morel, l’actuel directeur général (DG) de Camrail, son prédécesseur, Didier Vandenbon, le conducteur du train Inter City n°152, puis le reste des prévenus.

Au nombre de 13, les prévenus, tous présents à la dernière audience, répondent des faits d’activités dangereuses, blessures et homicides involontaires. Ils comparaissent libres et plaident non coupables. Durant trois heures, Jean Pierre Morel, DG de Camrail depuis juin 2017, a mouillé la veste pour défendre le professionnalisme, l’efficacité et la réputation de son entreprise. Ancien employé de la célèbre Société nationale des chemins de fer de France (Sncf), il revendique 50 ans dans le domaine ferroviaire, qu’il a passé dans quatre pays en Europe et en Afrique (Congo et Maroc). Ce premier témoin de la défense n’était pas encore en fonction à l’époque du drame. Il est intervenu en tant que représentant de l’entreprise, Camrail ayant été considéré par le juge d’instruction comme l’entité civilement responsable de ce qui s’était passé. C’est-à-dire l’acteur qui doit payer la note en  cas de condamnation civile.

M. Morel explique que le groupe Bolloré a signé avec l’Etat du Cameroun une convention de concession de service public en 1999, qui a enfanté Camrail. Selon lui, le groupe Bolloré jouit d’une expertise avérée en matière de gestion et d’exploitation ferroviaire en Afrique (Benin, Burkina Faso, Cote d’Ivoire et Niger). La convention de concession porte sur la gestion du patrimoine ferroviaire, propriété de l’Etat, l’exploitation des trains marchandises, la maintenance, l’aménagement des infrastructures et la commercialisation des activités voyageurs. La convention a prévu un Comité interministériel des infrastructures ferroviaires (Comifer). Présidé et convoqué par le ministre des Transports, le Comifer est chargé de veiller à la cohérence des activités de Camrail avec le cahier de charges.

Mais, le 24 septembre 2004 est intervenu un avenant confiant à l’Etat la responsabilité de l’activité voyageur (politique d’investissements, plan transport, offre, équilibre financier, etc.). Depuis lors, Mobirail, une structure interne à Camrail, s’occupe exclusivement du transport voyageur. Les activités de Mobirail sont supervisées par le Comité de transport voyageur (CTV), composé de 9 membres, soit 6 représentants de l’Etat. «Camrail ne fait pas sa loi. Bien qu’actionnaire minoritaire (13,5%), l’Etat du Cameroun intervient tant dans la gouvernance de Camrail, l’acquisition du matériel roulant que dans l’édiction des règles.»

Services de sécurité

En effet, témoigne le DG de l’entreprise, Camrail compte 1650 cheminots salariés «d’un niveau de sérieux et de professionnalisme exemplaire, dont 4 seulement d’entre eux ne sont pas de nationalité camerounaise». Des partenariats sont signés avec des structures universitaires pour la formation continue et le perfectionnement des cheminots. Les procédures de sécurité sont celles héritées du défunt opérateur ferroviaire public, la Regifercam. Or, l’article 6 de la Convention de concession dispose qu’un décret va définir la réglementation générale de sécurité. Après 18 ans, le décret reste attendu. Malgré cela, Camrail s’est dotée de 9 services de sécurité serrés aux standards internationaux. Avant chaque voyage, les cheminots sont par exemple soumis au test alcoolique.

Sur les voitures utilisées dans le cadre du transport Inter City, M. Morel explique que le renouvellement du matériel roulant incombe à l’Etat du Cameroun qui en est propriétaire, Camrail n’assure que l’entretien et la maintenance dudit matériel. En 2010, grâce à un prêt de 16 milliards de francs obtenu auprès de la Banque Mondiale, l’Etat du Cameroun a lancé un appel d’offres international pour la fabrication de 40 voitures voyageurs. C’est l’entreprise chinoise CSR Nanjing, premier constructeur mondial du matériel ferroviaire, qui a gagné le marché. En 2014, avant la mise en exploitation de ces voitures le 5 mai, une quinzaine d’essais techniques a été opérée sur la ligne Yaoundé-Douala pendant deux mois. Les essais s’effectuaient avec 19 wagons pour une vitesse de 110 km/h, les passagers étaient représentés par les sacs de sable. Les essais techniques ont été déclarés concluants et validés par l’Union internationale des chemins de fer (UIC), qui édicte les normes dans le domaine ferroviaire. La maintenance a été faite selon les prescriptions de l’UIC et de l’Etat du Cameroun. «S’il y avait doute, une insatisfaction sur la qualité du service, un manquement de sécurité, l’Etat l’aurait signalé», dira le DG, avant d’ajouter plus loin : «Il m’est absurde de porter, en tant que représentant moral de Camrail, les accusations d’avoir agi avec négligence.»

Confance renouvellée

Pour M. Morel, le risque zéro n’existe pas dans le transport ferroviaire. Il en veut pour preuve, entre 2014 et 2016, 21 accidents ont été enregistrés dans le domaine, dont 11 en Europe, 3 en Afrique, 3 Asie, etc. Après le drame d’Eseka, Camrail a mis en place une commission d’enquête interne pour analyser les causes de l’accident. Les experts commis à la tâche ont conclu que la survitesse à un point du parcours est à l’origine de l’accident sans pour autant expliquer la survenance subite où le train a pris une vitesse anormale car, «aucune anomalie n’a été détectée dans ce train».

«Nous demandons une expertise internationale indépendante pour déterminer l’origine ténébreuse de cet accident.» Un cabinet d’audit international a été chargé d’investiguer sur les 9 services de sécurité de Camrail, «ce qui a abouti au plan sécurité déjà appliqué ». Le 11 février 2017, les voitures acquises auprès de la CSR Nanjing ont été sorties du circuit du transport et placées sous scellés dans les ateliers de Camrail. À en croire M. Morel, le drame d’Eseka n’a point altéré ni la relation, ni la confiance entre l’Etat du Cameroun et Camrail. Au contraire.

Le concessionnaire entend poursuivre, aux côtés de l’Etat, le vaste chantier de modernisation de la voie de chemin de fer. Jean Pierre Morel a conclu sa déposition en remerciant les populations d’Eseka dont la prompte intervention, le jour du drame, a permis de sauver plusieurs vies et limiter les dégâts. Autant, il dit sa pensée et sa tristesse pour les nombreuses victimes de l’accident. L’audience reprend ce 28 mars pour son contre interrogatoire par le ministère public. Avec le témoignage du DG de Camrail, on est curieux de savoir comment les enquêtes ont réussi à éviter Edgard Alain Mebe Ngo’o, le ministre des Transports et président du Comifer à l’époque des faits, qui avait, dans un communiqué diffusé sur les antennes publiques, intimé l’ordre à Camrail de rallonger les wagons le jour du drame. Ni même son prédécesseur, Robert Nkili, ministre des Transports à l’époque de l’achat des voitures. Il est difficile de comprendre comment les enquêtes n’ont retenu que la responsabilité de Camrail oubliant les représentants de l’Etat, qui siègent dans le Comifer et le CTV.

En rappel, le transport ferroviaire camerounais a connu un coup inoubliable le 21 octobre 2016 à Eseka. Les conclusions du rapport de l’enquête diligentée par le Premier ministre (PM), chef du gouvernement, sur ordre de Paul Biya, le chef de l’Etat, avait retenu l’entière responsabilité de la Camrail dans la catastrophe ferroviaire déplorée. Ledit rapport d’enquête rendu public le 23 mai 2017 affirme, entre autres, que «la locomotive roulait à 96 km/h» au lieu de 40. «Des anomalies et défaillances ont été décelées dans le système de freinage» des voitures utilisées, de fabrication chinoise. Les dirigeants de Camrail sont tancés d’avoir négligé la sécurité des passagers, pour n’avoir pas pris en considération les «réserves émises par le conducteur» du train en ordonnant «la surcharge» et la «rallonge inappropriée de la rame à 17 wagons».

Le gouvernement avait annoncé une batterie de mesures dont la révision de la convention de concession, le déblocage d’une enveloppe d’un milliard de francs pour l’indemnisation des victimes de la catastrophe d’Eseka.

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