Afrique : Quel droit à  l'image pour les défunts au Cameroun ?
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Peut-on publier la photographie d’une victime au nom du droit qu’a le public d’être informé ? Où commence le droit à l’image, qui fait partie du droit au respect de la vie privée ?

Il s’appelait Benjamin Massing, il avait 55 ans et était un des héros du Cameroun quart-de-finaliste de la Coupe du monde 1990.  Il s’est éteint chez lui, à Edea le samedi 9 décembre 2017. Quelques heures après son décès, une vidéo le montrant couché dans un véhicule, sièges arrières rabattus en route pour la morgue ou mieux encore, l'illustre disparu visible dans la suite de la vidéo, allongé sur un lit dans l'une des morgues de la ville d'Edea a été publiée dans les réseaux sociaux. 

Ce qui choque dans la prise de ces vues, que ce soit au niveau de la maison familiale de l’illustre disparu ou au niveau de la morgue, même les infirmiers et le morguier se sont prêtés à cet exercice. Dans la vidéo, on les aperçoit: Tous munis de leur smart phone, entrain de procéder à la prise de vue du corps de l'illustre disparu

Dans la norme, la famille de Benjamin Massing devrait  porter plainte pour «atteinte à la dignité de la victime» contre les auteurs de ces images qui circulent dans les réseaux sociaux 

Pour de nombreux juristes, ce manquement montre une fois de plus que même si le droit à l’image est, au Cameroun, l’un des parents pauvres du droit positif, il oublie aussi de protéger les morts.

Depuis une première décision datant de 1974 jusqu’à très récemment, les juges ont eu à se prononcer sur la question du droit à l’image  et pour une fois de concert entre les deux ordres juridictionnel. Il sera parfois reconnu, mais semble devoir être négligé aujourd’hui.

Pour rappel, Dame Yomba Madeleine, (la tante  maternelle de l'auteur de ce texte)  s’était fait photographier en 1960 lors des festivités de la fête de l’indépendance du Cameroun (le 1er janvier) par une certaine dame Kay Lawson, photographe basée à New York aux Etats-Unis. 15 ans plus tard, alors qu’elle était en visite à Paris en France, Dame Yomba constatera que sa photo a servi à orner le calendrier de l’année 1974 de la société des brasseries du Cameroun.

Surprise de n’avoir pas été consultée par cette utilisation inédite de sa photo, elle assignera en réparation devant le Tribunal de Grande Instance de Yaoundé la société les Brasseries du Cameroun. Celle-ci, à son tour, appellera en garantie, l’Agence Rapho qui lui avait sélectionné  cette photo et les Editions Hello Cachan qui avaient produit le calendrier litigieux.

Les juges saisis devaient répondre à deux questions, la deuxième dépendant de la réponse donnée à la première ;

–  Y’a-t-il eu atteinte au droit à l’image de Dame Yomba ? La réponse est oui

–  Sur qui devait incomber la charge de la réparation du préjudice subi ? Au vendeur de l’image et à son utilisateur final.

Dans cette affaire, les juges ont affirmé avoir trouver « ...au dossier des éléments d'appréciation suffisant pour évaluer à un million de francs le taux des dommages intérêts réparant l'entier préjudice subi par dame Yomba ». 

Pour le cas des morts et plus précisément celui du goléador Benjamin Massing, les auteurs des vidéos qui circulent actuellement sur la toile devraient être poursuivis. Tâche qui incombe à toute personne compétente ou ayant qualité pour saisir les juridictions compétentes

Le droit à l’image issu de l’article 9 du code civil fait partie des droits de la personnalité, ensemble qui est fréquemment sujet à débat. Le droit à l’image des morts plus particulièrement, puisqu’il touche particulièrement l’affect, est un sujet de perpétuelles controverses. 

Les juges se fondent à présent sur l’article 9 du code civil qui dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit au respect de la vie privée comprend un droit à l’image. La question s’est longuement posée de son étendue et il semble alors qu’une limite soit à observer en ce qui concerne les morts.

Plus largement, le droit à l’image est considéré comme un droit de la personnalité. La jurisprudence a décidé à plusieurs reprises que ces droits ne sont pas transmissibles, mais la solution, si elle est claire aujourd’hui, résulte d’un long débat. Le principe, qui ne souffre pas d’exception, s’applique évidemment au droit à l’image et donc aux personnes décédées. 

Néanmoins, la question se pose encore fréquemment de la possibilité d’un droit à l’image des morts. Tantôt ce sera la dignité de l’être humain qui sera invoquée, tantôt le droit pénal, qui impose l’obtention du consentement de la personne pour diffuser sa photographie.

Mais comment obtenir le consentement d’une personne décédée ? Alors qu’en droit, le décès est difficilement appréhendé, il semble tout de même que la personne décédée perde à ce moment de façon automatique les droits qui sont attachés à la personne. Par exemple, les droits patrimoniaux sont transmis et les droits de la personnalité, comme ce qui a été exposé, s’éteignent. L’existence juridique d’une personne semble alors devoir s’arrêter au moment du décès, à l’exception de quelques cas insusceptibles de remise en cause, comme la dignité de l’être humain.

Par quels moyens est-il possible de se protéger malgré tout des diffusions indésirables de l’image d’une personne après sa mort ?

Il ne semble pas utile de distinguer des images prises du vivant de la personne, de celles prises justement une fois la personne décédée : la jurisprudence ne semble pas non plus s’intéresser à la question, d’autant plus que le régime qui va être exposé ici ne constitue qu’une protection et non une prévention. 
En effet, quel que soit le moment où la photo est prise, la mort vaut extinction du droit à l’image (I). Cependant, la diffusion de photographie d’une personne morte peut toujours causer un préjudice moral (II) qui, lui, ne s’éteint pas avec la mort de la personne dont l’image est fixée.

I - L’extinction du droit à l’image

Le droit à l’image répond au régime plus général des droits de la personnalité. Il n’y a pas d’ambigüité quant à l’application de ce régime au droit à l’image, alors même que les droits de la personnalité (A) regroupent plusieurs droits spécifiques qui s’éteignent avec le décès des personnes lésées dans ces droits (B).

A - Les droits de la personnalité

Ces droits sont généralement issus de constructions prétoriennes ou même doctrinales. Il s’agit entre autres du droit au respect de la vie privée, du droit à l’image ou encore du droit moral de l’auteur. Selon certains auteurs, ils ont vocation à protéger soit l’intégrité physique, soit l’intégrité morale. Ce sont ceux protégeant l’intégrité morale qui nous intéressent ici dans la mesure où ceux relatifs à l’intégrité physique ne s’arrêtent pas avec la mort. De plus, le droit à l’image est davantage à rattacher aux droits portant sur l’intégrité morale. Il sera essentiellement question de cette seconde catégorie à présent.

En ce sens est-il possible de considérer que les droits de la personnalité sont des droits extrapatrimoniaux inhérents à la personne et inaliénables ? Ils sortent du patrimoine de la personne dans la mesure où ils ne sont pas transmissibles. Le droit d’auteur par exemple comprend des droits patrimoniaux transmissibles et des droits moraux qui, eux, ne le sont pas et s’arrête avec la mort de l’auteur. Ils sont attachés à la personne puisque seule la victime peut s’en prévaloir et a intérêt à agir en vue de leur protection. Enfin, ces droits sont inaliénables dans la mesure où il est toujours possible de les invoquer pour se protéger d’une atteinte, comme dans le cas du droit à l’image qui, s’il peut être cédé, ne peut l’être totalement et reste néanmoins toujours invocable. De plus, ils concernent en vertu de cette caractéristique toutes les personnes physiques, sans distinction possible.
Les droits de la personnalité semblent donc devoir s’éteindre avec le décès de la personne, ce qui pose le problème de la pérennité de la protection apportée, notamment pour le droit à l’image.

B - L’extinction des droits de la personnalité

Le Code civil énonce à l’article 16-1-1 que le « respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort ». La protection apportée à l’intégrité physique par les droits de la personnalité ne cesse pas avec la mort de leur titulaire. Est-ce pour autant qu’il intégrerait son patrimoine ? La réponse est évidemment négative dans la mesure où il ne s’agit toujours pas d’un droit transmissible, malgré l’intérêt à agir de la famille.

À l’inverse, les droits liés à l’intégrité morale cessent bel et bien avec le décès de leur titulaire. L’exemple de la présomption d’innocence est fréquemment cité, le juge considérant qu’il n’est pas transmissible et s’éteint avec la personne. Une telle disposition s’explique dans la mesure où il n’est plus possible de poursuivre pénalement une personne décédée. Il en va ainsi pour le droit à l’image. La première chambre civile de la Cour de cassation en a jugé ainsi dans son arrêt du 14 décembre 1999. Il s’éteint de plein droit avec le décès de la personne qui en est titulaire, rendant impossible un recours de la part des héritiers de cette dernière sur ce fondement.
Le juge a tout de même réservé une voie détournée pour les ayants droits de la victime afin qu’ils puissent se protéger a minima contre la diffusion d’image de leur proche qui ne les satisferait pas.

II - Une protection sur le fondement du préjudice moral

Il est facilement concevable qu’une famille en deuil ne souhaite pas voir diffuser des photographies de leur proche récemment décédé. Le juge admet alors qu’ils puissent subir en pareil cas un préjudice moral sur le fondement duquel ils demandent réparation. La Cour de cassation la première a fait état de cette possibilité en ouvrant un contentieux de la responsabilité civile (A). Elle a été suivie par le Conseil d’État qui, de façon originale, fait une application directe des dispositions du code civil (B).

A - L’image des morts protégées par la responsabilité civile

Fidèle à sa ligne de conduite, la 1re chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 22 octobre 2009 refuse de faire application de l’article 9 du code civil au motif que le droit qu’il prescrit s’est éteint avec son titulaire. En l’espèce, un ouvrage avait été publié retraçant la vie d’un acteur. L’un de ses enfants, se sentant atteint dans son intimité par les clichés qui y étaient reproduits, a assigné les auteurs et l’éditeur sur le fondement du droit à l’image de l’article 9 du code civil.
Les juges ont alors rejeté sa demande en faisant une application constante de la jurisprudence. En revanche, les juges ont consacré la possibilité de rechercher la responsabilité des auteurs sur le fondement de l’article 1382 du même code : « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’arrêt énonce en vertu de cet article que « les proches d'une personne décédée ne peuvent contester la reproduction de son image qu'à la condition d'établir le préjudice personnel qu'ils en éprouvent, déduit le cas échéant d'une atteinte à la mémoire du mort ou au respect qui lui est dû ».
Il faut donc, comme dans tous les cas de responsabilité civile, que la personne s’estimant victime de la diffusion d’une photographie en éprouve un préjudice moral personnel, causé par cette diffusion. Sans cette condition il est impossible de rechercher la responsabilité d’une personne auteur d’un préjudice, c’est en application de ce principe que les juges ont estimé que la publication de la photographie devait causer un préjudice moral. Il convient de souligner qu’il ne s’agit pas d’une interdiction : les photographies en question sont diffusables de droit à la mort de la personne titulaire du droit à l’image. De façon subsidiaire, les ayants droit peuvent demander à ce qu’elles ne soient pas diffusées et, en plus, leur demande doit être justifiée.

Le raisonnement n’est pas dénué de sens, à tel point que le Conseil d’État a repris le raisonnement à son compte en se reconnaissant compétent lors d’une espèce similaire et en faisant application du code civil.

B - L’application directe des dispositions du code civil par le juge administratif

À l’origine de l’arrêt du Conseil d’État du 27 avril 2011, l’enregistrement filmé d’un entretien entre un psychanalyste et une artiste avait été diffusé à l’occasion d’une exposition, après la mort du praticien. Ses enfants ont formé un recours de plein contentieux afin d’obtenir réparation de la diffusion de ces entretiens.

Le Conseil d’État a estimé, tout comme le juge civil, que « le droit d'agir pour le respect de la vie privée ou de l'image s'éteint au décès de la personne concernée ». Le juge administratif poursuit le raisonnement et énonce que « si les proches d'une personne peuvent s'opposer à la reproduction de son image après son décès, c'est à la condition d'en éprouver un préjudice personnel, direct et certain ». Le vice n’est cependant pas poussé au point de citer directement l’article 1382 du Code civil, mais le code est néanmoins effectivement visé. Quoi qu’il en soit, le résultat est le même : il faut, pour rechercher la responsabilité d’un auteur de la diffusion de l’image d’un mort, un préjudice personnel. Le juge renforce néanmoins cette exigence en ajoutant que le préjudice doit être direct et certain, formulation courante dans ses décisions.

Au regard de notre analyse et de notre constat….

La question qui se pose est donc de savoir par quels moyens est-il possible de se protéger malgré tout des diffusions indésirables de l’image d’une personne après sa mort ?  Telle est la question de la semaine

Bibliographie

- Les Grandes Décisions de la Jurisprudence civile Camerounaise, sous la direction du professeur François ANOUKAHA
- Identité numérique après le décès de Paul Muriel Mose, PP-95-96. Ed Flamarion
-  Le Code Civil

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