Yaya Souleymanou : « Ahidjo et Biya sont pareils»
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Quels souvenirs avez-vous gardé de votre carrière de sous-préfet ?
Je me retrouve dans la préfectorale de manière spéciale, car je débute comme instituteur, ensuite, je suis dans l’administration municipale, notamment en 1958, comme le secrétaire général de la commune de Ngaoundéré auprès du maire Ndoumbé Oumar ; à Mora en 1961, toujours comme secrétaire général et je suis affecté à Kaélé par la suite. Je deviens sous-préfet en 1964, une fonction que j’ai assumée à Meiganga, Guider, Garoua, Mokolo, Kousseri, jusqu’à mon départ à la retraite en 2006.

Je précise néanmoins que ma carrière dans l’administration camerounaise après l’indépendance de notre pays, a permis de sortir le peuple Dii de l’Adamaoua, des préjugés de domination des Peuls avant la colonisation. Je suis en effet, le premier fils de ce peuple à être sous-préfet. Je n’ai fait que le cour moyen avec les Blancs et des Noirs, après avoir été accepté à l’école Mabanga de Ngaoundéré. En 1952, je suis major au certificat d’études primaire et élémentaires. Et à l’époque, un titulaire du certificat d’études primaires élémentaires ne pouvait devenir commis d’administration que par voie de concours indirect.

Je fais ce concours que je brave, mais je suis éliminé à l’oral. Ça parait comme une indignation pour mon peuple qui est déjà minoritaire. Je dois avouer que je dois ma percée dans la haute administration par ma reconversion à l’islam en 1963, ce d’autant que le Cameroun suivait son processus d’islamisation. Je suis donc nommé comme adjoint au sous-préfet de Meiganga en 1963 et je remplace mon chef Bouba Kabou comme sous-préfet en 1964. Mais j’ai tout fait de ma vie ; j’ai travaillé comme président du tribunal, instituteur, etc. J’avais cette possibilité d’être connu et par les Camerounais, et par les Blancs. Je faisais mes tournées aves ces Blancs. C’était un avantage et ça ma facilitait beaucoup de choses.

J’ai travaillé avec les derniers Blancs qui sont restés. Nous avons fait beaucoup de choses ensemble et nous nous sommes dit les vérités qui étaient les nôtres. Ces Blancs nous ont appris ce qu’il fallait pour qu’on puisse s’assumer après leur départ, notamment en ce qui concerne l’administration. Ils ne nous ont pas appris la technique. Il a fallu qu’on s’habitue avec les Blancs qui nous apprenaient ce qu’ils pouvaient nous permettre d’apprendre. C’était néanmoins des choses intéressantes et je ne les critique pas.

Les Blancs ont beaucoup fait avant de céder la place aux Noirs. Il fallait se montrer respectueux envers ces Blancs, on ne pouvait s’imposer. Il fallait être bien avec eux pour qu’ils nous cèdent ce qu’ils connaissaient et que nous devions apprendre. Il fallait avoir la bonne volonté de reconnaître que ces Blancs étaient utiles. Les premiers Noirs qui ont pris le commandement après le départ de ces Blancs, au moment où on s’apprêtait à accéder à l’indépendance, on les appelait les Blancs-Noirs. Mais il est établi et admis que ces Blancs ont tout fait pour les Noirs les respectent. C’est donc après avoir profité de ce que les Blancs ont bien voulu nous céder que nous avons aussi commencé à faire comme eux après l’indépendance du Cameroun. Nous sommes restés sous le contrôle des Blancs, car il ne fallait pas qu’ils abîment tout ce qu’ils nous avaient légué. Nous devions leur reconnaître le statut de Blancs, de meilleurs et tout allait bien avec eux.

Un sous-préfet n’avait donc pas un grand pouvoir ?
Il fallait marcher avec les Blancs parce qu’ils avaient les archives. Ces archives étaient d’une utilité certaine ; il ne fallait pas les négliger. A défaut, les Blancs détruisaient tout et vous restiez sans souvenir. Il fallait donc être intelligent, c’est-à-dire rester bien avec les derniers Blancs qui tenaient encore ces archives. Il valait mieux ne pas jouer les grands messieurs face aux Blancs, ne pas avoir une force de frappe, ne pas avoir le sens des problèmes. Aujourd’hui, un sous-préfet doit se prémunir de ses qualités humaines pour ne sombrer dans les travers. Il doit être prédisposé à apprendre de ses administrés, et s’il le veut, il sera un bon sous-préfet. Cette fonction n’est autre de la comédie.

Ques étaient vos rapports avec le président Ahidjo ?
J’ai commencé avec Ahidjo en 1953, je crois. En effet, sa mère venait chez moi et dormait même ; son fils Badjicka et sa femme aussi. C’est une famille que je connais bien, que j’aime bien et qui m’a aimé aussi. Cette famille m’a permis de connaître certaines affaires en son sein, et de l’administration. Elle m’a permis d’accéder partout. Ahidjo m’a aidé, parce qu’à partir de 1956, il voulait être député à l’Assemblée française. Jules Ninine, un Martiniquais, s’est présenté aussi aux mêmes élections françaises. Et Ahidjo n’a pas pu franchir.

Jules Ninine l’a battu aux élections de 1956 parce qu’il était beaucoup plus connu ; il était considéré comme un Français. Ahidjo n’a certes pas percé à ces élections, mais on a reconnu en lui quelqu’un de sage ; il était connu pour sa sagesse. Ahidjo avait la facilité de connaître beaucoup de gens. Je ne sais pas s’il a beaucoup aimé les Blancs, mais les Blancs, par contre, ne l’ont pas beaucoup aimé parce qu’il avait une certaine hauteur dans ses points de vue. Comme sous-préfet, je communiquais avec Ahidjo aisément. Et à Garoua, les derniers Blancs qui s’y trouvaient à l’époque étaient mes amis. Donc, je n’avais pas de grandes difficultés.  

Que pensez-vous de son remplaçant, le président Biya ?
Je peux dire qu’Ahidjo et Biya sont pareils. Ahidjo a fait ce qu’il a pu avec les moyens qu’il avait ; Biya est aussi en train faire ce qu’il peut avec les moyens qu’il a. Celui qui mal parle d’Ahidjo, c’est qu’il ne l’a pas connu. C’est un monsieur qui a aimé le Cameroun et les Camerounais. Il a voulu que le Cameroun soit un pays puissant avec beaucoup de possibilités économiques. Mais il a eu beaucoup d’ennemis, les gens qui ne l’aimaient pas. Il a fallu qu’il se soumette, tout en évitant de se soumettre aveuglement.

Ahidjo voulait que les Camerounais soient des gens nobles, des gens capables parce qu’ils auront appris à travers les Blancs et à travers leurs frères Noirs. C’est cette oeuvre qu’a tenue à poursuivre Biya qui est un homme respectueux, correct, mais avec une forte personnalité. Il a beaucoup respecté Ahidjo, autant il l’a aimé. Je le connais bien, sa femme, sa famille, car nous avons fait beaucoup de choses ensemble, comme avec Ahidjo. Nous allions à la pêche ensemble, nous cherchions du bois ensemble… Biya n’a jamais voulu que je lui parle en Français, mais toujours en Bulu. Cette habitude m’a obligé à parler la langue Bulu tant bien que mal. J’avais mon maître qui était Bulu, Oba Joseph Emmanuel ; c’est lui qui m’enseignait la langue Bulu.

Ça a été une joie pour moi d’apprendre cette langue que je parlais et écrivais. Je peux toujours voir Biya aujourd’hui, mais je l’évite. Bref, j’ai eu la chance de connaître les deux hommes. Mais Biya n’a pas aussi voulu se soumettre aveuglement à tout le monde ; il voyait clair, aimant pareillement les Camerounais comme Ahidjo. Mais chacun de ces deux présidents a employé sa méthode. Biya n’est pas un homme méchant, comme son prédécesseur. On ne pas en vouloir à Paul Biya, sous prétexte qu’il n’a pas réalisé certaines choses.

On peut lui en vouloir, le pauvre, parce qu’on veut prendre son pouvoir. C’est Dieu qui donne le pouvoir. Qui a déjà tout fait sur cette terre ? Ahidjo, lui, a aussi commencé et Biya est venu continuer. Ces deux présidents ont fait ce qu’ils ont pu, chacun. Nous devons donc apprendre à aimer Biya, comme Ahidjo. Nous devons de manière générale, apprendre à nous aimer, nous connaître, tout en admettant nos qualités, nos défauts. Nous ne devons pas condamnez les autres sans raisons valables.

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