Cameroun: Ultime hommage du professeur Vincent-Sosthène FOUDA en hommage à sa maman madame Sabine Essomba princesse Sindono
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Cameroun: Ultime hommage du professeur Vincent-Sosthène FOUDA en hommage à sa maman madame Sabine Essomba princesse Sindono :: CAMEROON

La terre d’Akono s’est définitivement refermée sur madame Sabine Essomba princesse Sindono nous vous livrons ici la teneur du dernier message riche en enseignement et en émotion du professeur Vincent-Sosthène FOUDA en hommage à la disparue.

« Ma mère s'appelait Sabine mais pour le monde c’était Sin-Ndono »

« La mort est semblable à un continent inconnu dont nul ne parlera jamais qui y ait pénétré. Le mourant se sent en suspens, comme à quelque douane solitaire au coeur des hautes montagnes, où la monnaie des souvenirs est échangée contre de l'or. » 1

Ma mère, notre maman, à mes sœurs, mon frère et moi, s'appelait Sabine, ce prénom lui fut donné par son oncle l’Abbé thaumaturge Jean-Tabi Nnang Bilo mi Embolo, c’était le dimanche 19 juin 1949 à la mission catholique de Bikopnt. Cette année là, il fut affecté à Mebassa et trouva la mort le 21 avril 1951 d’après les notes du Père Etienne Nkodo Elé, man Mvog Atangana Mballa ya Ngomedzap. Sainte Sabine fut une Romaine morte en martyre. Elle est honorée le 29 août. On raconte qu'elle aurait été martyrisée après avoir donné une sépulture à sa femme de ménage victime de persécutions religieuses. Notre mère, à l’image de sa sainte patronne donna toute sa vie aux autres. A ce pays à qui elle donna 10 enfants, qui se perpétue de génération en génération, 32 petits enfants et une dizaine d’arrière-petits enfants. L’Abbé Jean Tabi lui donna aussi un autre nom, Sindono qui aurait pu être un anagramme de Sabina en Ewondo, Si-Ndono, Terre Fertile, immensité et fragilité de la terre, voilà pourquoi notre mère était grande comme une province, provincia, mot qui signifie : territoire d'une responsabilité et elle était belle comme le Cameroun. Elle s’est éteinte à l’heure des complies pour ceux et celles qui les font encore, le 18 Août 2017, à 80 ans, comme une lampe à bout d'huile. C’est une matriarche qui s’en va douce et légère comme la brise du soir.

Chant (Si-Ndono)

Elle est née à la Briqueterie à Yaoundé, mais elle vient de Nkil-Ntsam Osu, chanté par Mathieu Miyono Nkodo, ça rappellera à certains leurs humanités, elle a partagé ses jeux avec son frère aîné Joseph Tamba et ses cadets, Bala Minlo Jean Fils, Mekongo Fidèle, Pierre Ndongo et Nkodo Mekongo Zacharie et bien plus tard Etendé Essomba Lucien et Jean Bala Ondoua. Elle avait une sœur Aboui Pauline. Quand la dalle se reposera tout à l’heure pour séparer les vivants et les morts, alors il en sera fini des enfants Embolo Ondoa Ewondo Fouda Tsogo et de Minlo Mi Bala Justin.

Tempel mendim, mendim ya nkil-Ntsam…

Cette chanson paillarde qui a rythmé nos soirées, nos travaux champêtres ici, pour ne pas la laisser mourir j’en ai fait un chant religieux dans le début des années 90

Menga yen mendim mekoui a tempel ….

Notre mère a travaillé, elle a donné la vie et a accueilli de nombreuses vies la première fut celle de Mireille Taguena, elle a fait de nous un peuple de Moundang, de Dschang, de Babouté, d’Eton, de Mvog Bekon, de Manguissa, de Yanda, de Breton, de Juif, de Normand, de Valesain accomplissant ainsi la prophétie de son oncle l’Abbé Jean Tabi, « one sindono à koam ya koam »

Elle fut prise « en élève », comme on disait à l'époque, par son oncle Jean Tabi, puis À dix-huit ans, elle se retrouve ici à Ossoé-mimbang alors appelé Zoalouma, d'où elle n'est jamais plus sortie. Elle a visité beaucoup de pays mais elle est toujours revenue, fidèle à son époux, fidèle aux traditions Ekang, noble comme une Etenga c’est-à dire ce mélange de Bamun, de Tikar et de Sanaga, oui, elle vient d'en sortir pour le Paradis. Si je me permets de la proclamer ici, c'est qu'elle représente des milliers de femmes de sa génération et de la génération suivante.

Le père meurt, et l'on passe en première ligne, car le père est le lien avec l'Histoire ; la mère meurt, et l'on est orphelin, car la mère est le lien avec la vie. Orphelin veut dire : vide.

Ma mère avait donc passé son enfance à Douala chez sa tante Marceline Mekongo, Elle avait connu la mer, les marées, les navires, elle se débrouillait pas mal dans différentes langues et nous pouvions alors lui demander de nous parler de Yoko, de Douala, de Yaoundé sa cité à elle. Notre mère était une vanne de merveilles qui savait s’ouvrir pour ses enfants, plus tard pour ses belles-filles, ses beaux-fils, ses petits enfants et arrière petits-enfants.

La distance que j’ai prise me permet de me souvenir – oui ici nous étions alors en vacances et le plus érudits de mes neveux à cette époque là, Roland-Michel Mengue son homonyme lui dit « maman, je voudrais bien vous poser une question, vous vous occuper bien de nous, je suis un peu triste, nous ne vous avons jamais vu enceinte, pourquoi n’avez vous pas d’enfant? » Elle avait pris son homonyme qu’elle appelait affectivement petit Ro et lui expliqua avec les mots d’enfants le lien de parenté, de consanguinité et surtout lui dit que sa maman à lui n’était autre que sa fille.

Notre mère chantait. Où avait-elle appris toutes ses chansons, sans phonographe à manivelle, sans radio, sans recueil de chansons ? Elle chantait en repassant le linge ; elle chantait en cuisant le repas, elle chantait, elle chantait aussi les chansons que mes sœurs rapportaient de l'école. Il n’est arrivé, ces derniers jours de chanter pour elle comme dans mes dix ans, oui je me souviens de ses mélodies d’enfance, de jeunesse, d’épouse de mère coquette. J’aurai voulu l’accompagner jusque dans son dernier souffle en chantant pour elle, mais la mort ne m’a point donné cette possibilité, rendant ainsi son départ encore plus triste.

Oui, avec le recul, je dois constater qu’on chantait beaucoup au temps de la jeunesse de ma mère. On ne chante plus guère. Et « si les gens ne chantent plus, c'est parce que des machines le font à leur place. La prothèse ne crée pas l'infirmité, elle la pallie et l'entretient. » 2

Ma mère priait. Elle n'était nullement dévote, mais elle allait à l'essentiel. Très vieille, elle avait sans cesse son chapelet à la main. Je ne blesse pas la foi en disant que notre maman priait aussi par tradition, celle de Ewondo Fouda Tsogo Prosper

et de Essomba Many Ewondo Barthélémy, je le dis pour souligner cette tradition qui fait encore aujourd’hui que certains prénoms dans ma lignée maternelle ait traversé le siècle de notre conversion au christianisme : Prosper comme le prof prosper Etoundi Many Ewondo, Barthélémy, comme Barthélémy Tamba mais surtout pour Barthélémy Essomba Many Ewondo. Ici en février dernier, dans le studio qu’elle occupait désormais seule, alors que j’étais allé la trouver pour parler d’une chose et d’une autre, je la trouvai priant et je lui dis pour la taquiner : « Tu pries encore ! » Elle répondit : « Sur le lot, il doit bien y en avoir qui sont bons. » Je lui dis aussi : « Tu vas aller au Ciel en ligne droite. » Elle disait : « Le chemin n'est pas battu. » A man ngoan mintomba, a ngoan yi bekoa, ayi nyo ya ka bo yi na te wock na soamsoam, ve na, za ve azo kui ayi mba dzam nyo vä!

Notre maman, aimait et savait faire la cuisine, elle a appris à le faire sur le tas, elle faisait le couscous bamun avec le tegue et ma sœur Sidonie en redemandait et disait c’est maman qui sait faire la sauce couscous. Oui il y a six mois et ce n’est pas long pour qu’elle soit morte aujourd’hui, elle me fit une pâte d’arachide la dernière, elle ne voyait plus bien, l’arachide selon son expression personnelle avait dit un peu trop longtemps au revoir au feu, alors elle me dit : « papa, il faudra la manger cette pâte, je l’ai faite avec amour même s’il n’y a la dextérité d’une bonne cuisinière, je l’ai emporté avec moi cette pâte. » C’était ainsi notre maman.

Ma mère était quelqu'un qui ne mentait pas. Elle crevait le mensonge à un mille de distance : nos mensonges d'enfants, le mensonge religieux, le mensonge social. Cela fait des citoyens malcommodes, et des fidèles debout.

Ma mère n'acceptait pas l'injustice. Par contre, elle n'était nullement chimérique. Elle était réaliste sans résignation en ce qui concerne ce que j'appellerais l'état des choses, qui n'a guère changé depuis le commencement du monde et qui ne changera guère. Pour elle-même, elle ne revendiquait rien. Mais elle n’aimait pas le saumon et sa chaire rouge, ce fut longtemps notre terrain de discorde à Québec. Chaque fois que nous ses enfants ici présents, lui demandions, si elle avait à se plaindre de quoi que ce soit, elle répondait toujours qu'elle n'avait à se plaindre ni des soins, ni de la nourriture, ni du manque de sommeil. Au contraire, elle se trouvait choyée. Effectivement, elle fut traitée avec respect et compétence. En mon absence, je me dois de dire merci à mon beau-frère Vincent Ondoua Mbia pour sa disponibilité, oui ce fils Yanda a servi ma mère comme la sienne. Je me dois de dire merci à Justin Enama qui n’a ménagé ni argent ni temps pour ses visites matinales et de longues causeries. Oui à toi fils Mvog nnang Ngok merci. Merci à la famille Mvog Bekon

de l’autre côté du Nyong, nous sommes nés dans cette partie du nyong qui nous a donné un complexe de supériorité, maman a su vous accueillir et pour toujours vous lui avez rendu ce respect. La dernière fois que je l'ai vue maman, c’était le 6 février 2017, je lui ai demandé si elle souffrait. Elle m'a répondue : « Je n'ai pas une rosée de mal.. » Je me demande si l'expression existe en français, mais on voit très bien ce qu'elle veut dire.

Ma mère parlait français. C'était une fabrique d'images et une jouteuse imparable. Si un mot lui manquait, elle le créait : les États frappent monnaie, ma mère frappait français.

Avant que je parte pour l'école, il lui arrivait souvent, le matin, de me faire réciter les deux pages de la Stylistique française de Legrand que j'avais comme leçon avec madame Djimélé. Elle y prenait grand plaisir, et moi de même, par contagion,

On devinera qu'un être aussi socialement enraciné dans différentes cultures, disposant de l'outil de la langue Bamun, Vuté donc Etenga Mvog Bassog et alimenté par la foi chrétienne possédait un sens de l'humour libérateur. Maman était une multiculturel née et non décrétée. J'ajouterai encore ceci qui décrit son être et la condition dans laquelle elle a vécu : « Tout le temps qu'elle parlait, on voyait en elle s'agiter son âme, comme on verrait une grande Infante prisonnière venir coller sa face aux vitraux d'un Escurial incendié. » (Bloy)

Mox Sabinae dat requiem aeternam, Domine:

lux splendens procedit et inmarcescibilem mater nostra

In memoria aeterna erit iustus, ab auditione mala non timebit.

Anima eius in bonis demorabitur et semen eius hereditabit terram.

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