" A Bamenda, le 1er octobre, les balles pleuvaient sur nous comme si nous étions des criminels "
CAMEROUN :: POLITIQUE

CAMEROUN :: " A Bamenda, le 1er octobre, les balles pleuvaient sur nous comme si nous étions des criminels " :: CAMEROON

Le premier ministre est en visite dans les régions anglophones pour « dialoguer », plus d’un an après le début de la crise qui a débouché sur une sécession symbolique.

Sa main droite est soutenue par une écharpe bleue nouée autour du cou. Une bande blanche tâchée de sang recouvre son poignet. Sub* a le visage parsemé d’égratignures. Son téléphone portable ne cesse de sonner. « C’est mon épouse, s’excuse-t-il. Ma famille pense que je suis en danger car j’ai reçu une balle. Tous m’ont demandé de me cacher pendant au moins un an. Ma mère m’a supplié de quitter le Cameroun. Mais je ne peux pas. Je dois rester pour continuer le combat. »

Depuis treize jours, ce commerçant de 33 ans a fui Bamenda, capitale régionale du Nord-Ouest et épicentre de la contestation qui secoue depuis un an les deux régions anglophones (Nord-Ouest et Sud-Ouest) du Cameroun représentant environ 20 % de la population, pour se réfugier chez son oncle à Douala, capitale économique.

« Le 2 octobre, j’ai fui en pleine nuit. Il y avait des policiers et des militaires partout. Mon frère et mes amis m’ont porté à travers la forêt jusqu’à Mbouda, où nous avons loué une voiture pour Douala. J’ai peur. Si on découvre que je suis ici, je suis un homme mort. Personne ne doit le savoir », supplie le jeune homme apeuré, qui refuse d’être pris en photo et enregistré.

Dimanche 1er octobre, comme des milliers d’anglophones, Sub est descendu dans les rues pour proclamer l’indépendance symbolique d’Ambazonie, République imaginaire dans laquelle les anglophones, qui se sentent marginalisés par Yaoundé, rêvent d’être mieux traités.

« Au moins cent morts »

Les manifestants ont été dispersés à coups de gaz lacrymogènes et à balles réelles. D’après Amnesty International, « plus de 20 personnes ont été illégalement abattues par les forces de sécurité ». Le gouvernement camerounais reconnaît une dizaine de morts. Dans un communiqué, le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac) dresse un bilan d’au moins cent manifestants décédés suite aux « tirs à balles réelles des forces de défense et de sécurité et par suffocation de gaz lacrymogène absorbé en grande quantité ».

Les évêques du diocèse de Bamenda alarmés par « la barbarie et l’usage irresponsable d’armes à feu contre les civils non armés, même en réaction à des provocations » ont dit craindre un « génocide imminent », « une épuration ethnique » après que « des adolescents sans défense et des personnes âgées ont été tués par des tirs, notamment depuis des hélicoptères ». Signe des divisions qui minent aussi l’église catholique, le président de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun a, sur les antennes de Radio France internationale, condamné toute violence, tout en appelant à l’unité.

Au quartier Nkwen, à Bamenda, Sub s’est réveillé aux aurores ce 1er octobre-là. Une prière, une douche, puis il est sorti aux environs de 10 heures. Des gendarmes et policiers, « lourdement » armés, étaient déjà déployés. Un hélicoptère patrouillait dans le ciel.

« Ils ont tenté de nous disperser avec les gaz lacrymogènes. On revenait toujours. Ils ont ouvert le feu sur nous. Ils tiraient et j’entendais des cris de douleur, des pleurs. Je voyais beaucoup de sang. On m’a piétiné. Des gens sont morts », raconte avec peine le survivant.

« J’ai été très chanceux. Dieu m’a protégé. Le 1er octobre, les balles pleuvaient sur nous comme si nous étions des criminels. La balle m’a touché au poignet sans rester dans ma chair. Je me suis évanoui car je perdais beaucoup de sang », poursuit Sub. Conduit à l’hôpital, le jeune homme n’y a passé que quelques heures avant de s’enfuir, de peur d’être arrêté.

« Entre le 1er et le 2 octobre, nous avons reçu 14 blessés dont un était en réanimation. Malheureusement, tous se sont enfuis », a affirmé au Monde Afrique, le docteur Kinge Thompson Njie, directeur de l’hôpital régional de Bamenda, visiblement inquiet de la situation.

« Il y avait du sang sur la route comme de l’eau »

Dans une note publiée vendredi 13 octobre, Amnesty International (AI) confirme : « La crainte des arrestations et le déploiement à grande échelle des forces de sécurité ont poussé des dizaines de manifestants blessés à fuir les hôpitaux où ils étaient soignés pour des blessures par balles infligées lors des manifestations, mettant leur vie en danger. Dans au moins un hôpital, les forces de sécurité sont entrées pour interpeller des patients. »

Plus grave, l’ONG de défense des droits humains assure qu’au moins 500 personnes sont toujours enfermées dans des centres de détention surpeuplés suite à des arrestations arbitraires massives qui ont eu lieu dans les régions anglophones du Cameroun.

« Certains sont inculpés de sécession, d’autres d’infractions diverses incluant le défaut de papiers d’identité, la destruction de biens publics ou la désobéissance à un ordre du gouverneur », ajoute AI, qui précise que les arrestations se poursuivent.

Dans un quartier populaire de Bamenda, Georges, écouteurs fichés dans les oreilles, a perdu le sommeil. Dans son téléphone portable, les images de la répression défilent : des yeux hagards, des visages défigurés par la douleur d’une balle, un coup de matraque ou encore les yeux rougis par les gaz lacrymogènes. Ce jeune étudiant en droit a vu tomber « trois hommes qui ont reçu des balles aux fesses, au dos et au cou ».

« J’étais là le 1er octobre. Il y avait du sang sur toute cette route, comme s’il s’agissait de l’eau raconte-t-il, en pointant la rue pavée. Les policiers et militaires ne tiraient pas seulement sur nous. Ils voulaient vraiment en finir. On n’avait ni armes ni bâtons. Même pas de cailloux. Ils tiraient. Nous n’avons rien fait de mal en dehors de réclamer nos droits. Ce sont eux qui ont fait durer la crise. »

« Déni et mépris des autorités »

En octobre 2016, les avocats anglophones ont commencé à descendre dans les rues pour exiger la pleine application de la Common Law, le système juridique hérité de la colonisation britannique. Un mois plus tard, enseignants, étudiants et habitants suivaient le mouvement pour dénoncer la « francophonisation » du système éducatif et la marginalisation dont ils se disent victimes.

Yaoundé demeurant sourd à ces revendications, certains se sont mis à réclamer le retour au fédéralisme tandis que d’autres exigeaient l’indépendance. Des revendications balayées d’un revers de la main par le gouvernement qui a coupé Internet pendant trois mois en janvier et a militarisé la zone. En réponse, les habitants ont institué des journées « ville morte » chaque lundi et l’école a été boycottée par la majorité de la population.

En douze mois, de nombreux manifestants se sont radicalisés. Les sécessionnistes ont annoncé la création de leur gouvernement et ont choisi le 1er octobre pour proclamer leur indépendance. Depuis 1961, cette date symbolise la naissance de la République fédérale du Cameroun suite à la réunification du Cameroun français et du Southern Cameroon britannique.

« Le durcissement prononcé de la crise anglophone résulte de la combinaison de plusieurs facteurs. Le déni, le mépris des autorités camerounaises et la brutalité des forces de sécurité et de l’armée contre les avocats et les enseignants ont créé une onde de choc dans toute la communauté anglophone, d’autant que ce sont les représentants des deux corps de métier où les anglophones tiennent le plus à leurs spécificités anglo-saxonnes », analyse Hans De Marie Heungoup, politologue et chercheur à l’International Crisis Group.

Poursuites contre les journalistes

Depuis Genève, où il a condamné « la violence » d’où qu’elle vienne, le président Paul Biya a fini par mandater son premier ministre dans les deux régions frondeuses afin d’initier un dialogue avec les anglophones. La tournée a débuté lundi 16 octobre à Bamenda par une rencontre avec des responsables des syndicats de transporteurs, d’enseignants, de vendeuses et des opérateurs économiques. Natif de la région, Philemon Yang est cependant en terrain hostile.

« Nous condamnons fermement, rejetons et nous dissocions de ces visites », a prévenu Félix Nkongho Agbor, le président de l’Anglophone Civil Society Consortium (Cacsc), libéré le 31 août avec une cinquantaine d’autres leaders et militants. « Pour apaiser la population, le gouvernement est appelé à libérer tous les manifestants pacifiques, à rendre compte du nombre de morts, à rétablir l’accès à Internet et à convoquer une table ronde en présence des Nations unies », estime l’ex-prisonnier, dont les doléances ont peu de chances d’être satisfaites. Issa Tchiroma Bakary, le porte-parole du gouvernement, a fait le tour des médias pour menacer les journalistes de poursuites ou de suspension s’ils donnaient la parole aux séparatistes, une « ligne rouge » infranchissable pour le gouvernement.

Après un an de crise, les rancœurs s’accumulent, les revendications se font plus radicales. Derrière la morgue de l’hôpital régional de Bamenda, où au « moins trois corps » de manifestants avaient été déposés, Felicitas Akwo Ewo, le visage baigné de larmes, pleure la disparition brutale de son frère, René Akwo, « l’unique garçon de la famille », « celui qui s’occupait de tout le monde ». D’après ses explications, le 1er octobre, son frère s’était rendu dans l’un des quartiers rebelles de la ville, juste pour voir. Le curieux a été tué d’une balle au ventre. « Mon frère ne manifestait pas. Il a été tué. Pourquoi ? », interroge-t-elle dans un sanglot. Près d’elle, le meilleur ami du défunt promet de se battre « de toutes ses forces pour lui et les autres anglophones, morts pour rien ».

Lire aussi dans la rubrique POLITIQUE

Les + récents

partenaire

Vidéo de la semaine

évènement

Vidéo


L'actualité en vidéo