Le “˜'délit'' d'être fils de“¦
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CAMEROUN :: Le “˜'délit'' d'être fils de“¦ :: CAMEROON

Il a juste suffi qu’ils déposent leurs dossiers de candidature aux concours en cours à l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (ENAM) pour qu’une espèce d’hystérie collective s’empare d’une opinion manifestement en quête d’exutoire.

Parmi les animateurs de la vive polémique qui va ensuite fleurir sur les réseaux sociaux, une frange importante de Camerounais trouve inimaginable que Brenda et son frère Junior Biya postulent et qui plus est pour le cycle B de l’ENAM. Une démarche, à leur goût, indigne des héritiers de Paul Biya, surtout après tant d’années passées à étudier hors du pays. Pour d’autres, même s’ils n’ont pas besoin de ça, une chose est cependant sûre : leur réussite est d’ores et déjà programmée.

D’après ce raisonnement, qui frise l’insulte à l’intelligence de ces deux jeunes compatriotes n’ayant pas demandé à être les enfants du premier Camerounais, cette certitude n’est pas assise sur leurs aptitudes intellectuelles, mais est avant tout garantie par leur naissance, en d’autres termes par leur statut de rejetons du chef de l’Etat. « Qui oserait faire échouer l’enfant du Président ? » Voilà l’argument imparable qu’ils brandissent. Et depuis la publication des admissibilités, la polémique a repris de plus belle.

Ce qui arrive aujourd’hui à la progéniture présidentielle, d’autres fils de… le vivent depuis toujours. Il suffit de s’appeler Muna, OwonaNguini, Ahidjo, Sadi, Doumba, Ndioro…, pour que toute prise de position publique ou tout bénéfice d’un privilège républicain soit sujet à supputations ou à débat presque toujours passionnel, et à plus forte raison une promotion ou une réussite à un concours dans une grande école prisée, surtout si elle est jugée fulgurante ou prématurée.

A écouter certains Camerounais, nul doute que, sans exception, les fils de…empruntent l’ascenseur, quand les autres n’ont d’autre choix que l’escalier avec peu de chance de parvenir un jour au sommet de l’échelle sociale. Pour beaucoup, il est difficilement concevable qu’un fils de…réussisse sans avoir été pistonné par son père ou sa mère. Sur toute réussite d’un fils de…pèse donc fatalement une présomption d’incompétence,et par ricochet de favoritisme. Autant dire que toute nomination, tout recrutement ou tout succès à un concours porte forcément l’empreinte du géniteur.

Et l’attitude de beaucoup de géniteurs privilégiés par la République contribue à donner raison à ces procureurs implacables. Par exemple, les directeurs généraux qui se sont succédé à l’ENAM vous diront qu’à la veille de l’organisation des concours, rares sont les hautes personnalités qui ne leur ont pas un jour passé un coup de fil pour assurer la place de leur progéniture. De là à déduire que les parents haut placés sont forcément enclins à intervenir à chaque étape du parcours professionnel, voire même académique de leurs rejetons, afin de les propulser au sommet de l’échelle sociale, il n’y a pas loin de la coupe aux lèvres. Comme si le privilège d’être fils de…, qui confère un avantage certain sur les marginalisés de la République, ne suffit pas déjà. Donnant ainsi raison à ceux qui se convainquent qu’être fils de…, est synonyme d’inaptitude, de succès grâce au piston, et constitue par ricochet un ‘’délit’’, un péché. En tout cas un fardeau ou un boulet.

Une manière de voir d’autant plus communément admise qu’on se trouve dans un contexte où l’ascenseur social a été, depuis belle lurette, « grippé par des mécanismes de confiscation des responsabilités sociétales par une poignée de privilégiés». Normal alors que toute réussite, toute promotion d’un fils de…devienne vite suspecte. Normal aussi qu’on échoue à un concours forcément parce qu’un fils de…a pris la place dévolue à celui qui n’est pas fils de… Comme si être fils de pauvre inocule automatiquement l’intelligence.

Certes, parmi les fils de…, on recrute beaucoup de cancres et de paresseux qui se contentent de jouir des privilèges liés à leur seule naissance, estimant n’avoir plus aucun effort à fournir, puisque tout a déjà été fait pour eux. La preuve : beaucoup ont été mis à la porte de certaines grandes écoles, à l’instar de l’ENAM, pour insuffisance académique, et d’autres ne sont parvenus à la fin de leur cursus académique que parce qu’ils portent bien leur nom.

Force est pourtant d’admettre que beaucoup de fils de… sont brillants, très brillants même. Cerise sur le gâteau, dès leur venue au monde ils ont tout pour réussir : vie à l’abri du moindre besoin, études dans les meilleurs établissements d’ici et d’ailleurs, sans être soumis à un autre stress que celui de passer leurs diplômes. En cela, ils ont un avantage psychologique certain sur les fils de familles modestes ou pauvres, obligés eux de lutter contre la vie parfois dès le bas âge, et de terminer leurs études au prix de mille sacrifices. Leur trajectoire est jonchée d’obstacles parfois infranchissables qu’on pourrait soupçonner de nourrir leur aigreur. Au-delà, l’on perd très souvent de vue que sur la voie de la promotion sociale, se dresse un principe fondamental admis ici comme sous des cieux supposément plus respectueux de l’égalité des chances :

«Pour gravir les degrés de l’échelle sociale, plusieurs facteurs doivent être réunis : qualités individuelles, milieu familial et social, réseaux et comportement ». Si partout «le contexte familial et socio-économique d’origine constitue l’un des déterminants majeurs du niveau d’instruction et de revenus d’une personne », il est aussi établi que l’influence du niveau atteint ou non par les parents influe sur les perspectives de carrière de la progéniture.

D’ailleurs, une étude de l’OCDE montre que « les enfants dont les parents ont un bon niveau de formation ont généralement eux-mêmes un niveau d’instruction élevé et ont moins de difficultés à trouver un emploi bien rémunéré. En revanche, tout se ligue contre les enfants qui ne bénéficient pas de ce cercle vertueux. » Si donc il est prouvé que les fils de…tirent naturellement privilège de la position et des relations de leurs géniteurs, il faut donc battre en brèche la croyance bien camerounaise qui tend à fixer dans les mentalités qu’être fils de… constitue un ‘’délit’’. Et qu’un fils de…ne peut réussir par lui-même.

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