Cameroun, Vient de paraître, Um Nyobè : le combat interrompu
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La disparition tragique de Ruben Um Nyobè le samedi 13 septembre 1958 est venue mettre un terme au combat pour la réunification et l’indépendance que menait avec acharnement depuis une dizaine d’années ce patriote hors-pair.

Le visage du Cameroun aujourd’hui, n’en est que la conséquence.

Mais, Um Nyobè aurait-il pu éviter la fin qui a été la sienne, au vu de l’hostilité phénoménale dont il a été l’objet, tant des colons français que des Camerounais hostiles à la réunification et à l’indépendance ?

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Chapitre I : L’assassinat de Ruben Um Nyobè

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Augustin Frédéric Kodock, upéciste de la seconde génération, apporte un complément d’information qui renforce la thèse de la trahison de Ruben Um Nyobè par ses proches :

« … Quand le gouvernement français a consenti, sous la pression, d’octroyer l’indépendance au Cameroun, il fallait savoir comment contacter Um Nyobè, retranché dans le maquis de Boumnyébel. Le commissaire en charge de la sécurité publique en poste à Yaoundé a entrepris de prendre mèche avec lui. Il a écrit une lettre à lui destinée. Cette lettre a été remise à un nommé Mbog Mbog Tongmam, qui se trouvait, par la force du hasard, être le frère de Théodore Mayi Matip. Mayi qui, lui-même, était en contact avec les upécistes retranchés dans le « grand maquis », c’était le petit nom qu’on donnait à la partie de la forêt où se trouvait Um Nyobè et quelques fidèles parmi les plus pourchassés. Mayi avait donc été chargé par son frère Mbog Mbog Tongmam, de porter cette fameuse lettre à son destinataire. Le commissaire de police demandait notamment à Um Nyobè de se rendre à lui. Il lui donnait rendez-vous à un endroit précis où Um Nyobè devait sortir du maquis, se constituer prisonnier et pouvoir ainsi jouir de la protection que lui proposait le commissaire de police. Le commissaire Car-rère avait échafaudé ce plan, pour soustraire Um Nyobè à un assassinat pro-grammé dont il était informé. Toute une semaine durant, le commissaire a sillonné le tronçon de route où il avait donné rendez-vous à Um Nyobè entre Boumnyébel et le pont sur la rivière Djel, lui-même et seul à bord de sa 2Cv. La lettre n’a jamais été remise à Um Nyobè.

Deux choses l’une : soit la lettre n’a jamais été remise à Um Nyobè par son frère Mbog Mbog, ce qui est peu probable car Mbog Mbog Tongmam était un collaborateur subalterne du commissaire Carrère, il lui devait de ce fait obéissance. Soit il l’a effectivement remise et dans ce cas, c’est Mayi Matip qui ne l’a jamais transmise à son destinataire final. Toujours est-il qu’Um Nyobè n’a jamais reçu cette lettre si importante qui aurait pu lui sauver la vie. Il se serait certainement rendu au commissaire Carrère car, il se savait traqué et avait envisagé de sortir du maquis. Seules les conditions de sa sécurité le faisaient rester encore dans le maquis. S’il avait pu sortir du maquis, même prisonnier, il se serait imposé comme interlocuteur à l’instar d’Ahmed Ben Bella en Algérie. Il y a eu une méprise.

Tous les Français n’étaient pas d’accord pour l’assassinat d’Um Nyobè. Le Directeur de la Sûreté, le commissaire Carrère, par exemple, n’était pas d’accord. Il a tenté une opération personnelle, lui-même au volant de sa 2Cv. Parce que la grande politique a ses modes de fonctionnement, et dans le cas d’espèce, il s’agissait de la grande politique… » (1)

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Chapitre II : Um Nyobè mort : mise en place du néo-colonialisme

………… Même après qu’il fut devenu président de la République, Ahmadou Ahi-djo n’a, en aucun jour, pendant toute la durée de son long règne, envisagé quelque dialogue que ce soit, non seulement avec des upécistes mais aussi, avec quiconque était en discorde avec la France. Ce n’est pas tout, aidé par la France, Ahmadou Ahidjo a livré une guerre sans merci aux patriotes camerounais, même lorsque ceux-ci s’étaient réfugiés à l’étranger. Bien mieux, il s’est véritablement présenté en chien de garde des intérêts français en Afrique noire. Sur ce point, il a entièrement donné satisfaction à la France.

C’est le lieu de citer, ici, les malheurs qui s’étaient abattus sur un jeune journaliste de Radio-Cameroun, fraîchement diplômé de l’ESIJY, Ecole Supérieure Internationale de Journalisme de Yaoundé, Daniel A.N. qui, le 27

juin 1977, avait commis la grande imprudence d’annoncer, au cours du journal parlé de 13 heures, l’octroi de l’indépendance à Djibouti, et en émaillant son annonce du commentaire suivant :

« …Avec l’indépendance de Djibouti, c’est la fin définitive du colonialisme français en Afrique… » (2)

Avant la fin du journal parlé, le ministre de l’information de l’époque, Joseph-Charles Doumba, avait fait irruption dans les studios de Radio-Cameroun, et avait pratiquement cravaté le journaliste.

« …Qui t’a dit de dire ça ? Hein ? Qui t’a dit de dire ça ? » (3)

Que se passait-il ? L’ambassadeur de France, en suivant le journal parlé de 13 h, avait téléphoné à Ahmadou Ahidjo pour le blâmer de ne pas contrôler, suffisamment, le contenu du journal parlé, au point où, au cours de celui-ci, il venait d’être fait, par le speaker, un commentaire désobligeant envers la France, au sujet de l’indépendance de Djibouti, et que cela était inacceptable. Il allait en rendre compte à ses supérieurs à Paris. Ahmadou Ahidjo, à son tour, avait téléphoné à son ministre de l’information pour déverser sa colère sur lui et exiger des sanctions « exemplaires » à l’endroit du présentateur du journal parlé en cours de diffusion.

Le malheureux Daniel A.N. avait été, dans les minutes qui avaient suivi l’irruption du ministre dans le studio, embarqué par la police politique, et conduit dans un centre de torture… Son salaire avait été suspendu pendant presque une année entière. De même, il avait été suspendu d’antenne pendant un long moment.

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Chapitre III : Les conséquences immédiates de l’instauration du néoco-lonialisme au Cameroun

Quelles ont été les conséquences immédiates de l’instauration du néo-colonialisme au Cameroun ? Elles ont été, évidemment, nombreuses. Mais, en relevons deux : d’une part, l’entrée du Cameroun dans l’ère néocoloniale a détruit le bel esprit patriotique qui avait caractérisé la population tout au long des années 1950, et d’autre part, l’inoculation, au peuple camerounais, d’un venin anti-progrès extrêmement efficace : le tribalisme.

A - L’éradication du bel esprit patriotique des années 1950.

Par son accession au pouvoir, Ahmadou Ahidjo s’est mis à être une preuve palpable que s’opposer aux Blancs, s’opposer aux impérialistes, s’opposer aux Européens, s’opposer à l’Occident, s’opposer à la France, n’était guère payant. Lui qui ne s’était illustré dans aucune bataille contre les ennemis du Cameroun, le voilà président de la République. Par contre, tous ceux qui avaient osé affronter les envahisseurs blancs, étaient, soit en prison, soit au cimetière, soit en exil à l’étranger, traqués de pays en pays.

Um Nyobè avait été à l’ONU plusieurs fois, mais, une balle dans le dos est venue montrer que ce n’était pas la bonne voie. Il faut se soumettre à l’étranger, s’aplatir devant lui, obéir docilement à ses ordres, le servir, pour bénéficier d’une place au soleil. Le patriotisme ne sert à rien, il n’est guère payant, il n’est qu’une source d’ennuis inutiles.

Cet esprit, au fur et à mesure que s’éloignait l’année 1960, n’a fait que croître, s’enraciner, s’imposer. A cela est venu s’ajouter le fait que, au Cameroun, il n’existe aucun monument célébrant quelque héros national que ce soit. Aucune rue, aucun hôpital, aucun Lycée, aucune place, aucun carrefour, ne porte le nom de qui que ce soit ayant lutté pour l’indépendance. Le phénomène est tel que, le gouvernement préfère attribuer des noms de fruits, « rue des Bananiers », « rue des Acacias », « rue Manguiers », etc., plutôt que de le faire pour des individus. Bien pire, le jour de l’indépendance, le 1er janvier 1960, a même, au bout de douze années seulement, relégué au rang de jour ordinaire, banal, sans importance aucune. A sa place, c’est le 20 mai qui est devenu un grand jour, un jour à célébrer. Le Cameroun, par l’instauration du néocolonialisme, est actuellement, l’unique pays au monde, anciennement colonisé, qui ne célèbre pas le jour de son indépendance. Tous les autres le font, mêmes les Etats-Unis d’Amérique, première puissance mondiale continuent à célébrer, tous les 4 juillet, l’« indépendance day ».

Le résultat de cette politique est que, aujourd’hui, le peuple camerounais est caractérisé par un esprit de dénigrement et d’ingratitude à nul autre pareil. Il lui est extrêmement difficile de reconnaître les mérites de quiconque.

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Chapitre V : Ruben Um Nyobè aurait-il pu réussir son combat ?

Nombreuses sont les personnes qui estiment que Ruben Um Nyobè a fait preuve de nombreuses insuffisances dans son combat contre le colonialisme français. Elles ont probablement raison. Toutefois, elles semblent fondamentalement oublier une chose : Um Nyobè se battait dans des conditions extrêmement difficiles, et la victoire, de ce fait, l’était également. Bien mieux, tout porte à croire que, par extraordinaire, s’il était parvenu à libérer le Cameroun de la domination coloniale, il aurait, bien vite, été l’objet d’un coup d’Etat orchestré par Jacques Foccart, le Secrétaire Général aux affaires africaines de Charles de Gaulle, ainsi qu’ en a été victime Sylvanus Olympio au Togo, ou d’un assassinat, comme Barthélemy Boganda, en Oubangui-Chari (Centrafrique), ou Patrice Lumumba au Congo.

A – Um Nyobè n’était pas Ahmed Sékou Touré.

Ahmed Sékou Touré, en Guinée Conakry, est parvenu à sortir son pays du colonialisme français, en faisant, lors du referendum du 28 septembre 1958 sur la Communauté, que proposait, aux Africains, Charles de Gaulle, voter le « Non » par la Guinée. Aussitôt, il a obtenu l’indépendance de son pays, évitant à celui-ci que ne s’y instaure pas un régime néocolonial.

Toutefois, si Ahmed Sékou Touré est parvenu à affronter, victorieusement, le gouvernement français, c’est bien parce que, à la différence de Ruben Um Nyobè, il jouissait des atouts suivants : 1/- il était un parlementaire, à savoir, député à l’Assemblée Nationale à Paris ; 2/- il était Premier ministre de la Guinée ; 3/- le Parti Démocratique de Guinée, PDG, jouissait d’une implantation nationale, bien mieux, il contrôlait politiquement et quasiment sans partage, la Guinée.

Ruben Um Nyobè, pour ce qui le concerne, traînait avec lui de nombreux handicaps. Le Haut-commissaire André Soucadaux, était parvenu à lui fermer, systématiquement, l’entrée à quelque assemblée élective que ce soit, par la fraude électorale. Il avait fait battre Ruben Um Nyobè aux deux élections auxquelles il s’était porté candidat : Assemblée Nationale à Paris, en 1951, et Assemblée Territoriale du Cameroun, ATCAM, à Yaoundé, au mois de mars 1952. Il le plaçait ainsi dans une situation à la fois paradoxale et difficile. D’un côté, il jouissait d’une extrême popularité dans le Sud du Cameroun, plus particulièrement dans la région de Douala et en pays Bassaa, mais d’un autre, il n’était doté d’aucun statut politique, excepté celui de secrétaire général d’un parti politique, qui, somme toute, était dérisoire, face à des élus siégeant à l’Assemblée Nationale à Paris, par exemple. Ce handicap était colossal. Toutes les fois où il se rendait à l’ONU pour défendre la cause du Cameroun devant la 4ème Commission, il se retrouvait obligé de citer la liste d’associations au nom desquelles il s’exprimait, afin de prouver sa crédibilité. C’est ainsi que lors de son voyage à l’ONU au mois de décembre 1953, c’est-à-dire le second, il avait obtenu de l’Union Nationale des Etudiants du Kamerun, UNEK, lors de son transit à Paris, un mandat pour s’exprimer en son nom. Lors de sa première audition le 17 décembre 1952, Louis Paul Aujoulat, président de l’ATCAM, et les deux obligés et protégés de l’administration coloniale qui l’accompagnaient et dont le voyage avait été financé par les autorités françaises, à savoir Alexandre Douala Manga Bell et Charles Guy René Okala, avaient eu beau jeu de contester sa représentativité devant la 4ème commission, en arguant que, à leur différence, il venait de se faire battre copieusement aux élections du mois de mars 1952 dans son propre fief électoral c’est-à-dire en Sanaga-Maritime, et que, à ce titre, il était un individu sans représentativité politique aucune.

Ruben Um Nyobè, à la différence d’Ahmed Sékou Touré, traînait également un second handicap. La majorité des fonctionnaires camerounais de l’administration coloniale étaient plutôt indifférents à son discours. La raison ? Ils se sentaient déjà un peu des « Blancs », par le fait qu’ils se situaient, dans la hiérarchie de la société coloniale, au-dessus des autres Noirs, et immédiatement en dessous des Blancs. C’est le lieu, ici, de rappeler ces propos d’Ahmadou Ahidjo, plusieurs années plus tard :

« … dans les villes, les fonctionnaires de l’Etat (…) ont créé des castes qui tendent à s’isoler complétement des masses urbaines et rurales. On relève, chez beaucoup, une répugnance manifeste à fréquenter les quartiers où hier encore ils logeaient, d’où hier encore ils partaient, pour le lycée ou pour continuer leurs études à l’étranger. Un tour en voiture qu’ils effectuent dans ces quartiers, vaut, pour eux, une exploration de Savorgnan de Brazza ou de Stanley dans la forêt vierge ou dans la jungle. (4)

Il a poursuivi en ces termes :

« … A leurs postes, certains agents d’autorité adoptent, à l’égard de leurs concitoyens, un comportement inadmissible. Il n’est pas exagéré d’affirmer que pour nos masses, ces élites ont remplacé les Européens, non seulement dans leurs fonctions et leurs prérogatives matérielles, telle que cases, voitures, etc., mais, surtout, ils ont repris à leur compte, des habitudes et mœurs hier décriées … » (5)

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TABLE

Introduction

Chapitre I : L’assassinat de Ruben Um Nyobè

A – L’assassinat selon Georges Chaffard

B – L’assassinat selon l’opinion publique Bassa

Chapitre II : Um mort : mise en place du néo-colonialisme

A – Les critères du choix du 1er président Camerounais

B – Mbida, Soppo Priso, Njoya Arouna réfractaires : Ahmadou Ahidjo consentant

Chapitre III : Les conséquences immédiates de l’instauration du néo-colonialisme au Cameroun

A – L’éradication du bel esprit patriotique des années 1950

B – L’introduction de l’esprit tribaliste au Cameroun

Chapitre IV : Le maintien du Cameroun dans le sous-développement

A – la planification du pacte colonial

B – Le scandale du pétrole camerounais

Chapitre V : Um Nyobè aurait-il pu réussir son combat ?

A – Um n’était pas Ahmed Sékou Touré

B – Um comme Boganda, Lumumba, Olympio

Chapitre VI : Les tentatives de reprise du combat après Um

A – Les différents maquis des Camerounais

B – La lutte dans la clandestinité

Chapitre VII : L’indépendance toujours d’actualité

A – Pouvoir à Yaoundé : décision à Paris

B – Refonder la relation France-Cameroun

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1 - Augustin Frédéric Kodock, Ne pas oublier pour bâtir demain, Entretiens avec la jeunesse, Book’in, Yaoundé, 2007, page 31-32.
2 - Entretien avec le concerné. 3 - Ibidem
4 - Ouvrage10ème anniversaire de l’UNC, 4 août 1976, p. 19. 5 Ibibem, p. 20.

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