Pr Jean-Emmanuel Pondi : « Il n'y a pas d'eldorado hors d'Afrique »
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La  planète  toute  entière vient  d’être  scandalisée par la vente aux enchères de migrants en Libye. A votre avis, qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ?
En réalité, il s’agit de la résultante d’un chaos structurel qui est en train de s’installer dans ce pays, résultante d’une déliquescence qui a commencé en  2011  avec  l’assassinat  du guide  Mouammar  Al-Kadhafi sous des prétextes aujourd’hui manifestement  fallacieux.  La Résolution 1973 qui était supposée protéger la société civile libyenne a réellement servi à assassiner  un  chef  d’Etat  en exercice  dans  son  pays  et  à l’intérieur de son propre territoire.

C’est une grande première malheureuse et aujourd’hui, on se rend compte que les conséquences tragiques dépassent la violation juridique pour aller dans la désorganisation totale, complète,  socio-économique, politique et maintenant culturelle de ce pays. En deuxième lieu,  on  peut  également  dire qu’il faut remonter à l’histoire des relations entre le nord de l’Afrique et la partie sub-saharienne,  pour  le  relever  et  le déplorer naturellement, que la traite des esclaves transsahariens  a  duré  douze  siècles.

Alors que le commerce transatlantique, toujours des mêmes esclaves, a, lui, duré trois siècles. Il ne faut se réjouir ni de l’un, ni de l’autre des deux commerces  sus-évoqués.   Mais,  il est resté quand même des habitudes et des comportements vis-à-vis  des  Noirs  subsahariens qui ressortent aujourd’hui dans cette situation de chaos total. Il est à déplorer qu’on en arrive à ce point où l’Humanité des  êtres  est  totalement  bafouée quand on vend des êtres humains  à  200,  400  euros, c’est le comble de l’abomination  

A vous entendre, ce drame ne  serait  pas  arrivé  si l’OTAN  n’avait  pas  bombardé la Libye et fait tuer Muammar Kadhafi ?
Le  leader  Kadhafi  n’était  pas un saint et personne ne saurait le nier. Il a commis des erreurs et des fautes assez graves en demandant le bombardement jusqu’à  deux  avions  de  ligne transportant  des  civils.  Ceci est vrai. Mais la question  qui reste  aujourd’hui  à  poser  est celle  de  savoir  qu’est-ce  qui était mieux ? La Libye qui était la première  puissance économique d’Afrique ou la Libye qui est totalement  chaotique,  ingouvernable  et  à  travers  laquelle  passent  toutes  sortes de  trafics,  y  compris  maintenant, hélas, les trafics humains? Il  me  semble  que,  en  toute bonne conscience, la réponse est que la Libye d’avant 2011 ne peut en rien être comparée à ce qui se passe aujourd’hui. On nous avait promis développement, démocratie et progrès de la Libye dans un hypothétique Conseil national de transition  (CNT),  soit  disant.  On nous avait  parlé des amis de la Libye de l’époque. On nous a  montré  et  fait  miroiter des changements supposément démocratiques  de  la  Libye.  

Où nous  trouvons-nous  aujourd’hui? Voilà la seule question que nous devons nous poser.  Les  Libyens  comme  les Africains  ont  été  dupés  et  il faut au moins avoir le courage de reconnaitre ces erreurs au lieu  de  se  réfugier  dans  une arrogance  qui  est  insultante aux  victimes.  Je  pense  que c’est aussi ça la grandeur des nations. La grandeur des civilisations c’est aussi de reconnaitre  quand  on a  erré. 

Mais, nous sommes toujours face à des gens qui ont toujours un discours  assez  arrogant  et condescendant alors qu’ils ont crée  un  chaos total  et  indescriptible  en  Libye.  Ceux  qui sont responsables de ces forfaits doivent répondre de cela devant la justice internationale. Il est vraiment impératif de ne pas avoir deux systèmes judiciaires, l’un pour les pays supposément  pauvres  et  l’autre pour  les  pays  prétendument riches.  Voilà  ce  à  quoi  nous sommes en train d’assister aujourd’hui et c’est vraiment déplorable.

Quelle peut être la part de responsabilité des Africains dans cette tragédie ?
Le fait pour les Africains d’avoir une  obsession  du  départ  est une fatale  erreur. Il n’y a pas d’eldorado  hors  d’Afrique. Puisque l’Afrique contient des richesses  qui  sont loin  d’être explorées.  Il  faut  que  nous nous réorganisions, mais  que nous croyions en nous-mêmes. Ce qui est le plus grand déficit dont nous devons reconnaitre l’existence.  Les  Africains  ne croient pas en eux, ne pensent pas que l’Afrique peut s’organiser. La plupart des Africains sont  extravertis.  Ils  pensent que le bonheur d’Afrique vient hors d’Afrique. Je suis au regret de dire que ce sont des illusions fatales  et  suicidaires. 

Il  n’y  a pas  de  continent  qui  se  soit développé  simplement  en comptant sur les autres. Il n’y a pas d’exemple de continent qui ait prospéré en ne comptant que  sur  l’aide  internationale. Je suis résolument pour la coopération  internationale,  mais à condition que celle-ci vienne en sus de nos propres efforts.

Nous  devons  être  au  centre de  notre  processus  de  changement et de progrès. Les autres de la communauté internationale peuvent venir en appendice,  mais  pas  comme  le moteur de ce développement comme nous semblons le croire dans notre manière de réfléchir. Pour ma part, j’en appelle à un changement de paradigme, de comportement et de rapports vis-à-vis de nous-mêmes. Nous ne pouvons pas nous développer en espérant que c’est l’immigration  qui  va  nous  développer. 

Ça  ne  s’est  vu  nulle part  et  un  continent  comme l’Afrique  est  un  continent  où se trouve logée la plupart des richesses du monde. Les jeunes Africains  quittent  cette  terre où  se  trouvent  ces  richesses pour se rendre à leurs risques et périls là où on les transforme. Voilà le grand paradoxe. Je suis pour une coopération internationale où nous sélectionnons les termes de cette coopération et les domaines qui nous semblent probants pour notre propre  devenir.  Ce  qui  se  passe en  Libye  est  vraiment  la  négation de l’Humanité africaine .

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