DR EFOUBA NGA SOSTHENE : « Le Zimbabwe parle à  l'Afrique centrale »
CAMEROUN :: POINT DE VUE

CAMEROUN :: DR EFOUBA NGA SOSTHENE : « Le Zimbabwe parle à  l'Afrique centrale » :: CAMEROON

Le politologue, chargé de cours à l’Université de Yaoundé 2 à Soa, auteur de l’ouvrage « la crise des ressources humaines et l’échec des politiques publiques au Cameroun. Vers la construction d’une administration moderne » paru aux Editions L’harmattan, consultant en gouvernance, spécialiste des questions de politiques publiques de management aborde la chute de Robert Mugabe, le rôle des premières dames et la galanterie du passage du témoin et se projette sur la suite réservée aux autres chefs d’Etat en Afrique.

Quelle est votre analyse de la situation qui prévaut en ce moment du Zimbabwe ?
Je pense que cette crise pose un problème d’un pouvoir perpétuel c'est-à-dire d’un pouvoir qui dure et où le chef de l’Etat est suffisamment âgé .94 ans cela est assez inquiétant parce que parfois lorsqu’il faisait la revue des troupes, il tombait régulièrement ; ce qui signifie qu’il a une santé fragile. Comme ce sont les gens qui s’accrochent au pouvoir et ne veulent pas laisser les privilèges, un dictateur ne s’avouant jamais vaincu, il tombe comme un enfant et s’en va tout honteux parce que poussé contre son gré. C’est un dictateur qui s’en va et sachez que tout est vanité, chaque chose a un début et une fin. Il faut pour cela quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent. Il faut souvent partir au lieu d’être débarquer.

L’ordre constitutionnel qui a d’abord été violé est-ce normal dans un Etat comme le Zimbabwe ?
L’ordre constitutionnel a été remis en cause c’est pour cela qu’aujourd’hui (hier) l’Assemblée nationale s’est réunie pour amorcer la procédure de destitution car il fallait au moins 50 députés pour que le quorum soit atteint. Je pense que les autorités militaires et les représentants de son parti ont accepté de suivre la voie constitutionnelle c’est pour cela qu’au dernier moment son conseil de ministre qu’il a tenté de convoquer a accouché d’une souris, les ministres pour la plupart ont boudé cette convocation ce qui traduit du coup un désaveu, je pense que ça été d’abord un ordre illégal de prise de pouvoir par les militaires mais il n’y a pas eu de violences ce qui fait qu’aujourd’hui l’on est revenu sur l’ordre établi par les instances constitutionnelles.

Pourquoi c’est toujours en Afrique que la plupart des scenarii de ce genre se produisent avec des chefs d’Etat humiliés après avoir servi leur pays ?
On a des fausses démocraties qui ne sont construites qu’autour de la personnalisation du pouvoir par les dirigeants ou de la minorité qui gravite autour de ce pouvoir parce que bénéficiant de quelques strapontins. En Afrique l’on a charcuté la souveraineté du peuple pour le remettre entre les mains des hommes, ce qui signifie en réalité qu’en Afrique les hommes sont plus forts que les institutions alors que les institutions sont là pour encadrer la démocratie. Le constat fait état de ce que l’on a dans la praxis des parlements obèses, un parti politique- Etat qui règne qui avale les autres partis politiques et les acteurs. Conséquence, le jeu démocratique n’est pas fait. C’est pour cela que Jacques Chirac disait en 1984 à Abidjan que « la démocratie est un luxe pour l’Afrique ». Nous sommes des régimes semi-dictatoriaux, semi-démocratiques et cette confusion ne rend pas toujours service aux Africains et au continent.

Une sortie à la Mugabe peut-elle déteindre sur toute sa carrière en tant que défenseurs des causes parfois nobles ?
Il a fait son temps et cela n’enlève en rien que c’est le père de la révolution zimbabwéenne, c’est lui qui a construit le pays et c’est même pour cela qu’on a négocié avec lui auquel cas il aurait connu un sort triste. C’est quelqu’un qui a travaillé, il a défié le colon en défendant les terres de ses concitoyens. Pour cela au moins il mérite une sortie honorable même si le taux de chômage dans son pays est un peu élevé. Mais pour le management il est déjà épuisé par l’âge, en tant que homme et sachant que le management est fils de son temps, il ne peut plus répondre aux aspirations du management moderne, il a fait son temps et ne peut plus contrôler ses troupes. On reconnait toutefois ce qu’il a fait et c’est pour cela qu’il doit sortir avec les honneurs qui correspondent à ce type de personnalité. De l’autre côté lui aussi doit comprendre que chaque chose à une fin, aujourd’hui il peut passer la main en ayant à cœur d’avoir accompli sa mission à la tête du pays. En le faisant il reste toujours dans la mémoire de ses compatriotes.

On imagine que certaines nations vont se réjouir du départ de Robert Mugabe. Cela est-il un ouf de soulagement ?
Mugabe était devenu une épines car c’était un homme des défis parce qu’il vous disait qu’il va en Orient là où se trouve le soleil et que l’Ouest ne l’intéresse pas. Il a défié des pays tels que l’Angleterre le Portugal et d’autres nations qui lui en voulaient et s’est octroyé le choix de sa destination ; il s’est même permis de critiqué les Nations-Unies. C’était un chef d’Etat en marge mais protégé par son âge car c’est le plus vieux chef d’Etat jusqu’avant sa destitution en fonction. Avec cet âge il avait quand même quelques excuses et l’on attendait simplement une brèche et comme elle est là aujourd’hui il ne peut pas mettre les pieds dans ces pays. Il ira certainement dans certaines dictatures qui le soutenaient, ou alors il peut se reposer chez lui puisque je n’évoque pas la thèse d’une chasse aux sorcières par rapport à son héritage ou sa femme. Ce qui est important maintenant c’est la transition pacifique.

Puisque vous parlez de son épouse, d’aucuns accusaient la première dame d’avoir la mainmise sur le pouvoir et vous en tant qu’analyste que vous inspire la place des premières dames en Afrique aux côtés de leurs époux ?
Mme Mugabe est une dame qui adore particulièrement le pouvoir car voyez-vous elle s’est mariée au président alors que ce dernier avait 72 ans. Quand vous regardez tout ça vous constatez qu’elle avait déjà fait les calculs. L’on enregistrait même déjà des conflits en permanence dans ce couple parce qu’elle-même demandait déjà à ce dernier de quitter le pouvoir puisqu’elle reconnaissait sa vieillesse ; elle n’a pas aidé son mari en terme idéologique, elle a poussé par exemple le bouchon trop loin en mettant de côté le vice-président de la Zanu-Pf. Donc c’est une pouvoiriste qui a participé à pourrir l’atmosphère autour de son mari et qui a provoqué le désagrément dans tous les segments de la vie politique. On doit donc dire en conclusion qu’elle a été un peu maladroite. Aujourd’hui elle est exclue du parti et ne prétendra à rien dans un contexte où une opinion pense que le pouvoir n’est pas sexuellement transmissible. En Afrique il y a quand même eu des femmes qui se sont démarquées en accompagnant leurs époux mais peu ont lâché leurs partenaires avec fracas. Elle n’a pas joué franc jeu et c’est la maladie de l’Afrique car lorsque que vous allez au Togo ou en Guinée on vous dit que c’est de père en fils, comme au Gabon, il y a comme une parentologie du pouvoir, une sorte de cordon ombilical…tout ça ne rend pas service à la démocratie.

Est-ce que le fait pour ces femmes-là de rester longtemps aux côtés de leurs époux finit par avoir soif du pouvoir au point même de comploter contre ces derniers ?
C’est la théorie de Samson tout comme « les destinées de Vigny », on voit bien comment les femmes ont trahi. C’est aussi le cas en politique. La femme est parfois dangereuse quand elle est trop ambitieuse. Quand vous remontez l’histoire politique en Afrique vous comprendrez qu’à l’époque coloniale beaucoup d’hommes ont été trahis par leurs épouses. Souvent la femme est considérée comme une rivale en politique quand son mari est président et son mari doit à chaque fois faire attention et contrôler ses tentacules. Mais dame Mugabe avait déjà depuis 15 ans démontré ses velléités où s’est assise sur trône de son mari et gérait tous les dossiers ; elle a cru que c’était facile pour elle. Je signale qu’en politique, il n’y a pas d’amis. Tout est possible, les fils renversent les pères, les épouses sont aux manettes. La politique politicienne ce sont les coups bas, la recherche de la puissance, c’est finalement la ruse comme disait Machiavel. Donc en politique on ne fait confiance à personne même à sa propre femme.

Mugabe n’était pas le seul leader qui a passé du temps au pouvoir, est-ce que vous croyez que le Zimbabwe parle à l’Afrique ?
Non ! Je n’ai pas l’impression que le Zimbabwe parle à qui que ce soit. Surtout à l’Afrique centrale parce que le dictateur est l’homme le plus têtu, il n’écoute jamais ce qui vient de l’extérieur, c’est quand son pouvoir est amoindri qu’il comprend qu’il ne peut plus rien. Dans son esprit, il reste le plus beau, le plus fort, le plus adulé parce qu’on lui chante les louanges quand il rentre à l’aéroport. Les dictateurs font fi totalement de ce qu’on peut dire et s’accroche sur ce qui renforce son pouvoir en installant une sorte de totalitarisme puisque la répression de toute liberté devient son mode opératoire. Moi je crois que si le Zimbabwe parlait à quelqu’un ils devraient se bouger. Seulement, ils prennent cette situation dans le mauvais sens en étant envahis par la peur en se réfugiant dans la mise en place d’une bagatelle d’instruments qui les mettent à l’abri de je ne sais quoi. Il y a comme un musellement de tous les instruments qui peuvent faire étalage de l’expression démocratique, et ces régimes se caractérisent par la durée au pouvoir et le refus de tout.

Est-ce qu’on peut dire que vous parlez du Cameroun dans votre analyse ?
Mais le Cameroun ne fait pas exception à cette règle. Il est un pays d’Afrique centrale tout comme la Guinée, le Congo qui vont dans le même sens. Ce sont des régimes comme celui de Mugabe qui ont mis plus de 30 ans au pouvoir. On s’appuie sur la science et la science ce sont les faits. En Afrique centrale c’est le lieu où l’on trouve les régimes qui ont mis du temps si on décide d’additionner le séjour des uns et des autres. Je crois que cet espace est l’antithèse de la démocratie, en clair c’est un sanctuaire du recul de la démocratie. Je parle de ces pays où rien ne bouge du coup l’on souhaite une certaine alternance politique sinon on risque d’être la honte du monde.

Lire aussi dans la rubrique POINT DE VUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo