Cameroun , Livre: Théâtre : L'exode
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Cameroun , Livre: Théâtre : L'exode :: Cameroon

L’exode est une tragi-comédie sur l’émigration subsaharienne. Acte I. Scène I. Une vingtaine de clandestins sont agglutinés au fond de la cale d’un navire. Ils sont assis sur le sol, adossés au mur, les pieds en avant, tout fatigués. Ils portent des vêtements de misère. Bemba est seul debout. Il s’exerce à affronter la police des frontières en prévision du débarquement sur une côte quelconque de l’Europe. Il se pose à lui-même des questions et y répond.

Bemba

Ton autoritaire.

Où sont tes papiers ?

Ton de supplication.

Je n’en ai pas.

Ton autoritaire.

Quoi ?

Ton de supplication.

Je n’en ai pas, je vous jure Monsieur

le policier.

Ton autoritaire.

Ok. Quel est ton pays d’origine ?

Ton de supplication.

Mon pays que je viens ?

Ton autoritaire.

Oui, ton pays, là où tu es né.

Ton de supplication.

Pagne. Je suis né Pagne. C’est mon pays.

Ton autoritaire.

Pagne ! Ça veut dire quoi ?

Ton de supplication.

Pagne, euh … Barcelona …euh … real Madrid … Majorque … Pagne … Pagne

Ton autoritaire.

Aaahh ! …Espagne ! C’est ça

que tu veux dire ?

Ton de supplication.

Oui, Pagne.

Ton autoritaire.

Ça alors ! Tu me prends pour une andouille ?

Les Espagnols sont blancs, et toi t’es un Négro. C’est pas pareil du tout. Un Blanc ne saurait être un Négro. Euh …

Il se gratte la tête.

Il paraît que vous n’aimez pas ce terme, vous préférez « Black ». Ok. T’es un Black. Donc, tu peux pas être Espagnol. Alors, comme t’es pas Espagnol, d’où viens-tu ?

Ton de supplication.

Pagne. Pagne. Je me véné de Pagne, c’est vérité, je me véné de Pagne.

Il lève trois doigts en l’air, le majeur, l’annulaire et l’auriculaire.

Je jure au nom de Dieu.

Ton autoritaire et agacé.

Oh là là ! Tu commences à m’énerver toi. D’abord, on ne dit pas Pagne. Ok ? On dit Espagne, Es-pa-gne. Ok ? Es-pa-gne. Ensuite, ton petit jeu, je le connais. Vous tous, les clandestins, vous jetez vos papiers d’identité par-dessus bord une fois à Marseille, puis vous refusez de dire le pays dont vous êtes originaire, afin qu’on ne vous y rapatrie pas. Eh bien, mon

pauvre bonhomme, avec moi ça ne marche pas. T’as compris ? Ça ne marche pas. Pagne. Pagne, abruti. Tu vas me dire de quel pays tu viens.

Les autres l’observent attentivement.

Ton autoritaire.

Bon, qui est venu t’accueillir ?

Ton de supplication.

Hein ?

Ton autoritaire. Gronde presque.

Je demande qui est venu t’accueillir, t’es sourd ou quoi, ou alors tu fais semblant ?

Ton de supplication.

Bassadeur de mon pays. C’est frère

qui né avant moi.

Sourire.

On ne dit pas « Bassadeur », on dit « Ambassadeur », am-bas-sa-deur. Il s’appelle ?

Ton de supplication.

Euh … euh … euh … il s’appelle …

Il éclate de rire.

Bon Dieu ! Comment s’appelle-t-il encore l’ambassadeur ? Oh là là ! J’ai oublié son nom…

Zigli.

Se lève et prend la parole.

Reproches.

Non, non, non. C’est pas bon. C’est pas bon du tout. Tu dois être spontané. Tu dois avoir des réponses toutes prêtes au bout des lèvres ? Tu dois avoir des réponses automatiques dans ta bouche. C’est pas bon ce que tu viens de faire-là, c’est pas bon. Quel est le nom de ton frère venu t’accueillir et en même temps ambassadeur de ton pays, et tu ne le sais pas, ou même tu te mets à hésiter sur celui-ci, c’est pas bon. Un clandestin doit être incollable. Il doit répondre du tac au tac à toutes les questions qui lui sont posées.

Il se rassoit.

Trouve le nom de ton supposé frère qui est ambassadeur de ton pays ou alors tu n’en parles pas. Ok ?

Fenekakum.

Assis, prend la parole. Bemba

toujours debout.

Euh … mes amis … euh …je ne sais comment vous le dire … mais … j’ai le cœur qui bat. Il bat fortement dans ma poitrine.

Les autres se mettent à le regarder

d’un air suspect. Il poursuit.

Euh … ce n’est pas bon signe. Depuis ce matin … je … je … actuellement, il bat encore plus fort … c’est comme s’il voulait se sauver de la poitrine … je … je … c’est pas bon signe.

Zigli.

L’interrompt sèchement et se lève.

Laisse-le battre, ton cœur, laisse-le battre,

il est fait pour ça, battre, battre, toujours battre. C’est pour ça que Dieu l’a créé, pour battre, battre et battre. Ok ? Alors, laisse-le battre. Le jour où il ne battra plus, c’est que t’es mort. T’es plus de ce monde. Laisse-le battre, ton cœur, qu’il batte, autant qu’il le désire, ça veut dire qu’il se trouve dans ta poitrine, ça veut dire que

tu es encore en vie. Ok ?

Il se rassoit.

Fenekakum.

Pousse un soupir.

Il recommence à soliloquer.

Je vous dis, il va nous arriver malheur, croyez-moi, mon cœur ne bat jamais

pour rien.

Zigli.

S’énerve. Se lève de nouveau.

Toi tu m’agaces. T’es qu’un poltron. Que va-t-il nous arriver ? Quoi ? Dis-moi. C’est par tes paroles justement qu’il va nous arriver malheur. Alors, tu te tais. Ok ? Ferme-là ! Ok ?

Bikula.

Prend la parole. Il est assis.

Assieds-toi, Bemba, assieds-toi. Je voudrais vous rappeler que c’est la troisième fois que moi je tente la traversée. Moi je n’ai peur de rien, car mon amulette me protège.

Il se lève, soulève la chemisette qu’il porte et montre aux autres une corde attachée autour des reins. Celle-ci comporte plusieurs nœuds. Il se met à parler étant debout en la tenant ostensiblement en main.

Ceci m’a toujours protégé, et il n’y a aucune raison que cette fois-ci, ma corde m’abandonne. Je n’ai peur de rien. La dernière fois que j’ai tenté la traversée comme nous le faisons en ce moment, une tempête s’était déclenchée en pleine mer. Nous étions au large de Tanger au Maroc, plus de deux cents personnes dans une pirogue. Celle-ci s’était mise à tanguer dangereusement, ballottée par le vent et la mer en furie. Finalement, une vague haute comme un immeuble de plusieurs étages s’était rabattue sur nous. Notre pirogue a coulé. Plusieurs d’entre nous ont sombré avec elle au fond de l’océan. Mais, moi je me suis mis à flotter et à nager. J’apercevais également quelques personnes en train de flotter et de nager comme moi. Subitement, un morceau de la pirogue a jailli de l’eau. Je m’y suis agrippé et me suis mis à flotter avec ce bout de bois. Je suis resté ainsi pendant des heures, jusqu’à ce que je sois repêché par un canoë de la patrouille maritime marocaine. Nous n’étions que trois qui avions été repêchés, sur les deux cents personnes qui se trouvaient dans la pirogue. Quand tu portes ce gris-gris (il exhibe encore sa corde attachée autour des reins), tu ne peux te noyer. Même si tu t’évanouis en haute mer, tu vas flotter des heures durant, jusqu’à ce que l’on vienne te repêcher. Les requins auront beau rôder autour de toi, nul ne se hasardera à t’attaquer.

On frappe brutalement à la porte. Celle-ci s’ouvre tout d’un coup.

Un matelot s’y loge.

Le matelot.

Tout excité, voix forte et autoritaire.

Debout ! Tout le monde ! Debout !

Il se met à aboyer littéralement.

Allez ! Grouillez-vous ! Je dis, grouillez-vous ! Sortez d’ici, vite ! Vite ! Je dis vite !

Panique générale. Tout le monde

se lève affolé.

Sortez et courez vers le fond.

Il désigne du doigt, en se tenant à la porte, le fond du couloir.

Vite ! Vite ! Vite ! Dépêchez-vous !

Vite ! Vite ! Sortez vite ! Vite ! Vite !

Tout le monde se jette hors du cachot,

sans plus attendre. Mais, certains rebroussent aussitôt chemin. Ils se mettent à supplier le matelot, quelques-uns en s’effondrant à genoux à ses pieds.

Pitié ! Pitié ! Pitié ! Nous vous en supplions ! Ne nous jetez pas à la mer ! Pitié ! Pour l’amour de Dieu ! Pitié ! Ne nous jetez pas à la mer.

D’autres matelots arrivent. Ils ne veulent rien savoir. Ils se mettent à les attraper de force. Ceux-ci résistent comme ils peuvent, mais en vain. Ils sont sortis avec brutalité de la cabine, traînés hors de celle-ci, dans des hurlements démentiels.

…………………………………………..

Scène III

Fenekakum, Azako et Dousi sont

projetés brutalement dans une cellule de commissariat de police et s’écroulent tous les trois au sol. Ils y trouvent d’autres clandestins également en détention

assis à même le sol.

1er clandestin.

L’air goguenard.

Soyez les bienvenus parmi les malchanceux qui se sont tout bêtement fait arrêter par une patrouille de police parce qu’ils n’ont pas su se cacher et qui vont devoir retourner dans leurs pays comme ils sont venus, c’est-à-dire les mains totalement vides.

Les autres clandestins éclatent

de rire.

2ème clandestin.

Oh, mais avec plein d’histoires à la tête, à la fois douloureuses et pathétiques.

3ème clandestin.

Et des ruisseaux de larmes aux yeux, mais avec une grande expérience désormais.

Ça c’est hautement important.

2ème clandestin.

Ainsi, lorsque vous recommencerez, vous saurez désormais comment faire pour ne pas vous faire arrêter par la police.

1er clandestin.

Ici c’est la dernière étape avant d’être conduit à l’aéroport mes amis, pour être expulsé. Venez attendre avec nous.

2ème clandestin.

Pourquoi se plaindre ? On est venu en voiture, et peut-être même à pieds, et on retourne par avion. Nous devons remercier nos geôliers pour cette amabilité, moi je n’en ai jamais pris de ma vie.

Tous les trois éclatent de rire.

1er clandestin.

Egalement goguenard. Après avoir dévisagé un moment Dousi, Azako et Fenekakum, s’adresse à ce dernier.

Hé, toi, tu croyais que c’est plus facile ici, n’est-ce pas, l’Europe, hein ?

Il éclate de rire.

Eh bien, tu déchantes. Moi aussi, comme toi, je pensais qu’il suffisait de monter dans un bateau, une barque, une pirogue, pour atteindre le bonheur. Mais vois-tu, ce bonheur n’est pas si proche qu’il le paraît lorsque l’on quitte son pays. Il y a au milieu, la mer, oui, la mer, terrible, cruelle, meurtrière, assassine, l’océan, les gardes côtes, les arrestations, et, finalement comme en ce moment, la cellule d’un commissariat, et l’expulsion. Retour à la case départ. La mer au milieu, n’est plus bleue, n’est plus belle, n’est plus à contempler, non, on ne vient plus s’y baigner, on ne vient plus s’y photographier, non, la mer au milieu, est devenue monstrueuse, elle est devenue avaleuse d’hommes. Et puis, elle finit par les vomir, et les rejeter sur la plage, elle ne les garde jamais dans son ventre. Elle tue les hommes, mais ne les dévore pas. Elle n’est pas un carnassier. Elle se contente de ses poissons. Oui, c’est comme ça qu’elle est réellement, la mer, inhumaine.

3ème clandestin.

Moi j’ai été arrêté avec des chiens. Même dans mon pays de souffrance que j’ai fui, on ne m’avait jamais arrêté avec des chiens. Mais ici, cela s’est produit. Je ne pouvais jamais l’imaginer un jour. Le chien des gardes côtes m’a mordu à plusieurs

reprises la fesse. Il a failli me la déchirer.

Il se retourne, montre la fesse qui

a été mordue.

Et j’ai cessé de courir. Ils m’ont alors passé des menottes, mais ne m’ont fait aucune piqûre contre la rage. Il y a de cela trois jours. Cette morsure est actuellement en train de s’infecter. Elle me fait très peur. Lorsque ce matin j’en ai informé le gardien, il m’a regardé tout bizarrement, puis il a haussé les épaules. Il a voulu partir. Je l’ai retenu. Il m’a alors répondu : qu’es-tu venu chercher ici ? Ne pouvais-tu pas demeurer sagement et raisonnablement dans ton pays ?

Soupir de résignation.

4ème clandestin.

Moi je suis passé par le désert pour arriver ici, en venant de mon pays. Jusqu’à Kidal, je n’ai pas eu de problème majeur. Mais après, j’ai connu l’enfer.

Il devient songeur.

Un passeur devait me conduire à Mostaganem en voiture. Nous étions à neuf. En plein désert, après avoir franchi la frontière, il nous a abandonnés, nous laissant là, sans eau, sans nourriture, sans boussole, rien.

Les autres clandestins sont horrifiés.

Il est de nouveau songeur.

Il n’y avait que le sable et nous, nous et le sable, c’est tout, à l’infini. Il y en avait devant. Il y en avait derrière. Il y en avait à gauche. Il y en avait à droite. Il y en avait partout. Il y en avait tout autour de nous. Il n’y avait que cela. Le sable. Le sable. Encore le sable. Rien que le sable. A perte de vue.

Se tait un moment.

Et bien sûr, il y avait le désespoir, beaucoup de désespoir, énormément de désespoir.

C’est long à raconter.

De nouveau songeur.

Je vous dirai simplement que six d’entre nous y sont morts de soif, y sont morts de faim, y sont morts d’épuisement.

Se tait de nouveau. Essuie une larme

qui perle à ses yeux.

C’était terrible. Quand l’un de nous mourait, on creusait tout juste une petite tombe de la profondeur d’un genou dans le sable, et l’y déposions. Nous lui recouvrions ensuite le corps de sable. C’est tout ce que nous pouvions faire. C’est tout.

Se tait de nouveau.

C’est sûr qu’avec les tempêtes de ce sable justement, si nombreuses dans le désert, ces corps ont fini par être mis à découvert. En marchant, nous avons croisés plusieurs carcasses humaines ainsi, à moitié ensevelies dans le sable. C’étaient des images horribles.

Il pousse un soupir.

Fenekakum, Dousi et Azako

l’écoutent abasourdis.

Puis, un miracle s’est produit.

Devient gai. Se met à sourire.

Le Dieu de miracles est intervenu. Une auto, ô Dieu, une auto, aaaaahhhh … une auto, Seigneur, a surgi de l’horizon. Une auto. Oui, une auto. Comme l’arche de Noé. Elle a jailli du néant. C’était un camion qui arrivait d’Annaba.

Se met à sourire encore plus.

Il partait pour Tombouctou. Il partait vers la vie, et tournait le dos à la mort.

Toujours souriant, les yeux perdus

dans le néant.

Son conducteur nous a pris en pitié,

et nous y a ramenés gratuitement. Nous n’avions plus d’argent avec nous.

Il nous a ramenés à la vie, nous a arrachés

à la mort.

Lève les yeux au ciel.

Que Dieu le bénisse.

Dévisage un à un les autres.

J’ai passé deux années entières dans cette ville, à chercher la bonne voie, après y avoir déjà séjourné auparavant pendant six mois. Je ne voulais plus m’aventurer dans le désert. Je suis donc passé par Nouakchott, et je suis arrivé ici. Me voici à présent en garde à vue, en attendant d’être renvoyé chez moi.

Il pousse un grand soupir.

1er clandestin.

La solidarité africaine, quel grand mot, solidarité, oui, solidarité. Pouah !

Des mots, rien que des mots, c’est tout.

L’Afrique du nord, n’est-ce pas en Afrique ? Le Maghreb n’est-ce pas en Afrique ? Nous sommes traités ici pire que des criminels.

2ème clandestin.

A Lampedusa, les Italiens, des Européens, accueillent à bras ouverts les clandestins comme nous. Ils ne les enferment pas. Ils ne les jettent pas à la mer. Ils ne les renvoient pas chez eux. Ils les accueillent fraternellement. Ils sont heureux de les recevoir. Ils leur offrent des toits, ils leurs offrent de la nourriture, ils leur offrent du travail, car c’est ce que nous venons chercher. Mais, des Africains comme nous, ils nous jettent à la mer, nous renvoient chez nous. Et pourtant, nous ne désirons pas nous installer chez eux. Nous désirons simplement transiter dans leurs pays. Mais, ils nous arrêtent, et nous jettent en prison. Et ce sont des Africains comme nous. Et on parle d’unité africaine. Des mots, des mots, rien que des mots, et rien d’autre.

3ème clandestin.

Se tourne vers Azako, Dousi et Fenekakum.

Mes amis, je ne vous demande pas d’où vous venez. Cela n’a pas d’importance. Vous allez être expulsés. Nous allons tous être expulsés. Mais, moi je vais revenir, peut-être plus par ici, mais je reviendrai pour atteindre l’Europe.

La porte de la cellule s’ouvre. Un agent de police entre. Il tient en main une feuille de papier et se met à lire les noms qui y figurent.

L’agent de police.

Fenekakum !

Fenekakum.

Présent !

L’agent de police.

Lève-toi !

Fenekakum se lève, tout résigné et apeuré.

Massamba !

4ème clandestin.

Présent !

L’agent de police.

Lève-toi !

Massamba se lève

également tout résigné et apeuré.

On vous emmène à l’aéroport. Il y a un vol pour Missosi et Potoville. Vous retournez chez vous. Suivez-moi.

Soupirs de désolation des deux clandestins appelés. Fenekakum fait péniblement ses adieux à Dousi et Azako, pendant que Massamba en fait de même auprès des autres clandestins. Puis, ils sortent de scène précédés par l’agent de police, en jetant un dernier regard d’adieu mélancolique et pathétique dans la cellule.

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