Afrique, Chronique : Une histoire d'esclavage !
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Aujourd’hui, j’ai ri. Oui, oui, j’ai ri. J’ai bien ri. J’ai ri et j’avais mal aux côtes ! C’était tellement intense qu’on pouvait voir mes dents. Ça a débuté imperceptiblement, progressivement, comme à l’écoute d’une chanson qui nous emporte graduellement. Semblable à lorsqu’on s’endort éternellement… Il y avait certainement un peu de nervosité, ça ressemblait sûrement à l’état de ces gens, qui, prêts à offrir le monde à une personne, parce que très amoureux, se rendent compte qu’ils sont en face d’une tromperie...

J’étais en plein préparatif de voyage. Je venais de recevoir le nouveau Dan Brown. Je me désolais de ne pas trouver un petit moment pour le déguster avant mon départ. Il y a un ami qui m’appelle à trois heures du matin. Apeuré, je décroche. Il dit : « Les Arabes sont en train de nous vendre en Libye ». Après ça, plus rien. Il s’est ensuivi quelques interminables minutes de silence, et puis, je l’entendis pleurer pendant une bonne quinzaine de minutes. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J’étais gêné, peiné, exténué. « Les Arabes » et « nous vendre » avaient enlevé du crédit à son propos. Ce lexique me heurtait. Lorsqu’il s’est décidé à raccrocher, c’était un soulagement. Je me suis empressé d’éteindre mon téléphone et de me vautrer dans mon lit.

Le lendemain, sur les réseaux sociaux, et sur le téléphone, les gens s’indignaient et diffusaient des images immondes, où on voyait des êtres humains détenus de manière inacceptable et vendus aux enchères. Dans certaines vidéos, on pouvait voir des personnes de type subsaharien se faire tabasser à mort par des personnes de type magrébin…

Tout à coup, le monde se réveillait et les gens semblaient découvrir les horreurs qu’un être humain peut infliger à un autre être humain. Chacun s’excitait, il y a eu des appels à manifester. Il y a quelqu’un qui a dit : « Michel, rendez-vous à l’ambassade de Libye à 15 heures ». J’ai ri, et ensuite j’ai décliné l’invitation en disant : « je me refuse de manifester comme ça, il faut qu’il y ait un contenu ». La personne, vexée, m’a insulté. On aurait cru que j’étais celui qui vendait les gens aux enchères. Elle a même dit : « Nègre complexé et prétentieux ! » J’ai acquiescé et je suis resté calme…

Il y a eu une annonce, celle du président Alpha Condé, de la République de Guinée Conakry, demandant à la Libye de revoir les conditions de détention des migrants. J’ai éclaté de rire. Oui, c’est à ce moment-là que j’ai eu mal aux côtes. Je n’ai pas ri des migrants, mais de l’hypocrisie de ce président. Oui, hypocrisie. Il y a quelques années, en 2014, à Conakry, après le rapport de l’ONU du 27 octobre, dénonçant les conditions effroyables dans les lieux de détention en Guinée, j’en avais appelé à l’humain qui réside en chacun de nous. J’avais milité en dénonçant le fait que les êtres humains sont parqués comme du bétail, dans les cellules, des commissariats, et là, je ne parlais même pas encore des prisons, qui sont dans des états scandaleuses. Il y a un Guinéen, très fier de sa personne, qui a dit : « il ne faut pas avoir pitié des prisonniers. Ce sont des hors-la-loi, ils doivent mourir en prison ». Je n’en croyais pas mes oreilles...

Au sud du Bénin, j’ai entendu les gens dire : « je n’aime pas les musulmans ». Au nord du Togo, dans la zone à forte population musulmane, j’ai entendu dire : « je n’aime pas les Arabes, ils sont racistes ». Oui, c’est la chanson que l’on pouvait entendre ici et là en ces temps-là. Il suffisait de tendre l’oreille pour surprendre ces absurdités. Ce qui se passe en Libye n’est ni une histoire d’Arabe ni une histoire de musulman, ce n’est en fait qu’une histoire d’opportunisme. De manière abjecte, bien sûr, mais ce n’est qu’une affaire de l’appât du gain.

Petite information non exhaustive à l’endroit de ceux qui ne le savaient pas :

— L’esclavage se vit toujours en Mauritanie, et ceci malgré la très récente loi du 13 août 2015, qui considère la traite des êtres humains comme un crime contre l’humanité !

J’ai même entendu dire qu’il y avait une solidarité qui s’était créée entre certains esclavagistes et certains esclaves, pour demeurer indétectable si jamais quelqu’un voulait les dénoncer à l’autorité. J’ai osé poser la question à un Mauritanien, et il a dit ceci : « ce sont les gens de Nouakchott [la capitale du pays] qui dérangent les gens ! »

— Allez en Côte d’Ivoire et demandez à un Abidjanais sans emploi de venir travailler dans votre troupeau de bœufs, et il vous répondra certainement : « Le travail là, ce sont les Peuls qui font ça ». Et lorsque vous allez demander pourquoi, il vous dira : « Celui qui garde la vache n’a droit qu’à du lait ». C’est une manière de dire la pauvreté des gens qui font ce travail. Oui, oui, ces Peuls non instruits à l’école occidentale travaillent très souvent pour un salaire dérisoire. Certains ont intériorisé le fait que la viande appartient au patron, et le lait, à eux, et se retrouvent à travailler sans salaire et durant toute leur vie, c’est un fait !

— Quel enfant de bourgeois, au Cameroun, n’a pas eu droit à sa petite esclave ? Je m’en souviens encore très bien, elles venaient principalement des zones anglophones. Pour les riches, le négociant allait dans les villages chercher les petites filles. Elles étaient très jeunes, parfois 15 ans, parfois 17 ans, parfois 22 ans, etc. Ils remettaient une somme d’argent aux parents et la fille venait en ville. Elle s’occupait du bambin, faisait le ménage, la vaisselle, les courses, la cuisine, etc., et se faisait même parfois violer par l’oncle ou le père de famille. C’était comme ça, tout le monde le savait, et ça n’avait jamais choqué !

— Et le Nigéria alors, va-ton dire que l’on ne sait pas ce qui se passe aussi là-bas, alors qu’il suffit d’aller au Cameroun, Bénin, Togo, pour ne citer que ces pays-là, pour voir, la nuit tombée, des quartiers se remplir de dames galantes nigérianes ? Vous comprendrez que la plupart de ces filles sont mises en gage et doivent rembourser une somme d’argent que la famille doit à je-ne-sais-qui, et, que si elles ne remboursent pas, elles auront je-ne-sais-quoi !

— Pour le projet que je porte, et qui s’appelle « Mon village Africain », j’ai été amené à sillonner minutieusement le Togo. À Lomé, lorsque j’ai demandé des gens pour m’aider dans les champs, on m’a dit : « ce sont les gens du nord, les Kabyés, qui font ce travail-là ». Je me suis donc rapproché de ces gens du nord, qui sont censés travailler dans les champs de ceux du sud. À Tabalé, il y a un jeune homme qui m’a raconté sa mésaventure du sud. Il a dit : « Je

travaillais pour quelqu’un à 15 000 CFA [soit 22 euros] le mois, dans ses champs à Tsévié. Je devais travailler toute l’année, et à la fin, il devait me payer pour 12 mois. Tu comprends ? Mais au 10e mois, il a dit que j’ai volé ses poules et qu’il va aller à la police pour qu’on m’enferme en prison. J’ai supplié, supplié, fatigué. Alors, il n’a plus rien dit. J’ai travaillé toute l’année et il ne m’a pas payé. La deuxième année, j’ai voulu partir, et il m’a fait le même coup, cette fois-ci c’était les ignames qu’il disait que j’avais volées. Tu vois, cher frère, ils ont toujours les prétextes pour ne pas payer les gens. J’ai eu de la chance, ce patron-là est mort. Pendant que les gens pleuraient, j’étais dans le bus pour rentrer chez moi, en remerciant le seigneur Jésus Christ… »

— Quittons un peu l’Afrique, allons dans les villages du sud et de l’est de la Bolivie, en Amérique latine, pour ne parler que de ce pays, pour voir comment les pauvres quittent les villages pour aller être l’esclave des nouveaux riches !

— ETC.

Alors, qu’est-ce qui choque autant les gens ? L’esclavage ou la vente aux enchères ? De quoi s’indigne-t-on vraiment ? Du fait que ça soit le petit magrébin qui maltraite le petit subsaharien, un peu comme le petit blanc qui maltraitait le petit noir ? Lorsque c’est un petit subsaharien qui malmène un autre petit subsaharien, il n’y a pas à être scandalisé ?

Je précise, tout de même, à toutes fins utiles, que je suis férocement attaché à l’humain et à ses droits !

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Michel Tagne Foko fait partie des écrivains dont les œuvres sont sur les étals des bibliothèques universitaires les plus prestigieuses au monde : Harvard, Duke, Lausanne, Toronto, Perth, Auckland, Columbia, etc.

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