Cameroun, émigration clandestine : Ce que Cameroon-Tribune ne comprend pas
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Cameroun, émigration clandestine : Ce que Cameroon-Tribune ne comprend pas :: CAMEROON

Lorsque Cameroon-Tribune titre « Une aventure à déconseiller » pour parler de l’émigration de ces jeunes qui quittent le pays afin d’aller chercher fortune ailleurs, en se posant la question de savoir : « Comment un jeune capable de lever des fonds au travers des prêts et autres contributions familiales pour réaliser son rêve d’aller vivre en occident, en empruntant des voies peu orthodoxes à ses risques et périls, ne peut procéder autrement pour monter une affaire génératrice de revenus sur place ? », le quotidien national met le doigt sur un problème, mais formule une mauvaise réponse. Ceci s’explique sans doute par le fait que sa ligne éditoriale est de défendre le gouvernement à tout prix. Pour y réussir, il faut diaboliser la jeunesse en affirmant son inconscience et surtout sa bêtise. Une posture idéologique qui ne permet pas de trouver les réponses qu’il faut à une situation qui ne s’arrêtera pas avec le retour de quelques migrants.

Loin de faire l’apologie d’une situation dangereuse pour les jeunes, pour leurs familles, il s’agit d’établir les responsabilités et de proposer les solutions adéquates pour endiguer le mal.

Vivre mal, un choix de la jeunesse ?

Les candidats à l’émigration, le journal l’affirme, mais pour reprendre une pensée qu’elle ne semble pas partager, qu’ils sont le produit de la mal-gouvernance des Etats subsahariens « producteurs de migrants clandestins ». Il ne s’agit pas de revenir sur ce qui en réalité est un secret de polichinelle. En prenant le cas spécifique du Cameroun, il est donné de se rendre compte à l’évidence que le système de gouvernance en privilégiant l’enrichissement de quelques élites politiques, a réussi à faire croire au camerounais lambda que le bonheur se trouve ailleurs. A force de vivre au quotidien cette exclusion sociale et structurelle qui se sert d’une violence symbolique pour se réaliser, la jeunesse a fini par intérioriser le fait que c’est sa responsabilité de se battre comme elle peut. Se refusant par conséquent à la clochardisation à laquelle elle risque d’être soumise sur place, elle a fait le choix de vivre mal, mais ailleurs. Ce qui arrange les affaires du gouvernement. Sauf que la vente des esclaves en Libye, et avant, la maltraitance subie par de jeunes camerounaises au Liban ont fini par fissurer, lézarder un système qui se revendique toujours comme un « havre de paix ». Ce sont des corps mutilés, désincarnés ; des esprits brisés, errants comme des fantômes à la recherche d’un lieu pour reposer leurs âmes et leurs corps pourrissants qui s’offrent à voir, derrière tous les mensonges du gouvernement.

Pourquoi les jeunes partent ?

Mais comme celui-ci ne veut pas admettre sa responsabilité, il faut bien qu’il établisse la « responsabilité personnelle » de chaque candidat à l’exil. Ainsi, Cameroon-Tribune soutient que le Cameroun offre tellement de possibilités, de largesses, que des « étrangers (…) y font proprement fortune », « ils tirent leur épingle du jeu et ne songent même plus à repartir ». Ce qui n’est pas faux. L’on sait que les Nigérians, les Maliens, les Sénégalais, etc., installés au Cameroun se font le beurre et parfois l’argent du beurre. Mais on sait aussi que des jeunes camerounais qui essaient de se débrouiller, se font pourchassés par « Awara », que les impôts sont pour eux un véritable goulot d’étranglement ; que les décisions qui sont prises parfois au sommet pour alléger les procédures de créations d’emplois, les financements des projets-jeunes, ne sont pas respectées sur le terrain et qu’aucune mesure n’est prise contre les contrevenants.

Il va s’en dire, que les personnes prêtes à lever les fonds, que les contributions familiales sont rares quand il s’agit de financer un projet à réaliser au Cameroun, parce qu’elles n’ignorent pas la réalité

locale. Comment des parents seront-ils prêts à sacrifier leurs progénitures dans une aventure périlleuse et dangereuse, en sachant qu’elles peuvent mobiliser des fonds pour les aider à s’en sortir sur place ? Comment une personne sensée peut financer le projet d’un « voyageur » qu’il n’est pas sûr de revoir, alors qu’il peut avoir un œil sur son investissement si celui-ci est sur place ? C’est qu’il y a un doute sur la réussite au plan local, et ce doute est conforté par un gouvernement qui se montre à bien des égards, insouciant et complaisant.

En politisant la plupart des structures créées par l’Etat et destinées à financer, accompagner, les projets-jeunes, on a fait qu’aider la jeunesse à se débrouiller autrement. A s’en aller. De nombreux récipiendaires des fonds d’aide à la création d’entreprises, lorsqu’ils n’ont pas été sélectionnés sur la base d’un critère politique, ethnique ou par autres affinités, sont incapables de présenter des années après, le résultat de leurs activités. Malgré cela, ils ne sont ni de près ni de loin inquiéter. D’ailleurs, certains bénéficiaires ont utilisé ces fonds pour financer leur voyage à l’étranger. Comme dans la fonction publique, certains déserteurs qui vivent à l’étranger, tout en continuant à percevoir leur salaire, ne sont pas inquiétés. Une situation qui crée un sentiment d’injustice, et nourrit les ambitions des autres de s’en aller à tout prix. Au sommet, les gouvernants s’inspirant de Louis XV, par leurs vies ostentatoires disent aux autres « après moi le déluge ». Et les obligent à traverser la mer pour éviter de voir le chaos.

Comment freiner l’émigration ?

Il est peut-être temps, que l’on dépolitise les différents organismes en charge des questions de la jeunesse. Observatoire national de la jeunesse, Fonds national d’insertion des jeunes, Conseil national de la jeunesse, etc., doivent être des organismes des jeunes pour les jeunes et non des paravents du RDPC et de l’OJRDPC. Le choix des hommes dans ces organismes doit résulter d’une décision libre des jeunes eux-mêmes, et non obéir à la loi du militantisme et de la soumission à l’idéologie du parti au pouvoir.

Réussir une telle entreprise, c’est soumettre la jeunesse et ses préoccupations aux collectivités territoriales. Chaque mairie devant être capable, en fonction de sa réalité locale, de déterminer pour et avec sa jeunesse, quels types d’activités génératrices de revenus peuvent être mises en place. Une solution qui freinera d’abord l’exode rural, et à terme, l’émigration. Les jeunes, candidats à l’émigration, commencent par aller dans des grandes métropoles comme Douala et Yaoundé dans lesquelles ils étouffent. C’est là qu’ils apprennent, découvrent des « réseaux » de voyage après avoir essayé vainement de gagner leur vie décemment. Il faut déjà leur donner une possibilité de s’en sortir dans leurs villages. En regroupant les jeunes dans leurs divers districts, arrondissements, départements, au sein de projets communs, on fera d’une pierre deux coups.

Il faut donc déjà commencer par ceux revenus de la Libye. Le plus important n’est pas de leur donner 65.000 Frs pour retourner dans leurs familles, mais de les suivre, de les regrouper si possible, et de les amener à travailler en petits groupes autour de projets qui seront entièrement financés par le gouvernement. S’ils doivent être la « mascotte » de la lutte anti-émigration, il faut qu’ils soient autonomes financièrement ; que leur réussite sur le plan local, serve d’exemple aux autres. « Ils sont partis, ils ont vu, ils sont revenus, et ils ont réussi ».

Au final, seule une décentralisation effective et une dépolitisation totale des affaires de la jeunesse peuvent garantir le combat contre l’émigration clandestine.

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