Bracelet d'identification au Cameroun : Protection des bébés ou enrichissement du système ?
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Bracelet D'identification Au Cameroun : Protection Des Bébés Ou Enrichissement Du Système ? :: Cameroon

Dans un article intitulé « Un bracelet contre le vol des bébés », signé de la plume de Joseph Mbeng Boum de l’Anecdote, le journaliste annonce l’une des mesures prises par le ministre de la santé publique, André Mama Fouda pour sécuriser les naissances. On pourrait presque le glorifier, quand on connaît l’ampleur que prend le vol de nouveau-nés au Cameroun. Personne n’a oublié le cas Vanessa Tchatchou. Mais avant de féliciter le ministre de la santé, on ne devrait pas comme l’a fait le journaliste, simplement relayer l’information, mais s’interroger aussi bien sur son bien-fondé que sur les risques de cette mesure.

C’est quoi l’identitovigilance ?

Le Cameroun retiendra sans doute de M. André Mama Fouda, en dehors des frasques qu’on lui connaît depuis qu’il est à la tête de ce département ministériel qui est celui de la santé publique, qu’il est celui à avoir innové, en introduisant ce système de sécurisation des patients, notamment la sécurité des nouveau-nés. Et pourtant, l’identito-vigilance comme on l’appelle ailleurs, ne date pas d’aujourd’hui. Il y a plus de 40 ans qu’elle existe en France. Mais mieux vaut tard que jamais. Dans ce pays cependant, cette mesure n’avait pas pour but la protection des enfants contre le vol, mais plutôt la gestion des risques liés aux soins. C’est-à-dire, de diminuer le risque de survenue d’évènements indésirables associés aux soins. Pour dire la chose autrement, une bonne information sur un patient garantit de meilleurs soins. La sécurité des biens et des personnes n’intervient que comme un troisième type de risque justifiant la mise en place d’une politique d’identito-vigilance. Il faut bien que les choses se fassent chez nous à l’envers.

Les problèmes que pose l’identito-vigilance

Parmi les problèmes que pose cette décision à notre système, il y a celui de la déclaration de la naissance. A lire l’article du journal l’Anecdote, il est dit que le bracelet d’identification devrait prendre en charge « le nom et le sexe de l’enfant ; (…) empreintes plantaires du bébé (…) fiche d’identification du nouveau-né ». Le processus d’attribution du nom à l’enfant est déterminé culturellement et juridiquement. Avant la déclaration juridique de l’enfant qui demande entre 30 jours et 3 mois, il faut déjà trouver un nom à l’enfant, ce qui fait parfois l’objet d’un duel entre familles. La conséquence, c’est l’allongement de la période de déclaration de la naissance. De nombreux enfants partent de l’hôpital sans nom ou un nom circonstanciel, donc susceptible de modification a postériori.

Or, au-delà de l’objectif de l’identification du patient, il y a celui de la continuité de l’identité qui risque de ne pas être réalisée, si en amont des mesures ne sont pas prises pour interconnecter les hôpitaux et les centres d’état civil, de sorte à ce que même à la sortie de l’hôpital, l’enfant n’ayant pas préalablement eu de nom, puisse être identifié par son nom aussi plutôt que par un simple matricule seulement. Ceci pour garantir dans le futur du nouveau-né, non seulement l’effectivité, la continuité des soins mais aussi la sécurité des soins. Les données enregistrées lors de la naissance de l’enfant ne peuvent être valables seulement dans le cas de l’identification. Sinon, cette mesure serait inutile. Ces données ne peuvent non plus être valablement exploitées, s’il est impossible pour l’hôpital de compléter le fichier d’identification du patient par le nom, prénom qui ne sont attribués le plus souvent que plusieurs jours après la naissance. Aussi, il est important que les hôpitaux préalablement soient connectés entre eux, de sorte à ce qu’un enfant né à l’Hôpital Général de Yaoundé, puisse être admis sans risque à l’hôpital régional de Bafoussam.

Par ailleurs, un autre problème est celui des risques d’homonymie que l’on peut rencontrer avec ce système d’identification. Nous savons qu’il n’est pas rare de trouver des nombreux « Paul Biya » de nos jours. Ce cas n’est pas le seul. Notre identité culturelle africaine nous expose à de tels risques. Etant donné que l’attribution du nom de l’enfant est déterminée par la nécessité de rendre hommage à quelqu’un de cher. Rien n’interdit dans ce cas que d’autres personnes, membres de la famille ou pas, souhaitent témoigner leur reconnaissance envers cette même personne en attribuant à leur enfant ce même nom. Il s’agit là des risques de collision qui, il faut le dire, vont être fréquent, sans parler des risques de doublon. Attribuer à la même personne, deux identifications n’est pas à négliger. Ce qui a pour conséquence, le risque d’erreur d’identité, et donc de risque dans l’administration des soins.

L’autre risque non négligeable est celui de la sécurisation des données médicales des patients. Bien qu’il s’agisse de nouveau-nés, il y a fort à craindre que les données personnelles des enfants ou bien de leurs parents soient utilisées à d’autres fins. Avant d’invoquer le piratage auquel aucun ministère n’est à l’abri aujourd’hui, il s’agit de la fiabilité même du système de l’intérieur. L’usage peu orthodoxe par les personnes impliquées dans le processus des informations personnelles des patients. Que l’on parle là des risques d’homonymie ou même de la confidentialité, cela pose un problème de formation qui n’a pas été fait en amont.

Ce qu’il fallait penser avant l’identito-vigilance

Avant l’annonce d’une telle mesure, le ministre devrait préalablement se rassurer que les personnes devant intervenir au quotidien dans ce nouveau système d’identification des patients soient formées.

L’implémentation de l’identito-vigilance exige la mise en place d’une politique, des instances, des procédures et des règles communes. Elle doit obéir aussi préalablement à un encadrement juridique. Ailleurs, celle-ci est appliquée conformément à la loi sur l’informatique qui chez nous tarde à prendre, et bien d’autres textes régissant le droit du malade sans doute absents chez nous.

Quid de la sensibilisation qui doit précéder même l’annonce d’une telle mesure ? De nombreuses personnes ont regardé ce documentaire sur les Illuminatis et les dangers potentiels de l’identification numérique. Théorie du complot ou pas, il faut bien reconnaître que de nombreux parents, justement parce qu’ils sont attachés à leurs enfants, seront plus réticents à l’idée d’attribuer un « code » numérique à leurs progénitures qu’à l’idée de les perdre. A moins que renflouer les caisses de l’Etat ou faire gagner de nouveaux marchés à des proches, ou leur offrir de nouveaux postes soient les seuls objectifs de cette mesure, il serait important de commencer par rassurer les parents. L’une des façons de le faire, c’est donc d’emblée de définir le cadre juridique de l’identito-vigilance au Cameroun, de sorte à responsabiliser toutes les personnes y intervenant en cas de problèmes. Ce qui, me semble-t-il, n’est pas une préoccupation quand jusqu’aujourd’hui, personne n’a véritablement été inquiétée par le vol des bébés dans les centres hospitaliers au Cameroun. A notre avis pour terminer, cette décision, si elle en est une, devrait réduire le nombre d’accouchements dans les hôpitaux plutôt que de les encourager. Le prix à payer est plus élevé que le bénéfice attendu. On ne peut continuer à ouvrir des nouvelles portes d’enrichissement pour certains, tout en fermant l’horizon d’espoir pour les autres. Car implémenter l’identito-vigilance implique un coût que l’on fera supporter une fois de plus à des populations déjà appauvries.

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