Zimbabwe : les fermiers blancs, une épine dans le pied de Mnangagwa
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Zimbabwe : les fermiers blancs, une épine dans le pied de Mnangagwa

Faut-il rendre aux fermiers blancs leurs terres confisquées ? Le nouveau gouvernement s'attaque aux défauts structurels de la réforme agraire, héritage de Robert Mugabe.

En décembre dernier, le nouveau président zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, qui a succédé à Robert Mugabe en novembre à la suite d'un coup de force militaire, s'était engagé à relancer l'économie. Et l'une de ses premières décisions a été d'ordonner l'évacuation des fermes occupées illégalement et la restitution, hautement symbolique, de terres confisquées à un fermier blanc. Une décision qui a surtout créé de la confusion dans le pays, car si elle a bien bénéficié à un fermier, Robert Smart, il reste un cas isolé. Les balbutiements du gouvernement sur ce sujet ne font que décourager un peu plus les investisseurs qui s'intéressent au secteur agricole.

Des fermiers blancs entre espoir et défis

Robert Smart, producteur de tabac et de maïs de la région de Makoni (Est), avait été expulsé avec sa famille en juin dernier au profit d'un prêtre favorable à l'ancien régime, Trevor Manhanga. Il n'avait pu prendre que très peu de choses en partant. Il avait perdu des objets personnels, notamment des photographies de famille et de grands vins des ex-colonies portugaises d'Afrique transmis de père en fils depuis des générations. « Ils ont fait ce qui est juste et je remercie à ce propos la nouvelle administration », avait-il déclaré à l'AFP. Mais Ben Gilpin, directeur du Syndicat des fermiers (CFU), avait tout de suite appelé à la prudence.

Trop tard, car beaucoup de journaux ont fait circuler des informations contradictoires. Il fallait donc rectifier le tir. C'est désormais chose faite avec cette annonce officielle du gouvernement qui affirme qu'il ne rendra pas aux fermiers blancs les terres qui leur ont été confisquées dans le cadre d'une réforme agraire controversée de l'ancien président Robert Mugabe. C'est le président Emmerson Mnangagwa qui l'a fait savoir ce 10 février : « Il y a des journalistes qui écrivent que le nouveau régime veut que les fermes soient retournées aux Blancs, cela ne se produira pas », a-t-il déclaré lors d'un discours dans la circonscription de Chirumhanzu-Zibagwe (Centre), retransmis en direct à la télévision nationale. « La réforme agraire est irréversible », a assuré le nouveau président, reprenant les propos de son discours d'inauguration en novembre. « Notre terre doit être productive. Nous devons mécaniser et moderniser notre agriculture », a-t-il ajouté.

Emmerson Mnangagwa, défenseur des fermiers blancs ?

Des milliers de fermiers blancs ont été expulsés manu militari de leurs terres au début des années 2000 au profit de fermiers noirs, sur ordre du gouvernement de Robert Mugabe alors au pouvoir. Cette initiative avait pour objectif affiché de corriger les inégalités héritées de la colonisation britannique. Mais, mal organisé, ce remembrement s'est fait au profit de proches du régime et de fermiers sans équipement ni formation, provoquant un effondrement brutal de la production. Cette réforme a plongé toute l'économie du pays dans une crise catastrophique dont il ne s'est toujours pas remis.

Au nom de la productivité, l'État a également décidé d'étendre de 5 à 99 ans la durée du bail des fermiers blancs épargnés par la réforme agraire. Alors qu'Emmerson Mnangagwa en tant que vice-président – de 2014 à 2017 – a supervisé la politique agricole destinée à faire face aux pénuries alimentaires. Et à ce titre, il a discrètement encouragé les fermiers blancs expulsés à louer des terres, à condition qu'ils ne reviennent pas sur leurs fermes, selon plusieurs sources.

Les défauts structurels de la réforme agraire

Contrairement à une idée largement répandue, le Zimbabwe n'a pas connu qu'une seule réforme agraire, en 2000, par la seule volonté de Robert Mugabe pour se faire réélire. Non. Cela a commencé dès la colonisation en 1890 (ensuite viennent le Land Apportionment Act de 1930 et le Land Tenure Act de 1969), puis à la fin de la guerre de libération, en 1979, où, après plus de dix ans de combats et sentant sa fin approcher, la Grande-Bretagne céda à Ian Smith en accordant l'indépendance à la Rhodésie. Les accords de Lancaster House ont servi de cadre à cette indépendance. Pour la gestion des terres, reconnaissant que leur détention par les colons blancs était problématique, la Grande-Bretagne a voulu protéger ses intérêts en interdisant au futur régime zimbabwéen indépendant, celui de Mugabe, notamment de s'approprier ces terres généralement situées sur les parties les plus fertiles du pays avant dix ans et à condition d'octroyer aux colons une compensation financière « au prix du marché et en devises », soit au prix le plus fort.

Mais, pour aider le gouvernement zimbabwéen à venir racheter ses terres, Lord Carrington proposa par un accord verbal un appui financier de la Grande-Bretagne. C'est Tony Blair, Premier ministre dans les années 90, qui mit fin à cet accord tacite. Au total, entre 1980 et 1997, la Grande-Bretagne a dépensé quelque 44 millions de livres pour aider le Zimbabwe à financer le rachat de terres à des fermiers blancs pour compenser l'inégalité de la répartition des terrains entre Blancs et Noirs. Mais, après la victoire des travaillistes britanniques en 1997, le gouvernement de Tony Blair avait fait savoir à Robert Mugabe qu'il ne se sentait pas tenu par les engagements verbaux du précédent gouvernement conservateur de John Major dans ce domaine.

C'est un tournant, et la volonté des Britanniques de ne pas respecter l'accord de principe pour le rachat des terres, qui marque le début d'une contre-offensive lancée par Mugabe. Et qui débute à la fin des années 90. Le processus de réinstallation ralentit. En 1997, le gouvernement n'a redistribué que 3,5 millions d'hectares de terres commerciales, équivalant à 10 % des terres arables et à 25 % des terres occupées par les Blancs avant l'indépendance. Dans un contexte de marasme économique, le Zimbabwe n'a plus les moyens de construire ses infrastructures, les dépenses de santé et d'éducation sont trop importantes dans le PIB, l'inflation pointe. Alors, le FMI entre en scène en 1992 et lance un plan d'ajustement structurel avec la Banque mondiale. Résultat : l'économie réelle a cessé d'être suffisamment productive pour financer les dépenses. Les populations les plus pauvres sont mécontentes. Pour éviter que cette crise ne devienne politique, Robert Mugabe lance sa grande réforme agraire, sans concertation, par la violence et la terreur : par l'occupation des terres. Résultat : la part de l'agriculture commerciale est en chute libre. Le pays autrefois exportateur connaît désormais régulièrement des épisodes de faim. Une situation aggravée par le changement climatique qui touche toute l'Afrique australe.

Aujourd'hui, seule une poignée de fermiers blancs – quelques centaines – continuent à exercer au Zimbabwe. De 1996 à nos jours, le nombre de tracteurs utilisés pour les cultures est passé de 25 000 à 5 000, selon l'Association des vendeurs de véhicules agricoles (ADMA). Dans les champs redistribués à la majorité noire, il est fréquent de voir des hommes labourer avec des bœufs.

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